Myrmécophiles

Alain Lenoir mis à jour 19-Nov-2023

Un myrmécophile peut désigner un amateur s'intéressant aux fourmis mais plus souvent c'est un arthropode vivant en symbiose avec des fourmis. Ils vivent le plus souvent dans le nid des fourmis. Ils sont commensales mais la spécialisation peut aller jusqu'au parasites. Ce sont surtout des coléoptères et des acariens. On trouve 3 niveaux :
- myrmécophiles peu spécialisés mal intégrés, souvent agressés. Ils n'ont qu'une intégration chimique faible
- myrmécophiles spécialisés bien intégrés dans la colonie, ils sont léchés, nourris et transportés. Ils ont des structures glandulaires spécialisées (trichomes) ou un comportement qui permet de tromper l'hôte.
- les parasitoïdes guêpes et mouches dont les larves parasitent les larves ou adultes de fourmis. Eventuellemnt ils tuent l'hôte. L'adulte ne vit pas dans la colonie.

Voir une revue très complète sur les organismes macrocellulaires symbiotiques des fourmis européennes avec les myrmécophiles (Parmentier et al 2020) et de tous les myrmécophiles de Myrmica (Witek et al. 2014). Voir les moyens chimiques utilisés par les myrmécophiles pour tromper les fourmis hôtes (Adams et al 2020). Voir aussi The Guests of Ants. How Myrmecophiles Interact with Their Hosts, de Bert Hölldobler et Christina L. Kwapich. Harvard University Press, 2022, 63€ (Lien).

Les coléoptères staphylins myrmécophiles des fourmis légionnaires. Il y a 300 hôtes chez les Neivamyrmex (Rettenmeyer et al 2011). Une étude très complète de 58 espèces de staphylins Aleocharinae dont 37 qui imitent les fourmis morphologiquement depuis 80 millions d'années et vivent sans problèmes dans les colonies. Il y a eu 12 à 15 lignées évolutives différentes dans le monde (Maruyama et Parker 2017, voir Herzberg 2017). Parker avait déjà fait article de synthèse très complet avec de belles photos pour tout savoir sur les coléoptères myrmécophiles (2016). Les Claviger et staphylins myrmécophiles existaient déjà dans de l’ambre d’Inde de 52 millions d’années (voir Fossiles - Parker 2016).

Myrmécophiles des Eciton. Un monde d'une richesse incroyable. Les auteurs ont étudié 29 espèces présentes pour les relations avec les Eciton ("écitophiles") et leur profils d'hydrocarbures au Costa Rica. La similarité des profils d'HCs entre les écitophiles et leur hôte varie de 25 à 94%. On observe qu'un mimétisme chimique presque parfait ne permet pas à lui seul d'expliquer les relations entre écitophiles et leur hôte.

Dômes de fourmis rousses. Il existe trois types de myrmécophiles dans les dômes de Formica rufa : dans les chambres à couvain, ailleurs dans le nid et distribués au hasard dans le nid. Les parasites qui mangent le couvain rentrent dans les chambres à couvain ne sont pas spécialement agressés (Parmentier et al. 2016). Thomas Parmentier a trouvé 11 espèces de coléoptères dans un litre 18 litres de matériel pris au centre du dôme en hiver, avec près de 2 000 individus, dont de nombreux staphylins (Parmentier et Claus 2019).
Selon La Hulotte sur la cocinelle à 7 points (n°108, 2019) il existe une autre espèce de coccinelle, la coccinelle magnifique (Coccinella magnifica) qui vit au voisinage des fourmis rousses et se nourrit de pucerons, elle n'est pas attaquée par les fourmis. on ne connait pas très bien pourquoi.. Répulsif chimique très toxique ? Je propose qu'il s'agit d'un mimétisme chimique.. A suivre.

Thomas Parmentier et les myrmécophiles. Il a découvert que de nombreux myrmécophiles associés aux fourmis rousses en dehors des nids sont complètement dépendants de leur hôte. Il y a des prédateurs de fourmis, des détritivores, et des mangeurs de cadavres. Ils forment une méta-communauté avec les fourmis. Ils vont se déplacer avec les migrations de colonies, mais sont aussi capables de coloniser de nouvelles colonies (Parmentier et al 2021).
Parmentier a fait le point sur 16 espèces de lépismes (poissons d'argent) plus ou moins myrmécophiles avec les moyens d'intégration chimique (hydrocarbures HCs) et comportementaux. De manière inatendue, la plupart, même ceux qui ne sont pas spécifiques d'un seul hôte, imitent  le profil d'HCs des fourmis. Cela suggère une acquisition passive des HCs dans la colonie hôte. Ce n'est pas le cas des lépismes qui vivent avec les Messor qui ont au contraire une production endogène des HCs de l'hôte (Parmentier et al 2022).

Le microbiome des coléoptères myrmécophiles des nids de Formica polyctena semble très varié. On y trouve comme chez les fourmis des Wolbacchia et des Rickettsia (
Kaczmarczyk-Ziemba et al 2020).

Deux exemples que j'ai étudié : le Thorictus coléoptère myrmécophile phorétique (qui vit sur son hôte) de Cataglyphis et divers myrmécophiles d'Aphaenogaster (dont Sternocoelis).

Amphotis marginata coléoptère myrmécophile de Lasius fuliginosus vient de faire l'actualité avec un travail de Bert Hölldobler et Christina Kwapich (2017). "Un bandit de petit chemin" selon Alain Fraval (2017). Caché le long des pistes la journée, il vole des régurgitations la nuit aux L. fuliginosus qui rentrent au nid avec du miellat de pucerons. Voir aussi Nothias 2017.

E.O. Wilson a découvert un scarabée Paralimulodes, tout petit staphylin qui "vit sur le dos de fourmis comme une puce et se nourrit en léchant les secrétions huileuses de leur corps." (2000, p. 122). Les fourmis hôtes sont des Neivamyrmex. Wilson avait déjà anticipé que ces coléoptères récupèrent les hydrocarbures de la fourmi hôte.

Un Coléoptère myrmécophile selon Fred et Jami (C'est pas sorcier - Les fourmis)

Les coléoptères myrmécophiles selon Gérard (Gérard et les fourmis) : "des coléoptères qui se conduisent en bons serviteurs. Ils s'occupent de la vidange, dévorent les moisissures, font disparaître tout ce qui pourrait causer quelque infection, mangent les cadavres de fourmis décédées, ceux des nymphes qui n'ont pas pu voir le jour, et surtout avalent ces méchantes mites qui ennuient tellement les fourmis." (p.97).

Voir d'autres exemples :
- Dinarda avec Formica sanguinea
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Loméchuses
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La myrmécophiie chez les staphylins Aleocharines. Une très bonne synthèse des mécanismes évolutifs (Naragon et al 2022).

- Paussus
- Un autre myrmécophile phorétique : Nymphister kronaueri (Histeridae) - voir Phorésie
- Claviger
- Lépisme ou poisson d'argent
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Le clairon formicaire Thanasimus formicaria n'est pas myrmécophile

- Myrmecophilus selon Parmentier (2019) :

- Fustiger lenoiri, une nouvelle espèce de coléoptère myrmécophile que j'ai récoltée en Guyane en 2015 dans un nid en parabiose de Camponotus femoratus et Crematogaster sp. sur une broméliacée arboricole, avec Axel Touchard et Céline Leroy. Le spécialiste tchèque Jiri Háva à qui j'avais envoyé les échantillons, l'a baptisée Fustiger lenoiri. Un très joli coléoptère (Hava 2023). Merci à lui.

Il existe un Myrmecophilus qui vit dans les nids de Formica japonica en toute liberté. S'il est attaqué il peut sauter 20 à 30 fois sa taille. Il possède la même odeur que les fourmis, odeur qu'il récupère en se frottant contre ses hôtes comme on peut le voir dans le film "Au royaume des fourmis".

- Voir dans la revue "Espèces" un article sur un coléoptère (Oochrotus unicolor) qui vit dans les dépotoirs des Messor barbarus. Il y a un mimétisme chimique très fort entre le coléoptère et son hôte (voir profil), mais il est imparfait et il est parfois attaqué. C'est sans gravité puisque le coléo à un corps lisse (Parmenteir et al 2019, voir Grangier 2020).

- Revue très complète sur les myrmécophiles associés à la ponérine Neoponera villosa qui vit dans les broméliacées arboricoles du Yucatan. On trouve des parasites (un champignon), des parasitoïdes, des prédateurs du couvain et des cleptopararasites et aussi de nombreux intrus à la périphérie du nid ou dans les dépotoirs. Le travail a été réalisé par le groupe de J.P. Lachaud et G. Pérez-Lachaud avec un thésard sur 82 colonies, avec des fourmis très agressives !! (Rocha et al 2020).

- Certains papillons ont des chenilles qui sont hébergées dans des colonies de fourmis. Voir Cartes postales de Christian Peeters à propos de ses films sur les fourmis :

Les papillons myrmécophylles, vour la revue de Pierce et Dankowicz (2022)

Par exemple les azurés, ou une chenille d'Eublema albifasciata dans un nid d'Oecophylla longinoda

:

Les chenilles du papillon Niphanta fulva sont hébergés dans les colonies de Camponotus japonicus comme on peut le voir dans le film "Au royaume des fourmis".

- Les Microdon (syrphes qui ressemblent à des abeilles) pondent leurs oeufs à l'entrée des nids de Formica japonica. Les larves rentrent dans le nid où elles sont prédatrices des larves de fourmis. Il leur faut 120 larves pour atteindre le stade chrysalide. Ces larves ont aussi l'odeur des fourmis. On peut les voir dans le film "Au royaume des fourmis".

Voir
- Fraval, A. (2017) Bandit de petit chemin. opie-insectes, Epingle 1185 - Septembre 2017, p. http://www7.inra.fr/opie-insectes/epingle17.htm. Pdf
-
Grangier, J.f (2020). La vie presque tranquille d'un commensal. Espèces 35. Pdf
- Háva, J. (2023). A new Fustiger LeConte, 1866 species from French Guiana (Coleoptera: Staphylinidae: Pselaphinae: Clavigeritae). Munis Entomology & Zoology 18: 903-908, https://www.munisentzool.org/. Pdf
- Herzberg, N. (2017). Des intrus chez les fourmis. Le Monde Science & Médecine 15 mars 2017. p. 8. Pdf
et aussi la version internet : Herzberg, N. (2017) Des coléoptères incognito chez les fourmis. lemonde.fr, 13 mars 2017. http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/03/13/des-coleopteres-incognito-chez-les-fourmis_5093809_1650684.html#RFtXRRDTRB4dSpfp.99. Pdf

- Adams, R. and E. Fox (2020). Interspecific Eavesdropping on Ant Chemical Communication. Frontiers in Ecology and Evolution 8. 10.3389/fevo.2020.00024
- Hölldobler, B. and C. L. Kwapich (2017).
Amphotis marginata (Coleoptera: Nitidulidae) a highwayman of the ant Lasius fuliginosus. PLoS ONE 12(8): e0180847. 10.1371/journal.pone.0180847 (libre de droits)
- Kaczmarczyk-Ziemba, A., M. Zagaja, G. K. Wagner, E. Pietrykowska-Tudruj and B. Staniec (2020). First Insight into Microbiome Profiles of Myrmecophilous Beetles and Their Host, Red Wood Ant Formica polyctena (Hymenoptera: Formicidae)—A Case Study. Insects 11(2): 134.
- Maruyama, M. and J. Parker (2017). Deep-Time Convergence in Rove Beetle Symbionts of Army Ants. Current Biology. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2017.02.030
- Nothias, J.-L. (2017) Le scarabée détrousseur de fourmis. lefigaro.fr, 22 septembre 2017.
- Parker, J. (2016). Myrmecophily in beetles (Coleoptera): evolutionary patterns and biological mechanisms. Myrmecological News 22: 65-108.
- Parmentier, T., W. Dekoninck and T. Wenseleers (2016). Do well-integrated species of an inquiline community have a lower brood predation tendency? A test using red wood ant myrmecophiles. Bmc Evolutionary Biology 16(1): 1-12. 10.1186/s12862-016-0583-6
- Parmentier, T. and R. Claus (2019). A dazzling number of beetles in a hibernating red wood ant nest. The Coleopterists Bulletin 73: 1-4.

- Parmentier, T., M. Gaju-Ricart, T. Wenseleers and R. Molero-Baltanás (2019). Strategies of the beetle Oochrotus unicolor (Tenebrionidae) thriving in the waste dumps of seed-harvesting Messor ants (Formicidae). Ecological Entomology n/a. 10.1111/een.12832
-
Parmentier, T., F. De Laender and D. Bonte (2020). The topology and drivers of ant–symbiont networks across Europe. Biological Reviews. doi: doi: 10.1111/brv.12634.
-
Parmentier, T., R. Claus, F. De Laender and D. Bonte (2021). Moving apart together: co-movement of a symbiont community and their ant host, and its importance for community assembly. Movement Ecology 9(1): 25. doi: 10.1186/s40462-021-00259-5.
- Parmentier, T., M. Gaju-Ricart, T. Wenseleers and R. Molero-Baltanás (2022). Chemical and Behavioural Strategies along The Spectrum of Host Specificity in Ant-Associated Silverfish. BMC Zoology 7: 23. doi: 10.1186/s40850-022-00118-9. Libre de droits.
- Pierce, N. E. and E. Dankowicz (2022). Behavioral, ecological and evolutionary mechanisms underlying caterpillar-ant symbioses. Current Opinion in Insect Science: 100898. doi: https://doi.org/10.1016/j.cois.2022.100898
- Rettenmeyer, C., M. Rettenmeyer, J. Joseph and S. Berghoff (2011). The largest animal association centred on one species: the army ant Eciton burchellii; and its more than 300 associates. Insectes Sociaux 58(3): 281-292.
- Rocha, F. H., J.-P. Lachaud and G. Pérez-Lachaud (2020). Myrmecophilous organisms associated with colonies of the ponerine ant Neoponera villosa (Hymenoptera: Formicidae) nesting in Aechmea bracteata bromeliads: a biodiversity hotspot. Myrmecol News 30: 73-92. https://doi.org/10.25849/myrmecol.news_030:073. Avec vidéo
- von Beeren, C., A. Brückner, P. O. Hoenle, B. Ospina-Jara, D. J. C. Kronauer and N. Blüthgen (2021). Multiple phenotypic traits as triggers of host attacks towards ant symbionts: body size, morphological gestalt, and chemical mimicry accuracy. Frontiers in Zoology 18(1). doi: 10.1186/s12983-021-00427-8.
- Wilson, E. O. (2000). Naturaliste, Bartillat. 422 p.
- Witek, M., F. Barbero and B. Markó (2014). Myrmica ants host highly diverse parasitic communities: from social parasites to microbes. Insectes Sociaux 61(4): 307-323. 10.1007/s00040-014-0362-6