Fourmis moissonneuses
Alain Lenoir mis à jour 18-Oct-2023
La myrmécochorie
(du grec Myrmecos = fourmi et Chor = porter, disséminer)
est une méthode de dispersion des graines particulièrement efficace.
Tout le monde connait les fourmis moissonneuses qui font de longues pistes ramenant
au nid des graines en région méditerranéenne. Ces fourmis
moissonneuses habitent en région semi-aride : Messor chez nous
dans le sud (ne piquent pas). Un cercle autour du nid marque la limite où
sont rejetées les graines non consommées. Ce sont des fourmis
faciles à élever (Cerdan 1989,
voir Livre). Bernadette
Delage a fait sa thèse sur les Messor capitatus
du Périgord (Delage 1962, 1968) et observé leur disparition dans
certains causses (Delage-Darchen 1976). Aux USA dans les déserts il a
beaucoup de moisssoneuses comme les Pogonomyrmex qui sont très
bien étudiées (Voir plus loin Pogonomyrmex).
Voir aussi Messor barbarus
Messor capitatus est souvent trouvée sur des lieux liés à l’histoire humaine, comme des chapelles ou des sites antiques, à l’écart de l’urbanisation récente, et tout sur la répartition des espèces de Messor françaises avec des cartes (Lebas 2021).
Fourmis moissoneuses au Mali dans le pays des dogons (2004) :
Les Messor capitatus remontent le long de la côte atlantique jusque sur la côte sauvage (Presqu'île de Quiberon), ici en mai 2019.
L'hybridogenèse
sociale chez les Messor
Jonathan
Romiguier a découvert l'hybridogenèse sociale chez Messor
barbarus avec Laurent
Keller (Romiguier et al 2017).
Le cas de Messor structor est encore plus compliqué. Cette espèce
a été divisée en 5 espèces (morphologie, ADN mitochondrial
et microbiome), avec en particulier M. ibericus (zone méditerranéenne)
et M. structor s.str. plus au nord avec 3 autres espèces plus
orientales (Steiner et al 2018). Selon Arthur
Weyna l'hybridogenèse n'existe que chez M. ibericus, pas
chez les 4 autres espèces (Thèse).
Une nouvelle espèce de Messor en Catalogne,
près de Barcelone, en forêt de pin brulée. C'est dans le
groupe M. barbarus, M. bouvieri et M. capitatus. Un seul site.
Pas d'hydridation avec les autres espèces ni d'hybridogenèse.
Bref, le grand bazard chez les Messor (Orou et al 2023).
Pogonomyrmex
Le suivi d'une population de Pogonomyrmex barbatus sur 30 ans
dans Le Nouveau Mexique (USA) par Deborah Gordon. Sur le site de 10 hectares
il y a 300 colonies alors qu'elles étaient environ 400 il y a 20 ans.
Les colonies sont fondées par une seule reine à fécondations
multiples et vivent 20-30 ans. A la mort de la reine la colonie meurt. La colonie
commence à produire des sexués à 5 ans quand elle atteint
10 000 ouvrières, en moyenne 200 par colonie. La dispersion des reines
est faible, 70m en moyenne. Après l'essaimage il y a des centaines de
nouveaux nids mais peu survivent à 1 an, de 10 à 50, ce qui compense
la mortalité des autres colonies. Les colonies ont été
suivies en fonction des pluies, du changement climatique et de la compétition
avec les autres espèces de fourmis (Sundaram et al 2022).
Les Pogonomyrmex en Amérique ont une piqûre douloureuse. Les Pogonomyrmex consomment de préférence les petites graines, et attendent que les grosses commencent à germer car elles ont un valeur nutrionnelle meilleure à ce stade (Tshinket et Kwapich 2016 - plus de détails)
Dans nos régions, en forêt, certaines graines ont un élaiosome (partie pulpeuse riche sucres, protéines et surtout en graisses attractives pour les fourmis) ; elles sont rapportées au nid (violette, cyclamen, mélampyre, chélidoine, euphorbe..). L’élaiosome est consommé, puis la graine est rejetée, ce qui contribue à sa dissémination. En fait, la dissémination des graines se fait à courte distance, en moyenne 2 mètres seulement (avec un maximum de 180m quand même !) (Gómez and Espadaler 2013). Il existe de nombreuses espèces de graines avec élaiosome, de couleurs et formes très variées (au moins 11 000 espèces de plantes adaptées pour la myrmécochorie).
Messor
barbarus
Dans la Crau, les Messor ont une biomasse de 0,27 à 0,57
kg et consomment 12 300 kcal à l'hectare, fournies par 20 à 30
kg de fruits et graines dont la production est de 200 à 400 kg (Délye
1984, voir Cerdan et al 1986). Après
une pollution, on a tenté de reconstituer la végétation
et la faune locale, en particulier en implantant des reines de Messor barbarus
pour faciliter la dispersion des graines (Dutoit 2013,
Le Hir 2014).
Des
fourmis restaurent l’écosystème de la plaine de la Crau.
La Marseillaise 8
Jan 2020 (Lien)
"C’était il y a 10 ans. En 2009, un oléoduc rompait
dans la plaine de la Crau polluant cinq hectares de ses sols. Après une
dépollution par le remplacement de 72 000 de tonnes de terre et de galets,
une technique originale a été mise en place pour restaurer le
milieu. Des scientifiques ont introduit des fourmis dites moissonneuses dans
cet espace si particulier des Coussouls de Crau, classé Natura 2000 :
on parle d’ingénierie écologique. « Après avoir
implanté 200 reines, les résultats obtenus sont très encourageants
: dans les zones où l’on a implanté les fourmis, la fertilité,
la porosité et le brassage des sols sont bien meilleurs », explique
dans La Marseillaise Thierry Dutoit, chercheur CNRS à l’Institut
méditerranéen de biodiversité et d’écologie
marine (IMBE) qui est à l’origine de ce protocole de restauration
naturelle. Les petites bêtes ont en effet procédé à
un portage et un enfouissement efficace des graines de végétaux,
accélérant la restauration de tout l’écosystème.
La magie de la nature.". On retrouve mes mêmes résultats
dans Provost et Bulot 2020).
Les Messor de la Crau implantées en 2011 sont toujours dans
l'actualité : "des fourmis pour aider la nature à réparer
une marée noire", une vidéo
avec Thierry Dutoit et Tania de Almeida (IMBE).
Une publication récente de De Almeida avec Olivier Blight et Éric Provost (2020) dans Biological conservation résumée par Éléonore Solé (2020) : "Au cœur de la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône), les fourmis se démènent. Elles cherchent de la nourriture, construisent leur nid, agrandissent leur colonie. Et il semblerait que leur activité incessante puisse jouer un rôle clé dans la restauration et la conservation des prairies asséchées méditerranéennes. Telle est la conclusion de chercheurs français, qui ont comparé durant cinq à dix ans des zones dotées de Messor barbarus, une espèce de fourmi moissonneuse, et des zones exemptes de l'arthropode. Leur étude est publiée dans Biological Conservation. En effet, pendant les quelques années où Messor barbarus a été observée, les chercheurs ont noté une nette amélioration de la fertilité des sols. Les zones fourmillantes ont été conquises par des plantes mésotrophes, c'est-à-dire adaptées à un milieu moyennement riche en nutriments. Tandis que les zones sans fourmis étaient « dominées par des espèces caractéristiques des sols compactés » détaillent les chercheurs. Des sols moins riches, où l'eau s'infiltrent peu. Les racines des plantes y poussent plus difficilement. Les communautés végétales ont ainsi profité de l'action des fourmis, en augmentant leur biomasse et leur diversité. Messor barbarus a également « assuré le transport, la redistribution et le stockage de graines » stipule un communiqué du CNRS. Dès lors, elles ont accéléré « la résilience des communautés végétales » dans les prairies asséchées de la plaine de la Crau, « en facilitant leur rétablissement ». Ils concluent qu'en tant « que filtre biologique, Messor barbarus a conduit les communautés végétales vers une nouvelle trajectoire dans le site restauré »." Voir aussi Sciences et Avenir (Ignasse 2020). Les marocains font aussi des essais avec Messor barbarus pour restaurer des prairies dans la région de Tanger (El Boukhrissi et al 2019).
En Afrique du Sud certaines espèces de plantes endémiques à élaiosome sont dispersées par des fourmis locales. La fourmi d’Argentine invasive détruit ces fourmis, mais elle ne récolte pas ces graines donc les plantes sont menacées de disparition.
Diane Bigot, à l'IRBI de Tours, a trouvé des virus comme le Lake Sinaï Virus (LSV), un virus ARN possiblement associé au CCD (déclin des abeilles) chez 3 espèces de Messor. Ce virus pourrait se transmettre entre les abeilles domestiques, les abeilles sauvages et les fourmis (Bigot et al 2015).
Pour élever des Messor voir le livre de Raúl Martínez : La fourmi moissonneuse Messor barbarus, Biologie et soins.
Hugo Merienne a soutenu sa thèse en 2019, sous la direction de Vincent Fourcassié et Pierre Moretto (Université de Toulouse) : Biomécanique et énergétique de la locomotion et du transport de charge chez la fourmi Messor barbarus (Pdf).
Mathieu Duperrex : "Un philosophe qui a besoin d'aimer ce monde azoté" (Le Monde 6 août 2021, p.29). A propos des lichens indicateurs de pollution dans la Crau : "Tout comme la fourmi moissoneuse, qui récolte des graines tout autour du nid dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres et contribue à la fertilisation de la plaine du Crau".
Dans Gérard et les fourmis on parle des fourmis moissoneuses. "Parfois les petites fourmis qui ne savent pas encore très bien leur métier, partent à la recherche de graines, en rapportent quelques-unes qui ne sont pas encore mûres. Ou bien elles se trompent et, croyant bien faire, se chargent de petis cailloux ou objets sans valeur nutritive. Leurs compagnes rejettent hors du nid cet inutile butin, ou bien forcent les apprenties à le rejeter elles-même."
Vidéo de Messor barbarus (Gérard Renaud, oct 2021)
Les
moissoneuses appréciées en Chine.
300 fourmis moissonneuses vivantes passées en contrebande depuis l’Europe
démantelées par les douanes de Shanghai (Chinedirect
28 août2022).
" Les douaniers ont découvert que les 300 fourmis étaient
gardées une dans chaque tube contenant une boule de coton humide et avec
les trous d’aération laissés pour s’assurer que les
fourmis survivent au transport longue distance tout en étant introduites
clandestinement en Chine vivantes. Ces fourmis ont été identifiées
comme des fourmis moissonneuses communes au Maroc, en France, en Espagne, au
Portugal et dans d’autres régions du sud de l’Europe. Entre
fin octobre et début novembre 2015, les douanes de l’aéroport
de Chengdu, dans la province du Sichuan (sud-ouest de la Chine), ont intercepté
un total de 1 012 fourmis vivantes, dont la majorité étaient des
fourmis moissonneuses, selon le West China City Daily. En mars et décembre
2020, les douanes de Changsha, dans la province du Hunan (centre de la Chine),
et les douanes de Zhengzhou, dans la province du Henan (centre de la Chine),
ont respectivement intercepté 11 et 204 fourmis moissonneuses vivantes.
"
Dix
nouveaux mammifères anciens découverts grâce aux fourmis
(sciencepost,
4 juillet 2022)
"les fourmilières de moissonneuses se présentent en effet
comme de véritables aubaines dans la chasse aux fossiles de microvertébrés.
Des dents de mammifères sont également parfois trouvées,
évitant ainsi aux paléontologues de passer des heures sur le terrain
à tamiser le sable et la terre. Autrement dit, les fourmis font le plus
gros du travail et les chercheurs n’ont plu qu’à se servir
au prix de quelques morsures."
Dans une conférence Francis Bernard en 1971 parle des Messor :
Voir
- Bigot, D., E. A. Herniou, N. Galtier and P. Gayral (2015). Diversité
du Lake Sinaï Virus (LSV) chez les Hyménoptères. UIEIS Congress,
Tours, Août 2015, Tours.
- Cerdan, P., L. Borel, J. Palluel and G. Délye (1986). Les fourmis moissonneuses
et la végétation de la Crau (Bouches-du- Rhône). Ecol. Mediterr.
12: 17-23.
- Cerdan, P. (1989). L'élevage des Messor, fourmis moissoneuses. Insectes
72: 1-5. Pdf
- De Almeida, T., O. Blight, F. Mesléard, A. Bulot, E. Provost and T.
Dutoit (2020). Harvester ants as ecological engineers for Mediterranean grassland
restoration: Impacts on soil and vegetation. Biological Conservation 245: 108547.
- Delage, B. (1962). Recherches sur l'alimentation des fourmis granivores Messor
capitatus Latr. Insectes Sociaux 9(2): 137-143. 10.1007/bf02224260
- Delage, B. (1968). Recherches sur les fourmis moissonneuses du bassin aquitain:
ethologie, physiologie de l'alimentation. Ann. Sci. Nat. Zool. Biol. Anim. 10:
197-265.
- Delage-Darchen, B. (1976). Disparition d'un biotope a Messor capitatus Latr..
(Hyménoptère, Formicidae), consécutive à l'évolution
naturelle d'une causse en Périgord noir. Bull. Ecol. 7: 215-220.
- Délye, G. (1984). Les fourmis du "désert " de Crau
: essai d'évaluation de la biomasse et de la consommation des espèces
granivores. Actes Coll. Insect. Soc. 1: 167-170. Pdf
- Dutoit, T. (2013). S'aider du vivant pour restaurer les écosystèmes.
Pour la Science 427: p. 17-18. Pdf
-
El Boukhrissi, A., A. Taheri, N. Bennas and J. L. Reyes-Lopez (2019). Nuevo
protocolo de restauracion ecologica basado en el empleo de la hormiga granivora
Messor barbarus (Hymenoptera: Formicidae) Resultados preliminaries [New protocol
of ecological restoration based on the use of the harvester ant Messor barbarus
(Hymenoptera: Formicidae). Preliminary results]. Iberomyrmex. 11: 53-55. (avec
poster en anglais).
- Gómez, C. and X. Espadaler (2013). An update of the world survey of
myrmechorous dispersal distances. Ecography 36.
- Ignasse, J. (2020) Avec l'aide des fourmis, la réhabilitation d'un
site pollué en bonne voie. sciencesetavenir.fr
26 avril 2020. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/pollution/avec-l-aide-des-fourmis-la-rehabilitation-d-un-site-pollue-en-bonne-voie_143708
- Le Hir, P. (2014). Moisson inédite dans la steppe de Crau. Le monde
Science & Médecine 30 avril p. 3. Pdf
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Lebas, C. (2021). Influence des activités humaines sur la répartition
des fourmis du genre Messor dans les Pyrénées-Orientales (Hymenoptera
: Formicidae : Myrmiciane). Osmia 9: 65-76. doi: DOI: 10.47446/OSMIA9.9.
-
Orou, N., S. Csosz, X. Arnan, R. G. Pol, W. Arthofer, B. C. Schlick-Steiner
and F. M. Steiner (2023). Messor erwini sp. n.,
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307: 36-53. https://doi.org/10.1016/j.jcz.2023.09.001. Lien
- Provost, E. and A.
Bulot (2020) Restaurer la nature, un travail de fourmis ? . theconversation.com
27 septembre 2020. Lien
- Solé, E. (2020) "Les fourmis seraient d'utiles alliées
pour restaurer les prairies desséchées." Futura
Science 23 avril 2020. https://www.futura-sciences.com/planete/breves/fourmis-fourmis-seraient-utiles-alliees-restaurer-prairies-dessechees-2444/
- Steiner, F. M., S. Csosz, B. Markó, A. Gamisch, L. Rinnhofer,
C. Folterbauer, S. Hammerle, C. Stauffer, W. Arthofer and B. C. Schlick-Steiner
(2018). Turning one into five: integrative taxonomy uncovers complex evolution
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-
Sundaram, M., E. Steiner and D. M. Gordon (2022). Rainfall, neighbors, and foraging:
The dynamics of a population of red harvester ant colonies 1988-2019. Ecological
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accès
- Tschinkel, W. R. and C. L. Kwapich (2016). The Florida Harvester Ant, Pogonomyrmex
badius, Relies on Germination to Consume Large Seeds. PLoS ONE 11(11): e0166907.
10.1371/journal.pone.0166907. Article
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