Ooceraea (Cerapachys) biroi
Fourmi maraudeuse japonaise, clonal raider ant
Alain Lenoir Mis à jour 21-Sep-2021
Petite fourmi de 2-3 mm qui vit dans des colonies de quelques dizaines d'ouvrières au maximum. Il n'y a pas de reines et les individus se reproduisent tous par clonage (parthénogenèse thélytoque). Cette fourmi a été très étudiée au LEEC de Villetaneuse sous la direction de Pierre Jaisson. Le cycle de cette fourmi est très particulier avec deux phases, l'une active de 16 jours avec des raids (pillage de larves d'autres espèces de fourmis) pour l'élevage des larves et ensuite de 18 jours pour la ponte (Ravary et Jaisson 2004, Michel 2007). Elle a été clonée en 2014 (Oxley et al 2014). Cerapachys biroi pratique le policing envers les pondeuses qui trichent (Teseo et al. 2013). Cette fourmi a envahi accidentellemnt des île stropicales et subtropicales partout dans le monde. Voir Les guerres secrètes des fourmis p.77-78.
Daniel Kronauer a repris avec grand succès son étude. Il a fait la une de l'actualité avec plusieurs papiers très intéressants :
- avec un super papier dans Science sur le rôle de l'insuline dans la formation des reines chez Ooceraea (Cerapachys) biroi. Quand les reines sont en présence de larves cela inhibe le gène "ilp2" (insuline-like peptide 2) dans leur cerveau et elles arrêtent de pondre. Et si on injecte l'analogue de l'insuline elles continuent à pondre en présence des larves. Ce gène est retrouvé plus actif dans le cerveau des reines de 7 espèces étudiées. Les auteurs pensent que cela pourrait être une possibilité d'évolution vers l'eusocialité avec l'apparition de la caste reine (Chandra et al 2018, voir Rosier 2018). Voir Le gène de la royauté d'Alain Fraval
- et un autre sur la transcriptomique (Libbrecht et al 2018) où ils étudient l'expression des gènes pendant les deux phases du cycle. Ils identifient des gènes qui modulent la division du travail pour la reproduction, par exemple le gène de la transferrine ou de la vitellogénine.
- Sur les gènes des récepteurs odorants (ORs). Ils ont obtenu chez O. biroi une mutation du gène orco, fondamental dans la synthèse des récepteurs olfactifs. Cela rapproche ces "fourmis" des drosophiles qui ont 500 gènes ORs de moins que les fourmis (Trible et al 2017).
L'équipe de D. Kronauer
reprend les explications sur la division du travail avec des fourmis marquées
(Ulrich et al 2021).
Selon
Presse
Portal du 18 juin 2021 : Une organisation collective complexe chez les fourmis."Les
chercheurs et chercheuses ont ainsi montré que l'organisation existant
dans une colonie homogène est modifiée lorsqu'on y introduit des
individus différents. "Des individus de taille différente
ont augmenté la division du travail dans la colonie, tandis que des individus
génétiquement différents l'ont réduite", explique
Yuko Ulrich, chercheuse à l'Université de Lausanne au moment de
l'étude. "En fait, chaque source d'hétérogénéité
génère un modèle distinct d'organisation comportementale
dans la colonie", précise-t-elle." "Des résultats
qui ont surpris les scientifiques en allant parfois à l'encontre des
théories actuelles sur les groupes sociaux. "On pense en effet que
les individus agissent en fonction de leur seuil de tolérance aux stimuli",
indique Yuko Ulrich. Pour expliquer ce principe, la scientifique propose un
parallèle avec les humains: "Dans une famille, certains individus
réagissent beaucoup plus vite que d'autres face à une pile de
vaisselle sale. Ils vont donc se retrouver plus souvent que les autres à
faire la vaisselle, et c'est ainsi que la division du travail se met en place."
Or, ce principe ne permet pas d'expliquer les observations des scientifiques.
Pour les
expliquer, les scientifiques ont dû élargir le modèle théorique
afin de prendre en compte non seulement les seuils de tolérance aux stimuli
mais aussi l'efficacité de chaque individu à réaliser une
tâche et la charge globale de travail dans la colonie. Ce modèle
doit encore être éprouvé, mais il ouvre déjà
des pistes, relève Yuko Ulrich. Il pourrait permettre de mieux comprendre
les autres systèmes biologiques complexes dans lesquels un grand nombre
d'individus hétérogènes interagissent et d'en prédire
le résultat collectif. Les scientifiques ont réalisé leurs
essais sur 120 colonies de fourmis, homogènes ou hétérogènes,
qu'ils ont élevées dans des boîtes de Petri transparentes.
Afin de pouvoir observer en permanence le comportement de chaque fourmi, ils
ont développé une installation de suivi automatique. "C'est
la première fois qu'un tel système est mis en oeuvre à
une cette échelle dans une étude sur les fourmis. Sans ce type
de logiciel, le suivi aurait été impossible", explique Yuko
Ulrich. Chaque expérience a duré environ un mois. Environ 7000
images ont été prises pour chaque colonie. Pour pouvoir être
identifiée par le logiciel, chaque fourmi a été peinte
avec une combinaison de couleurs unique. Sur la base du suivi de position de
chaque individu, le logiciel a calculé un indice de division du travail
dans chaque colonie. Il ne dit pas concrètement ce que fait chaque individu
mais donne des indices sur son rôle. "Si une fourmi reste souvent
à proximité du nid, on peut imaginer qu'elle s'occupe des larves.
Une fourmi qui se déplace beaucoup sera plus probablement en charge de
la recherche de nourriture", explique la scientifique."
Les fourmis Ooceraea sont capables de détecter qu'une congénère est infectée par les champignons Metharizium et vont la toiletter plus (Alciatore et al 2021).
Mark Moffett qui s'appelle Doctor Bugs) a fait sa thèse avec E.O. Wilson en partie sur une fourmi qu'il 'a baptisée fourmi maraudeuse. En fait ce n'est pas ce que l'on appelle la fourmi maraudeuse, c'est Pheidologeton diversus. Voir Interview : Best of Aout 2020 : Close Up par Patricia Lanza (Lien pour l'interview complète)
Voir
- Alciatore, G., L. V. Ugelvig, E. Frank, J. Bidaux, A. Gal, T. Schmitt, D.
J. C. Kronauer and Y. Ulrich (2021). Immune challenges increase network centrality
in a queenless ant. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences
288(1958): 20211456. doi: doi:10.1098/rspb.2021.1456.
-
Chandra, V., I. Fetter-Pruneda, P. R. Oxley, A. L. Ritger, S. K. McKenzie, R.
Libbrecht and D. J. C. Kronauer (2018). Social regulation of insulin signaling
and the evolution of eusociality in ants. Science 361(6400): 398-402. 10.1126/science.aar5723
- C.G. (2007). L'adaptabilité des fourmis. Pour la Science Octobre
2007, p. 31. Pdf
- Fraval A. (2018). Le gène de la
royauté. Epingle n° 1188. http://www7.inra.fr/opie-insectes/epingle18.htm
- Libbrecht, R., Peter R. Oxley, L. Keller and Daniel Jan C.
Kronauer (2016). Robust DNA Methylation in the Clonal Raider Ant Brain. Current
Biology in press. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2015.12.040
- Libbrecht, R., P. R. Oxley and D. J. C. Kronauer (2018). Clonal raider ant
brain transcriptomics identifies candidate molecular mechanisms for reproductive
division of labor. BMC Biology 16(1): 89. 10.1186/s12915-018-0558-8
- Michel (2007) Rien ne remplace l'expérience, même chez la
fourmi. 7 août 2007, http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=4377
Pdf
.
- Oxley, Peter R., L. Ji, I. Fetter-Pruneda, Sean K. McKenzie, C.
Li, H. Hu, G. Zhang and Daniel J. C. Kronauer (2014). The Genome of the
Clonal Raider Ant Cerapachys biroi. Current Biology(0). http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2014.01.018
- Ravary, F. and P. Jaisson (2002). The reproductive cycle of thelytokous colonies
of Cerapachys biroi Forel (Formicidae, Cerapachyinae). Insect. Soc. 49: 114-119.
http://dx.doi.org/10.1007/s00040-002-8288-9
-
Rosier, F. (2018). Comment la fourmi devient reine. Le Monde 8 août 2018.
p. 19. Pdf
- Teseo, S., Daniel J. C. Kronauer, P. Jaisson and N. Châline (2013).
Enforcement of Reproductive Synchrony via Policing in a Clonal Ant. Current
Biology(0). http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2013.01.011
- Teseo, S., E. Lecoutey, D. C. Kronauer, A. Hefetz, A. Lenoir, P. Jaisson and
N. Châline (2014). Genetic Distance and Age Affect the Cuticular Chemical
Profiles of the Clonal Ant Cerapachys biroi. Journal of Chemical Ecology: 1-10.
10.1007/s10886-014-0428-y. Pdf
- Trible,
W., L. Olivos-Cisneros, S. K. McKenzie, J. Saragosti, N.-C. Chang, B. J. Matthews,
P. R. Oxley and D. J. C. Kronauer (2017). orco Mutagenesis Causes Loss of Antennal
Lobe Glomeruli and Impaired Social Behavior in Ants. Cell 170(4): 727-735.e710.
https://doi.org/10.1016/j.cell.2017.07.001
- Ulrich, Y., M. Kawakatsu, C. K. Tokita, J. Saragosti, V. Chandra, C. E. Tarnita
and D. J. C. Kronauer (2021). Response thresholds alone cannot explain empirical
patterns of division of labor in social insects. PLos Biology 19(6): e3001269.
doi: 10.1371/journal.pbio.3001269.