Ooceraea (Cerapachys) biroi
Fourmi maraudeuse japonaise, fourmi pilleuse clonale, clonal raider ant
Alain Lenoir Mis à jour 14-Déc-2023
Petite fourmi de 2-3 mm qui vit dans des colonies de quelques dizaines d'ouvrières au maximum. Il n'y a pas de reines et les individus se reproduisent tous par clonage (parthénogenèse thélytoque). Cette fourmi a été très étudiée au LEEC de Villetaneuse sous la direction de Pierre Jaisson. Le cycle de cette fourmi est très particulier avec deux phases, l'une active de 16 jours avec des raids (pillage de larves d'autres espèces de fourmis) pour l'élevage des larves et ensuite de 18 jours pour la ponte (Ravary et Jaisson 2004, Michel 2007). Elle a été clonée en 2014 (Oxley et al 2014). Cerapachys biroi pratique le policing envers les pondeuses qui trichent (Teseo et al. 2013). Cette fourmi a envahi accidentellemnt des îles tropicales et subtropicales partout dans le monde. Voir Les guerres secrètes des fourmis p.77-78.
Pierre Jaisson écrivait en 1997 : "«Je suis allé la chercher au Japon. C'est une fourmi très difficile à découvrir, j'ai dû faire à peu près mille quatre cents trous avant de tomber dessus. Je l'ai observée tout l'été. C'est une espèce qui n'a pas de reine, figurez-vous, une fourmi égalitaire, marxiste en quelque sorte. J'ai confié la recherche à l'un de mes étudiants... »"
Daniel Kronauer a repris avec grand succès son étude. Il a fait la une de l'actualité avec plusieurs papiers très intéressants.
- avec un super papier dans Science sur le rôle de l'insuline dans la formation des reines chez Ooceraea (Cerapachys) biroi. Quand les reines sont en présence de larves cela inhibe le gène "ilp2" (insuline-like peptide 2) dans leur cerveau et elles arrêtent de pondre. Et si on injecte l'analogue de l'insuline elles continuent à pondre en présence des larves. Ce gène est retrouvé plus actif dans le cerveau des reines de 7 espèces étudiées. Les auteurs pensent que cela pourrait être une possibilité d'évolution vers l'eusocialité avec l'apparition de la caste reine (Chandra et al 2018, voir Rosier 2018). Voir Le gène de la royauté d'Alain Fraval
- et un autre sur la transcriptomique (Libbrecht et al 2018) où ils étudient l'expression des gènes pendant les deux phases du cycle. Ils identifient des gènes qui modulent la division du travail pour la reproduction, par exemple le gène de la transferrine ou de la vitellogénine.
- Sur les gènes des récepteurs odorants (ORs). Ils ont obtenu chez O. biroi une mutation du gène orco, fondamental dans la synthèse des récepteurs olfactifs. Cela rapproche ces "fourmis" des drosophiles qui ont 500 gènes ORs de moins que les fourmis (Trible et al 2017).
- L'équipe de D.
Kronauer reprend les explications sur la division du travail avec des fourmis
marquées (Ulrich et al 2021).
Selon
Presse
Portal du 18 juin 2021 : Une organisation collective complexe chez les fourmis."Les
chercheurs et chercheuses ont ainsi montré que l'organisation existant
dans une colonie homogène est modifiée lorsqu'on y introduit des
individus différents. "Des individus de taille différente
ont augmenté la division du travail dans la colonie, tandis que des individus
génétiquement différents l'ont réduite", explique
Yuko Ulrich, chercheuse à l'Université de Lausanne au moment de
l'étude. "En fait, chaque source d'hétérogénéité
génère un modèle distinct d'organisation comportementale
dans la colonie", précise-t-elle." "Des résultats
qui ont surpris les scientifiques en allant parfois à l'encontre des
théories actuelles sur les groupes sociaux. "On pense en effet que
les individus agissent en fonction de leur seuil de tolérance aux stimuli",
indique Yuko Ulrich. Pour expliquer ce principe, la scientifique propose un
parallèle avec les humains: "Dans une famille, certains individus
réagissent beaucoup plus vite que d'autres face à une pile de
vaisselle sale. Ils vont donc se retrouver plus souvent que les autres à
faire la vaisselle, et c'est ainsi que la division du travail se met en place."
Or, ce principe ne permet pas d'expliquer les observations des scientifiques.
Pour les
expliquer, les scientifiques ont dû élargir le modèle théorique
afin de prendre en compte non seulement les seuils de tolérance aux stimuli
mais aussi l'efficacité de chaque individu à réaliser une
tâche et la charge globale de travail dans la colonie. Ce modèle
doit encore être éprouvé, mais il ouvre déjà
des pistes, relève Yuko Ulrich. Il pourrait permettre de mieux comprendre
les autres systèmes biologiques complexes dans lesquels un grand nombre
d'individus hétérogènes interagissent et d'en prédire
le résultat collectif. Les scientifiques ont réalisé leurs
essais sur 120 colonies de fourmis, homogènes ou hétérogènes,
qu'ils ont élevées dans des boîtes de Petri transparentes.
Afin de pouvoir observer en permanence le comportement de chaque fourmi, ils
ont développé une installation de suivi automatique. "C'est
la première fois qu'un tel système est mis en oeuvre à
une cette échelle dans une étude sur les fourmis. Sans ce type
de logiciel, le suivi aurait été impossible", explique Yuko
Ulrich. Chaque expérience a duré environ un mois. Environ 7000
images ont été prises pour chaque colonie. Pour pouvoir être
identifiée par le logiciel, chaque fourmi a été peinte
avec une combinaison de couleurs unique. Sur la base du suivi de position de
chaque individu, le logiciel a calculé un indice de division du travail
dans chaque colonie. Il ne dit pas concrètement ce que fait chaque individu
mais donne des indices sur son rôle. "Si une fourmi reste souvent
à proximité du nid, on peut imaginer qu'elle s'occupe des larves.
Une fourmi qui se déplace beaucoup sera plus probablement en charge de
la recherche de nourriture", explique la scientifique."
Et encore en 2022 :
Quand la température monte la prise de décision de déménager
est collective et dépend du nombre de fourmis de la colonie. Attention
C. biroi forme de toutes petites colonies; donc les résultats
ne sont sans doute pas généralisables facilement.. (Gal et al
2022)
- Les fourmis se comportent comme un réseau de neurones (Futura-sciences,
25 juillet 2022)
"Une nouvelle étude s'est penchée sur la prise de décision
collective chez les colonies de fourmis. Elle démontre que le processus
est semblable au fonctionnement d'un réseau de neurones ! Des chercheurs
se sont penchés, dans une étude publiée dans la revue Proceedings
of the National Academy of Sciences, sur la prise de décision collective
qui s'y déroule. « Nous avons lancé une approche pour comprendre
la colonie de fourmis comme un système de type cognitif, qui perçoit
les entrées et les traduit ensuite en sorties comportementales, explique
Daniel J.C. Kronauer, premier auteur de l'étude et responsable du Laboratoire
d'Évolution Sociale et du Comportement de l'Université Rockefeller.
C'est l'une des premières étapes pour vraiment comprendre comment
les sociétés d'insectes s'engagent dans le calcul collectif ».
"Un comportement semblable à un réseau de neurones Pour
cela, ils ont augmenté progressivement la température au sein
de colonies de fourmis de différentes tailles, et ont observé
à partir de quel seuil les fourmis quittaient le nid, et de quelle façon.
Le suivi individuel s'est fait grâce à un marquage des fourmis
avec des points de couleur. Et ils ont constaté que le déménagement
de la colonie se faisait de manière soudaine, alors que juste avant les
fourmis se comportaient de manière habituelle. Ils ont aussi constaté
une différence de température limite selon la taille de la colonie.
Selon eux, tout se joue par une évaluation collective du rapport coût/bénéfice,
un processus similaire aux calculs neuronaux dont résultent des décisions.
Ainsi, pour une petite colonie, déplacer tous les individus est bien
moins coûteux que pour une grande colonie. Le déménagement
est déclenché plus tôt, donc à température
plus basse pour un petit groupe que pour un grand groupe. Mais comment les fourmis
ont-elles conscience de la taille de leur groupe ? D'après les chercheurs,
ce pourrait être dû à l'effet des phéromones, les
substances chimiques qui leur permettent de communiquer, qui serait plus intense
pour une grande colonie."
Le lait des fourmis. Une belle découverte de l'équipe de Kronauer : les pupes d'Oocera biroi secrètent lors de la mue imaginale un fluide riche en nutriments, hormones et substances neuroactives. Cette secrétion est rapidement consommée par les adultes Elle est cruciale pour la survie des pupes, si elle n'est pas consommée, des infections fongiques tuent la pupe. Cela peut être comparé au lait des mammifères (Snir et al 2022, voir commentaires de d'Ettorre et Tsuji 2022 et Herzberg 2022 avec interviews de Patrizia d'Ettorre et Laurent Keller).
Fourmis
transgéniques
et odorat chez les fourmis.
Cela devait arriver. C'est dans le laboratoire de Kronauer à New-York
avec la fourmi maraudeuse déjà célèbre pour son
lait de fourmis, Ooceraea biroi .
"Dans le
cadre d’une étude des chercheurs ont créé
des fourmis transgéniques dont les antennes brillaient en vert sous un
microscope. Ces manipulations ont permis d’observer la manière
dont le cerveau de ces insectes traite les odeurs alarmantes. Les résultats
identifient trois régions céYong-escamolerébrales uniques.
L’équipe a injecté aux œufs des insectes un vecteur
porteur d’un gène pour une protéine fluorescente verte combiné
à un gène exprimant une molécule indiquant l’activité
du calcium dans le cerveau. Les chercheurs ont ensuite exposé treize
de ces fourmis transgéniques à quatre phéromones d’alarme
et examiné par imagerie comment elles traitent les signaux de danger.
- Loubet Brice (2023). Des fourmis transgéniques mettent
en lumière leur puissant odorat.
sciencepost.fr
(19 janvier 2023)
- Hart, T., D. Frank, L. E. Lopes, L. Olivos-Cisneros, K. D. Lacy, W. Trible,
A. Ritger, S. Valdés-Rodríguez andD. J. C. Kronauer (2022). Sparse
and stereotyped encoding implicates a core glomerulus for ant alarm behavior.
bioRxiv:
2022.2012.2029.522224.
Il y a 500 lobes (glomérules) chez les fourmis en général.
Ils ont généré des fourmis transgéniques pour un
indicateur du calcium GCaMP dans les neurones olfactifs. Et surprise, seulement
6 glomérules sont activés en présence de phéromone
d'alarme qui déclenche la panique et l'évacuation du nid (4-me-3-heptanone,
4-me-3-heptanol). (Hart et al 2023, Herzberg 2023)
- Herzberg, N. (2023). Comment les fourmis perçoivent
l’odeur du danger. Le Monde Science et Médecine 21 juin 2023. p.
8. Avec interview de Patrizia
d'Ettorre.
- Hart, T., D. D. Frank, L. E. Lopes, L. Olivos-Cisneros, K. D. Lacy, W. Trible,
A. Ritger, S. Valdés-Rodríguez and D. J. C. Kronauer (2023). Sparse
and stereotyped encoding implicates a core glomerulus for ant alarm behavior.
Cell. https://doi.org/10.1016/j.cell.2023.05.025
Éclairer
l’évolution des fourmis parasites sociaux.
Oocerarea biroi, nous révèle encore plein de surprises.
Dans le labo de Daniel
Kronauer, Trible et coll (2023) ont montré qu'il pouvait apparaître
des mutantes ailées parasites, avec un supergène sur le chromosome
13..
Les fourmis Ooceraea sont capables de détecter qu'une congénère
est infectée par les champignons Metharizium et vont la toiletter
plus (Alciatore et al 2021).
Voir aussi Yuko
Ulrich, responsable de groupe à l’Institut Max-Planck de Iéna
: Lutte
anti-épidémies au pays des fourmis.
"Des milliers d’animaux dans un espace très restreint:
dans les fourmilières, les agents pathogènes devraient avoir la
partie facile. Mais ces insectes parviennent malgré tout à tenir
les épidémies en échec". de Simon Koechlin, 2
mars 2023 (Horizons,
merci à Max Huber).
Mark Moffett qui s'appelle Doctor Bugs) a fait sa thèse avec E.O. Wilson en partie sur une fourmi qu'il 'a baptisée fourmi maraudeuse. En fait ce n'est pas ce que l'on appelle la fourmi maraudeuse, c'est Pheidologeton diversus. Voir Interview : Best of Aout 2020 : Close Up par Patricia Lanza (Lien pour l'interview complète).
Dans Un monde immense : Comment les animaux perçoivent le monde de Ed Yong (2023), la fourmi pilleuse clonale (Ooceraea biroi) est particulièrement présentée avec les travaux de Daniel J.C. Kronauer et Leonora Olivos-Cisneros. Pdf
Voir
- Alciatore, G., L. V. Ugelvig, E. Frank, J. Bidaux, A. Gal, T. Schmitt, D.
J. C. Kronauer and Y. Ulrich (2021). Immune challenges increase network centrality
in a queenless ant. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences
288(1958): 20211456. doi: doi:10.1098/rspb.2021.1456.
-
Chandra, V., I. Fetter-Pruneda, P. R. Oxley, A. L. Ritger, S. K. McKenzie, R.
Libbrecht and D. J. C. Kronauer (2018). Social regulation of insulin signaling
and the evolution of eusociality in ants. Science 361(6400): 398-402. 10.1126/science.aar5723
- C.G. (2007). L'adaptabilité des fourmis. Pour la Science Octobre
2007, p. 31. Pdf
- d’Ettorre,
P. and K. Tsuji (2022). A fluid role in ant society as adults give larvae ‘milk’
from pupae. Nature 30 November 2022. doi: 10.1038/d41586-022-03722-4. .
- Fraval A. (2018). Le gène de la
royauté. Epingle n° 1188. http://www7.inra.fr/opie-insectes/epingle18.htm
- Gal, A. and D. J. C. Kronauer (2022). The emergence of a collective sensory
response threshold in ant colonies. Proceedings of the National Academy of Sciences
119(23): e2123076119. doi: doi:10.1073/pnas.2123076119.
-
Hart, T., D. D. Frank, L. E. Lopes, L. Olivos-Cisneros, K. D. Lacy, W. Trible,
A. Ritger, S. Valdés-Rodríguez and D. J. C. Kronauer (2023). Sparse
and stereotyped encoding implicates a core glomerulus for ant alarm behavior.
Cell. https://doi.org/10.1016/j.cell.2023.05.025
- Herzberg, N. (2022) Les pupes de fourmis fabriquent un lait magique pour
la colonie. Le
Monde 4 décembre 2022. Avec interviews de Patrizia d'Ettorre
et Laurent Keller.
-
Herzberg, N. (2023). Comment les fourmis perçoivent l’odeur du
danger. Le Monde Science et Médecine 21 juin 2023. p. 8. Avec
interview de Patrizia
d'Ettorre. Pdf
- Libbrecht, R., Peter R. Oxley, L. Keller and Daniel Jan C.
Kronauer (2016). Robust DNA Methylation in the Clonal Raider Ant Brain. Current
Biology in press. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2015.12.040
- Libbrecht, R., P. R. Oxley and D. J. C. Kronauer (2018). Clonal raider ant
brain transcriptomics identifies candidate molecular mechanisms for reproductive
division of labor. BMC Biology 16(1): 89. 10.1186/s12915-018-0558-8
- Michel (2007) Rien ne remplace l'expérience, même chez la
fourmi. 7 août 2007, http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=4377
Pdf
.
- Oxley, Peter R., L. Ji, I. Fetter-Pruneda, Sean K. McKenzie, C.
Li, H. Hu, G. Zhang and Daniel J. C. Kronauer (2014). The Genome of the
Clonal Raider Ant Cerapachys biroi. Current Biology(0). http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2014.01.018
- Ravary, F. and P. Jaisson (2002). The reproductive cycle of thelytokous colonies
of Cerapachys biroi Forel (Formicidae, Cerapachyinae). Insect. Soc. 49: 114-119.
http://dx.doi.org/10.1007/s00040-002-8288-9
-
Rosier, F. (2018). Comment la fourmi devient reine. Le Monde 8 août 2018.
p. 19. Pdf
- Snir, O., H. Alwaseem, S. Heissel, A. Sharma, S. Valdés-Rodríguez,
T. S. Carroll, C. S. Jiang, J. Razzauti and D. J. C. Kronauer (2022). The pupal
moulting fluid has evolved social functions in ants. Nature. doi: 10.1038/s41586-022-05480-9.
- Teseo, S., Daniel J. C. Kronauer, P. Jaisson and N. Châline (2013).
Enforcement of Reproductive Synchrony via Policing in a Clonal Ant. Current
Biology(0). http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2013.01.011
- Teseo, S., E. Lecoutey, D. C. Kronauer, A. Hefetz, A. Lenoir, P. Jaisson and
N. Châline (2014). Genetic Distance and Age Affect the Cuticular Chemical
Profiles of the Clonal Ant Cerapachys biroi. Journal of Chemical Ecology: 1-10.
10.1007/s10886-014-0428-y. Pdf
- Trible,
W., L. Olivos-Cisneros, S. K. McKenzie, J. Saragosti, N.-C. Chang, B. J. Matthews,
P. R. Oxley and D. J. C. Kronauer (2017). orco Mutagenesis Causes Loss of Antennal
Lobe Glomeruli and Impaired Social Behavior in Ants. Cell 170(4): 727-735.e710.
https://doi.org/10.1016/j.cell.2017.07.001
- Trible, W., V. Chandra, K. D. Lacy, G. Limón, S. K. McKenzie, L. Olivos-Cisneros,
S. V. Arsenault and D. J. C. Kronauer (2023). A caste differentiation mutant
elucidates the evolution of socially parasitic ants. Current Biology 33(6):
1047-1058.e1044. 10.1016/j.cub.2023.01.067 (libre d'accès)
- Ulrich, Y., M. Kawakatsu, C. K. Tokita, J. Saragosti, V. Chandra, C. E. Tarnita
and D. J. C. Kronauer (2021). Response thresholds alone cannot explain empirical
patterns of division of labor in social insects. PLos Biology 19(6): e3001269.
doi: 10.1371/journal.pbio.3001269.