Lutte anti-épidémies au pays des fourmis
Alain Lenoir mis à jour 23-Mai-2023
Des milliers d’animaux dans un espace très restreint:
dans les fourmilières, les agents pathogènes devraient avoir la
partie facile. Mais ces insectes parviennent malgré tout à tenir
les épidémies en échec.
Simon Koechlin, 2 mars 2023
(Horizons,
merci à Max Huber).
Vivre les uns sur les autres comporte des risques. Nous, les
humains, le savons au moins depuis la pandémie de coronavirus. Les fourmilières
représentent un exemple parfait de contacts sociaux étroits dans
de grands ensembles. Yuko Ulrich, responsable de groupe à l’Institut
Max-Planck de Iéna et ancienne professeure assistante à l’ETH
Zurich, étudie la dynamique des infections dans les colonies de fourmis.
Son modèle est la fourmi prédatrice clonale Ooceraea biroi
originaire d’Asie. L’espèce a la particularité de
ne pas avoir de reine et de se composer exclusivement d’ouvrières
qui pondent toutes le même jour des œufs non fécondés
desquels va éclore la génération suivante. Comme les colonies
n’ont pas besoin d’être grandes pour fonctionner, la chercheuse
peut les étudier dans des boîtes de Petri. Chaque fourmi porte
sur le dos un code en couleur. Des caméras et un logiciel enregistrent
les parcours de chacune d’entre elles.
«Nous nous attendions plutôt à ce que les animaux malades
soient mis à l’isolement.»Yuko Ulrich
Avec son équipe, Yuko Ulrich étudie comment elles s’aperçoivent qu’une congénère est malade et leurs réactions. Pour cela, les scientifiques ont contaminé des insectes avec des spores fongiques. Leurs congénères ont immédiatement repéré les fourmis infectées et les ont soignées. Elles leur ont enlevé les spores, ce qui a nettement accru leurs chances de survie. «Nous avons été quelque peu surprises que les fourmis en bonne santé s’occupent à ce point de leurs collègues de nid malades, note Yuko Ulrich. Nous nous attendions plutôt à ce que celles-ci soient isolées.»
Les deux stratégies – soins et isolement –
sont connues chez les fourmis, et ne s’excluent pas forcément,
selon Nathalie Stroeymeyt, qui a mené des recherches sur les épidémies
chez les fourmis à Lausanne et à Fribourg, et qui travaille maintenant
à l’Université de Bristol. «Dans la phase initiale
d’une épidémie, les individus infectés peuvent s’isoler
eux-mêmes en passant plus de temps à l’extérieur de
la fourmilière tout en recevant des soins accrus de la part de leurs
compagnons de nid», explique-t-elle. Une étude menée sur
une couvée infectée a même montré que les nourrices
peuvent passer d’une stratégie de soins à celle de la mise
à mort dès que le taux de contamination devient trop important.
«Es gibt theoretische Voraussagen, wonach Erreger sich langsamer in sozialen
Netzwerken ausbreiten, die aus verschiedenen Kasten bestehen.»Yuko Ulrich
Les soins comme l’isolement ont leurs avantages et inconvénients,
ajoute Yuko Ulrich. Soigner une congénère malade représente
un risque de contamination, toutefois certainement limité en cas d’infection
fongique. Mais il pourrait en être autrement d’un autre parasite.
La chercheuse prévoit donc d’étudier la réaction
des colonies à de nombreux autres agents pathogènes, dont des
nématodes et des virus. «Nous partons du principe que les fourmis
évaluent à quel moment quelle stratégie est la plus judicieuse
– par exemple sur la base du danger que représente un parasite.»
Réaction à une inflammation artificielle
Une question reste ouverte: comment les individus malades sont-ils identifiés? «Les fourmis pouvaient sans doute déceler l’odeur des spores fongiques, dit Yuko Ulrich. Mais nous voulions savoir si elles percevaient aussi une odeur de maladie produite par l’hôte.»
A cette fin, l’équipe leur a injecté une substance provoquant une réaction inflammatoire dans l’organisme. Cela pour simuler une infection sans que le sujet soit contagieux. Résultat: même sans agent pathogène, les fourmis malades ont été identifiées et ont reçu des soins corporels. Toutefois, l’hypothèse de Yuko Ulrich, selon laquelle les fourmis le détectent via une sorte de molécule odorante sur la peau, n’a pas été confirmée dans leur étude. Il existe de nombreux autres signes de reconnaissance possibles, dit-elle. Par exemple des substances odorantes volatiles ou tout simplement le comportement. Tout comme nous, les êtres humains, savons souvent intuitivement si quelqu’un se déplace plus lentement ou différemment à cause d’une maladie.
Selon la chercheuse, les fourmis permettent de tester des modèles mathématiques également utilisés pour les épidémies chez l’être humain. «Il existe par exemple des prévisions théoriques selon lesquelles les agents pathogènes se propagent moins vite dans les réseaux sociaux constitués de différentes castes chargées de tâches déterminées.» La chercheuse reste cependant prudente face à l’idée de tirer des conclusions de ses études pour les épidémies humaines. «Il y a trop de différences entre les fourmis et les êtres humains.»