Alain Lenoir Principaux thèmes de recherches

Mis à jour 10-Jan-2020

1) La division du travail

Thèse de doctorat d’État sur la division du travail.
Mon directeur de thèse, Henri Verron, m’avait suggéré de marquer individuellement les fourmis pour voir la variabilité interindividuelle, ce qui était une idée très originale. J’ai donc observé des fourmis marquées avec une pastille numérotée, mises au point par Serge Barreau, ingénieur au labo. On a d’abord utilisé des pastilles métalliques, puis en papier photo (Verron and Barreau 1974; Verron 1977). Ne connaissant rien aux fourmis, j’ai tout simplement choisi la plus courante, la petite fourmi noire des jardins Lasius niger. J’ai alors fait des diagrammes de petites sociétés montrant les contacts entre individus, envers la reine et les larves, la récolte de nourriture (Lenoir 1974). J’ai commencé à traiter ces données en analyse factorielle, ce qui n’était pas du tout connu à l’époque. En collaboration avec un informaticien, Jean-Claude Mardon, nous avons fait des analyses de correspondance montrant trois groupes dans la colonie (nourrices, pourvoyeuses et peu actives) (Lenoir and Mardon 1978). Tout cela a débouché sur ma thèse d’état, thèse publiée intégralement comme cela se faisait à l’époque (Lenoir 1979).

On a aussi montré la variabilité interindividuelles dans les comportements à l’intérieur d’une colonie de fourmis, appelée idiosyncrasie (pour le Larousse : Manière d'être particulière à chaque individu qui l'amène à avoir tel type de réaction, de comportement qui lui est propre). De nombreux travaux ont été réalisés à cette période dans le laboratoire de Tours, puis sur le comportement nécrophorique de Lasius niger où l’on montrait l’absence de cimetières (Ataya and Lenoir 1984). J’ai aussi découvert que dans la colonie il existe de nombreuses fourmis inactives qui passent la quasi-totalité de leur vie inactives, même âgées (Lenoir 1979).

La division du travail reste d’actualité. Il en est de même pour ’idiosyncrasie qui revient sous la notion de personnalité : individus qui présentent un comportement singulier régulier (Animal personality: individuals within a population exhibit consistency in a single behavior). voir Division du travail

2) Les hydrocarbures cuticulaires et l'odeur coloniale

Après ma thèse de Doctorat d’État j’ai voulu travailler sur d’autres espèces et un autre modèle, d’abord sur les Cataglyphis cursor dont les ouvrières sont parthénogénétiques à la sortie d’hivernation en absence de reine (Cagniant 1979; Lenoir et Cagniant 1986) et ensuite sur Camponotus fellah et Aphaenogaster senilis. On a réalisé de nombreux travaux sur la nestmate recognition.

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L’apprentissage de l’odeur coloniale chez les larves de fourmis. Cela a été une grande découverte que les jeunes larves de Cataglyphis cursor sont capables d’apprendre l’odeur de leur colonie et d’en garder la mémoire à travers la métamorphose (Isingrini et al. 1985). Notre article est toujours très cité. Cela a été confirmé chez deux espèces avec des variations entre espèces.

- Le rôle des hydrocarbures dans la reconnaissance coloniale est bien montré. Il y a une « gestalt » (un peu comparable à un code-barres) partagée et mise à jour constamment entre les individus. Les jeunes fourmis ont très peu d’hydrocarbures (« chemical insignificance ») et passent donc inaperçues. Quelques jours après elles ont leur profil mature (« chemical integration »). Tous ces travaux ont été synthétisés dans un chapitre de livre (Lenoir et al. 1999) puis dans une revue publiée dans Annual Review of Entomology (Lenoir et al. 2001), revue encore très citée. Raphaël Boulay a dans sa thèse montré entre autres les effets de l’isolement social sur les Camponotus fellah. Celles-ci trophallaxent plus après isolement pour mettre à jour leur odeur coloniale (Boulay et al. 1999).

Nous avons fait aussi de nombreux autres travaux sur les hydrocarbures :

- entre supercolonies comme Solenopsis saevissima en Guyane (Lenoir et al. 2016)
- entre les esclavagistes Polyergus et leurs esclaves Formica avec homogénéisation incomplète des odeurs (D'Ettorre et al. 2002). Ce fait a été retrouvé et confirmé chez Rossomyrmex et Proformica (Errard et al. 2006). Les Polyergus semblent être des fourmis fragiles sensibles aux pollutions. Je l'ai observé près de chez moi à Azay-sur-Cher (près de Tours) où il y avait plusieurs colonies de Polyergus. Thibaud Monnin était venu les photographier pour le livre "Guide des fourmis de France" et elles ont toutes disparues.
- entre myrmécophiles et leurs hôtes comme des coléoptères Thorictus qui passent leur vie sur les antennes de leur hôte Cataglyphis (Lenoir et al. 2013).
- les parasitoïdes qui ont un mimétisme chimique imparfait doivent sortir très vite du nid de la fourmi hôte (Pérez-Lachaud et al. 2015).

Biosystématique
Les hydrocarbures cuticulaires servent aussi de marqueur de l'identité spécifique. On les a utilisés dans plusieurs cas :
- des différences entre espèces, par exemple chez Cataglyphis (Dahbi et al. 2008)
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pour une nouvelle espèce Proformica longipilosa et les espèces voisines (Galkowski et al 2017)

3) Les phtalates

Dans les chromatographies on trouve très souvent des pollutions. La plus fréquente est la présence de phtalates signalés par de nombreux auteurs. J’ai essayé de voir ce qu’étaient ces substances et pourquoi on les trouve sur la cuticule des fourmis. Les phtalates sont des plastifiants qui rendent les plastiques plus souples. On les trouve dans tous les plastiques, parfois en grande quantité. La liaison chimique plastique – phtalate n’étant pas stable, les phtalates sont libérés et se retrouvent dans l’eau, le sol, les aliments et même l’atmosphère. Ils sont très lipophiles et sont piégés sur la cuticule des insectes et donc des fourmis. On a publié ces données en 2012 (Lenoir et al. 2012), ce qui nous a valu un article dans le Figaro. Les phtalates perturbent l’immunité des fourmis (Cuvillier-Hot et al. 2014) et sont absorbés par la cuticule (Lenoir et al. 2014). On les trouve partout même en pleine forêt amazonienne en Guyane loin de toute activité humaine, sans doute transportés par le vent accrochés à des microparticules (Lenoir et al. 2016, avec gros impact médiatique, dont France5 et le Monde).
Le problème est que les phtalates sont des perturbateurs endocriniens avec des effets nocifs considérables. La terre est mal partie et l’humanité face à un empoisonnement progressif qui hélas est de plus en plus évident.

3) Fourmis et bactéries

Depuis quelques années on découvre l'importance de divers micro-organismes qui sont hébergés par les macro-organismes comme les fourmis. Chez Camponotus les bactéries symbiotes Blochmania ont été découvertes depuis plus d'un siècle mais leur rôle vient seulement d'être compris. En effet il est impossible de les élever comme des bactéries "normales". Chez C. fellah, on les trouve dans le tube digestif dans des cellules spécialisées appelées bactériocytes. Danival Souza à Tours pendant sa thèse a montré qu'elles facilitent la croissance de la colonie et les défenses immunitaires (de Souza et al 2006, de Souza et al 2009). Ces bactéries sont transmises par la reine depuis ses ovaires vers les oocytes (Kupper et al 2016). Si on traite les fourmis avec un antibiotique, elles vont réagir comme en situation de stress, produire plus d'hydrocarbures cuticulaires et devenir plus mélanisées (Souza et al 2011). Voir Fourmis-Bactéries

Il est même possible que la production d'alcaloïdes soit liée à la présence de bactéries comme cela vient d'être montré chez les Aphaenogaster. A. senilis a de grandes quantités d'alcaloïdes dans sa glande à poison alors que A. iberica n'en a  pas du tout. Si on traite les A. senilis avec un antibiotique, la production d'alcaloïdes chute considérablement (94%). Le traitement induit aussi un état de stress qui se traduit par une augmentation d'hydrocarbures cuticulaires. Le traitement n'a aucun effet sur A. iberica (Lenoir et Devers 2018).

4) La police chez les fourmis

Existe-t-il une police chez les fourmis pour neutraliser des tricheurs qui ne respectent pas l'intérêt général de la colonie ? Il semble bien que oui. Nous avons découvert une forme de police chez des fourmis Aphaenogaster senilis. Les ouvrières sont capables de pondre des oeufs haploïdes en absence de la reine, mais certaines échappent à l'inhibition royale et pondent même en présence de celle-ci (voir Tricherie). Il existe un mécanisme de régulation puisque ces ouvrières sont reconnues par les non-tricheuses car elles ont une odeur cuticulaire un peu différente et elles sont attaquées, leurs oeufs sont mangés. On parle de "police" dans la colonie (Ichinose and Lenoir 2009). Voir Police chez les fourmis

5) Divers

Méli-mélo génétique.
On ne compte plus les publications qui montrent un mélange extraordinaire de gènes entres espèces. C’est ainsi que chez les fourmis des transposons de lépismes myrmécophiles Atelura existent chez les fourmis Formica cunicularia avec probablement un transfert horizontal dont le mécanisme est inconnu (Sanllorente et al. 2015). Voir Transferts de gènes

6) Et autres

J'ai participé à la rédaction du Guide des fourmis de France avec Thibaud Monnin, Xavier Espadaler et Christian Peeters (Monnin et al. 2013)

Xavier Espadaler a décrit une nouvelle espèce de champignons parasites de fourmis que j’ai trouvés en Grèce sur des Messor : Rickia lenoirii (Santamaria and Espadaler 2015). Brian Taylor avait décrit une nouvelle espèce de Cataglyphis du Burkina Faso C. lenoirii, mais qui s'est révélée ensuite être C. saharae (voir plus)

Publications
- voir liste complète

- Ataya, H. and A. Lenoir (1984). Le comportement nécrophorique chez la fourmi Lasius niger L. Insectes Sociaux. 31: 20-33. Pdf
- Cuvillier-Hot, V., K. Salin, S. Devers, A. Tasiemski, P. Schaffner, R. Boulay, S. Billiard and A. Lenoir (2014). Impact of ecological doses of the most widespread phthalate on a terrestrial species, the ant Lasius niger. Environmental Research. 131: 104-110. http://dx.doi.org/10.1016/j.envres.2014.03.016 Pdf
- Dahbi, A., A. Hefetz and A. Lenoir (2008). Chemotaxonomy of some Cataglyphis ants from Morocco and Burkina Faso. Biochemical Systematics and Ecology. 36: 564-572. Pdf
- D'Ettorre, P., N. Mondy, A. Lenoir and C. Errard (2002). Blending on with the crowd: social integration into their host colonies using a flexible signature. Proc. R. Soc. London B. 269: 1911-1918. Pdf
- de Souza, D.J., A. Bézier, D. Depoix, J.-M. Drezen and A. Lenoir (2009).
Blochmannia endosymbionts improve colony growth and immune defence in the ant Camponotus fellah. BMC Microbiology 9(1): 29. Pdf

- de Souza, D. J., D. Depoix, J. Lesobre and A. Lenoir (2006). Camponotus fellah (Formicidae : Formicinae) et son endosymbionte, Candidatus Blochmannia. Union internationale pour l’étude des insectes sociaux – section française. Colloque annuel. Avignon – 24-27 avril 2006: 62. Pdf

- de Souza, D. J., S. Devers and A. Lenoir (2011). Blochmannia endosymbionts and their host, the ant Camponotus fellah: Cuticular hydrocarbons and melanization. Comptes Rendus Biologie 334: 737-741. Pdf
- Errard, C., F. Ruano, F.-J. Richard, A. Lenoir, A. Tinaut and A. Hefetz (2006). Co-evolution-driven cuticular hydrocarbon variation between the slave-making ant Rossomyrmex minuchae and its host Proformica longiseta (Hymenoptera: Formicidae). Chemoecology. 16: 235-240. Pdf
- Galkowski, C., C. Lebas, P. Wegnez, A. Lenoir and R. Blatrix (2017). Redescription of Proformica nasuta (Nylander, 1856) (Hymenoptera, Formicidae) using an integrative approach. European Journal of Taxonomy 290: 1-40. https://doi.org/10.5852/ejt.2017.290 Pdf
- Ichinose, K. and A. Lenoir (2009). Reproductive conflict between laying workers in the ant Aphaenogaster senilis. Journal of Ethology 27: 475-481. Pdf
- Isingrini, M., A. Lenoir and P. Jaisson (1985). Preimaginal learning as a basis of colony-brood recognition in the ant Cataglyphis cursor. Proceeding of the National Academy of Science of USA. 827: 8545-8547. Pdf
- Lenoir, A. (1974). Les relations trophallactiques au sein des jeunes sociétés de Lasius niger (Hyménoptères Formicidae). Comptes Rendus Académie des Sciences, Paris. 279: 1781-1784. Pdf
- Lenoir, A. (1979). Le comportement alimentaire et la division du travail chez la fourmi Lasius niger. Bulletin Biologique de la France et de la Belgique. 113: 79-314. Pdf
- Lenoir, A. and H. Cagniant (1986). Role of worker thelytoky in colonies of the ant Cataglyphis cursor (Hymenoptera: Formicidae). Entomologia Generalis. 11: 153-157. Pdf
- Lenoir, A., J. Háva, A. Hefetz, A. Dahbi, X. Cerdá and R. Boulay (2013). Chemical integration of Thorictus myrmecophilous beetles into Cataglyphis ant nests. Biochemical Systematics and Ecology. 51: 335-342. 10.1016/j.bse.2013.10.002. Pdf
- Lenoir, A., V. Cuvillier-Hot, S. Devers, J.-P. Christidès and F. Montigny (2012). Ant cuticles: a trap for atmospheric phthalate contaminants. Science of The Total Environment. 441: 209-212. Pdf
- Lenoir, A., A. Touchard, S. Devers, J.-P. Christides, R. Boulay and V. Cuvillier-Hot (2014). Ant cuticular response to phthalate pollution. Enviromnental Science and Pollution Research. 21: 13446-13451. DOI 10.1007/s11356-014-3272-2 Pdf
- Lenoir, A., S. Devers, A. Touchard and A. Dejean (2016). The Guianese population of the fire ant Solenopsis saevissima is unicolonial. Insect Science. n/a-n/a. 10.1111/1744-7917.12232. Pdf
- Lenoir, A., R. Boulay, A. Dejean, A. Touchard and V. Cuvillier-Hot (2016). Phthalate Pollution in an Amazon Rainforest Enviromnental Science and Pollution Research 23(16): 16865-16872. DOI: 10.1007/s11356-016-7141-z Pdf
- Lenoir, A. and S. Devers (2018). Alkaloid secretion inhibited by antibiotics in Aphaenogaster ants. Comptes Rendus Biologies 341: 358-361. https://doi.org/10.1016/j.crvi.2018.06.004 Pdf
- Monnin, T., X. Espadaler, A. Lenoir and C. Peeters (2013). Guide des fourmis de France, Belin, 160 p.
- Pérez-Lachaud, G., J. C. Bartolo-Reyes, C. M. Quiroa-Montalván, L. Cruz-López, A. Lenoir and J.-P. Lachaud (2015). How to escape from the host nest: Imperfect chemical mimicry in eucharitid parasitoids and exploitation of the ants’ hygienic behavior. Journal of Insect Physiology. http://dx.doi.org/10.1016/j.jinsphys.2015.03.003
- Sanllorente, O., J. Vela, P. Mora, T. Palomeque, A. Lenoir and P. Lorite (2015). Presence of ant transposons in the genome of the silverfish Atelura formicaria (Zygentoma, Ateluridae). 28 Congrès Union Internationale pour l'Etude des Insectes Sociaux, Tours 26-28 août. Tours: 127. Pdf

Autres références
- Cagniant, H. (1979). La parthénogenèse thélytoque et arrhénotoque chez la fourmi Cataglyphis cursor Fonsc. (Hym., Form.). Cycle biologique en élevage des colonies avec reine et des colonies sans reine. Insectes Sociaux. 26: 51-60.
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Kupper, M., C. Stigloher, H. Feldhaar and R. Gross (2016). Distribution of the obligate endosymbiont Blochmannia floridanus and expression analysis of putative immune genes in ovaries of the carpenter ant Camponotus floridanus. Arthropod Structure & Development. http://dx.doi.org/10.1016/j.asd.2016.09.004
- Santamaria, S. and X. Espadaler (2015). Rickia lenoirii, a new ectoparasitic species, with comments on world Laboulbeniales associated with ants. Mycoscience. 56: 224-229.
- Verron, H. (1977). Note sur la manifestation de traits éthologiques distinctifs chez les ouvrières de Lasius niger (Hyménoptère, Formicidae) dans un comportement de transport de matériaux. C. R. Hebd. Sean. Acad. Sci. Ser. D. Sci. Nat. 285: 419-421.
- Verron, H. and S. Barreau (1974). Une technique de marquage des insectes de petite taille. Bulletin Biologique de la France et de la Belgique. 108: 259-262.