La phéromone royale en débat : le buzz de l’année 2015

Alain Lenoir - Mis à jour le 17 mai 2016   

La phéromone royale (« Queen mandibular pheromone » ou QMP, qualifiée de « primer pheromone ») de la reine d’abeille, la fameuse 9ODA (9-oxo-2-decenoic acid) des glandes mandibulaires, a été identifiée dans les années 60 en parallèle par Janine Pain (Pain 1961; Pain and Barbier 1963) (on la qualifiat à l’époque de phérormone) et Butler (Butler et al. 1962) - (voir par exemple (Le Conte and Hefetz 2008) – il y a au moins 17 composants connus actuellement). Plus tard ce sont Fletcher et Blum qui ont montré l’existence d’une phéromone de reine chez la fourmi de feu Solenopsis invicta sans l’identifier (Fletcher and Blum 1981). Il s’agit d’un mélange de pyranes appelé invictolide (Rocca et al. 1983; Rocca et al. 1983) dont le mode d’action a été élucidé bien plus tard (Vargo and Laurel 1994). Plus récemment, on retrouve cela chez le termite Nasutitermes takasagoensis (Matsuura et al. 2010) et Zootermopsis nevadensis où la phéromone est le 6,9,17-tritriacontatriène (Liebig et al 2009, Brent et al 2016). Voir la synthèse de Villata et al (2018).

Chez de nombreuses autres espèces bourdons, guêpes et fourmis, on parle de signal chimique (« queen signal » appelé aussi signal « honnête » ou signal de fertilité) qui informe sur la fécondité de la dominante et incite les subordonnées à obtenir plus de fitness en restant stériles et agissant comme helpers pour leur sœurs proches parentes. Cette idée de signal « honnête » a été présentée pour la première fois par Keller et Nonacs en 1993 (Keller et Nonacs 1993). Ce signal est stable évolutivement et se retrouve chez 64 espèces d'hyménoptères sociaux (Oi et al. 2015). Il serait présent chez les ancêtres des hyménoptères sociaux au Crétacé (145 millions d’années) où il aurait servi de phéromone sexuelle (Chapuisat 2014; Van Oystaeyen et al. 2014, voir Morin 2014). Chez Vespula germanica et Cataglyphis iberica ce serait C27, C29 et 3MeC29 ; chez Bombus terrestris C25 et 4 esters spécifiques des reines (eicosyl, docosyl, tétracosyl et hexacosyl oléates). Il y a des coléoptères parasitoïdes de Vespula vulgaris qui miment le pattern d’hydrocarbures de leur hôte et même produisent plus de C29, la phéromone royale, pour être acceptés plus facilement (Van Oystaeyen et al. 2015). On trouve aussi un signal de reine chez la guêpe Dolichovespula saxonica (Van Zweden et al. 2013). Chez Lasius niger c’est le 3MeC31 (Holman et al. 2010), travail confirmé sur trois espèces (L. niger, L. flavus et L. lasioides) (Holman et al. 2016), voir le livre de Luc Passera "Les insectes rois de de l'adaptation" (p.77). On retrouve le 3MeC31 sur les œufs aussi. Les deux formes (S) et (R) sont actives pour bloquer le développement ovarien des ouvrières (de Narbonne et al. 2016). La phéromone royale chez l'abeille, Lasius flavus et L. niger affecte l'expression de deux gènes de méthyltransférase, mais pas chez Bombus terrestris (Holman et al 2016).
Le travail sur Bombus est contesté par Etya Amsalem* qui ne retrouve pas de queen pheromone ou queen signal chez Bombus impatiens : pour C23, C25 et C27 il existe bien des différences quantitatives pour ces hydrocarbures entre ouvrières naïves ou expérimentées, mais aucun d’eux n’a d’effets sur la reproduction (Amsalem et al. 2015). Les auteurs confirment ce résultat dans un autre article où ils montrent que les contacts avec la reine sont nécessaires, le signal chimique étant un signal honnête supplémentaire (Padilla et al 2016). Voir Amsalem (2021).

Le débat est loin d’être clos… Par exemple chez la fourmi d'Argentine, le profil des reines qui survivent à l'exécution printanière est différent de celui de celles qui sont exécutées; 5 hydrocarbures sont en quantités différentes. Les hydrocarbures sont sans doute un signal de reine mais il est complexe avec plusieurs substances; les auteurs prudemment ne parlent pas de phéromone royale mais de signal de fertilité qualifié d'honnête (Abril et al 2017, 2018). Les reines les plus productives ont plus de certains hydrocarbures comme les 5,11-diMeC29, 5,11-diMeC31, 11-MeC33, et 5,11-diMeC33 (Abril et Gomez 2020).

Chez Cataglyphis niger il existe une cour royale autour des reines (Brodzeski et al 2019). Comment sont-elles reconnues ?

      

Un tel signal de fertilité existerait chez les ouvrières orphelines de Neoponera apicalis, ce serait le tricosane (C23). Un taux élevé permet d'accéder plus rapidement au sommet de la hiérarchie et de se reproduire pour donner des mâles (Honorio et al 2019).

Dans un article de Penick (et al 2021) on voit les profils très différents d'hydrocarbures des ouvrières et gamergates d'Harpegnathos saltator avec une "phéromone royale" le 13-23-diméthylheptatriacontane (13,23C37). Les gamergates "reversed" qui avaient développé leurs ovaires mais remises dans la colonie reprennent le profil d'une ouvrière.

Les phéromones des reines de fourmis. Revue très complète sur ce sujet (Zeng 2023)
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Rémy Chauvin dans son livre "Dieu des fourmis Dieu des Etoiles" (1988) se plaint que Mlle Pain et Michel Barbier à Bures sur Yvette n'ont obtenu aucune récompense des instances officielles du CNRS" (p. 78-79)

*Ancienne étudiante d’Abraham Hefetz, actuellement chez Christina Grozinger en Pennsylvanie

Références

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