Interview de Joël Meunier
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ton parcours
Je suis originaire de Montpellier. J’y ai fait mes études jusqu’en
2004 (Master 1) puis j’ai suivi le Master 2 BEE (Biodiversité,
Ecologie et Evolution) à Paris. Fin 2005, j’ai commencé
un doctorat à l’université de Lausanne (Suisse) sous la
direction de Michel
Chapuisat. J’ai soutenu ma thèse en 2009 et enchainé
avec un post-doctorat de 3 ans à l’université de Bâle
(Suisse) dans l’équipe de Mathias Kölliker. En 2012, j’ai
été recruté en tant que professeur assistant à l’université
de Mayence (Allemagne) dans le département dirigé par Susanne
Foitzik. En 2016, j’ai intégré le CNRS et depuis, je travaille
en tant que chargé de recherche à l’Institut de Recherche
sur la Biologie de l’Insecte (IRBI, Université de Tours).
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comment a débuté ton intérêt pour les fourmis
Un peu par hasard. Avant d’arriver à Paris, ma formation universitaire
était assez générale et mes quelques enseignements spécialisés
m’avaient plutôt amené à côtoyer le monde des
plantes et de la botanique. Puis j’ai eu la chance de suivre quelques
cours sur les fourmis donnés par Christian
Peeters et Thibaud Monnin
dans le cadre de mon M2. Ces cours ont immédiatement aiguisé mon
appétit pour les questions liées à l’évolution
de la socialité et m’ont ouvert à la biologie de ces insectes
que je ne connaissais finalement pas très bien. Lorsqu’une offre
de thèse proposant de travailler sur la vie sociale des fourmis s’est
présentée à moi, j’ai donc tout naturellement décidé
de tenter ma chance. Et je n’ai pas regretté !
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ta thèse
Le sujet de ma thèse était de comprendre comment et pourquoi plusieurs
formes sociales co-existent chez la fourmi Formica
selysi. Les populations de cette espèce contiennent en effet
des colonies avec une seule reine (monogynes) et des colonies avec plusieurs
reines (polygynes) et la coexistence de ces deux formes au sein des populations
est relativement stable. Par des approches d’écologie comportementale,
nous avons essayé de comprendre comment ce nombre de reines était
déterminé, si les membres de chacune de ces formes sociales présentaient
des particularités (agressivité, taille, odeurs…) et en
quoi le nombre de reines pouvait impacter l’expression des conflits sociaux
régulant généralement la vie d’une colonie de fourmis.
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ton parcours et situation actuelle, lien encore avec les fourmis ?
Ma thèse m’a permis de développer un intérêt
très fort pour l’évolution de la vie sociale, mais elle
m’a aussi fait réaliser les limites des insectes eusociaux pour
étudier les premières étapes de cette évolution.
Pour mon postdoc, j’ai donc cherché un insecte présentant
des formes plus simples de socialité. J’ai alors eu la chance de
rencontrer Mathias Kölliker qui travaillait depuis quelques années
sur les soins parentaux chez le forficule européen (aussi appelé
perce-oreille ou pince-oreille). Dans son équipe, j’ai commencé
à étudier cette vie de famille facultative – les juvéniles
sont mobiles et peuvent survivre sans leur mère – et notamment
la transition entre vie familiale et vie solitaire chez les larves. Depuis,
je n’ai plus quitté ce modèle car il me semble toujours
idéal pour mieux comprendre les premières étapes de l’évolution
de la socialité. Mes travaux actuels s’intéressent notamment
au rôle 1) des pathogènes et de l’immunité sociale
dans l’émergence de la vie de groupe, 2) du microbiote intestinal
dans la transition évolutive entre vie solitaire et sociale, ou encore
au rôle 3) des perturbations anthropiques dans l’évolution
des formes simples de vie sociale. Les fourmis restent toujours très
présentes dans mes recherches et la contextualisation de mes résultats
et je n’exclus évidemment pas de retourner un jour à ce
premier amour.
- citer 3 fourmis (ou autres animaux?) : la plus
belle, la plus intéressante et la plus bizarre
La fourmi la plus belle : Je donne
souvent des conférences grand publics sur les fourmis et je reste toujours
très étonné par leur extraordinaire diversité de
formes et de couleurs. Parmi les plus incroyables, j’aime beaucoup la
couleur verte que l’on retrouve dans le genre Oecophylla,
et la forme des têtes des ouvrières dans le genre Cephalotes.
Certaines de ces ouvrières ont en effet une tête ronde et plate
qui sert à bloquer l’entrée de la colonie en cas d’attaque.
Je trouve que cette forme très particulière et leur nom (fourmis
tortues) les rendent vraiment uniques.
L’insecte le plus intéressant
: évidemment, je vais proposer ici le forficule
européen Forficula auricularia. La vie sociale de cette espèce
est très peu étudiée (après un pic dans les années
70-80 par quelques chercheurs français et canadiens) et soulève
encore de nombreuses questions. Par exemple, une question qui m’occupe
beaucoup ces derniers temps est de savoir pourquoi est-ce que la vie de famille
est maintenue alors que les mères consomment souvent une partie de leurs
œufs, qu’elles n’hésitent pas à monopoliser la
nourriture de leurs larves, que les larves grandissent généralement
mieux sans mère et que les larves pratiquent régulièrement
le cannibalisme entres elles ?
La fourmi la plus bizarre : La
fourmi pilleuse clonale Ooceraea
biroi. Dans cette espèce, il n’y a pas de reine, toutes
les ouvrières se reproduisent par clonage et les colonies ne se nourrissent
que de larves d’autres espèces de fourmis. Tout est bizarre dans
la biologie de cette espèce !
- citer
3 publis, dont celle que tu considères comme la meilleure et celle qui
t'a demandé le plus de travail, et celle qui t'a le plus posé
de pb..
La publication que je considère comme la plus représentative de
mes recherches est Kramer J, Meunier J (2019) The other facets of family life
and their role in the evolution of animal sociality. Biological Reviews 94:199–215.
https://doi.org/10.1111/brv.12443. Nous y expliquons pourquoi étudier
l’évolution de la vie de famille est essentiel si l’on veut
mieux comprendre l’évolution de la socialité (et donc de
l’eusocialité) et comment étudier des formes négligées
d’interactions sociales peut améliorer notre compréhension
générale de la transition entre vie solitaire et vie de groupe
(et vice-versa). Même si sa lecture est un peu dense, je suis très
fier de cet article.
La publication qui m’aura demandé le plus de travail est clairement
Kölliker M, Boos S, Wong JWY, et al (2015) Parent–offspring conflict
and the genetic trade-offs shaping parental investment. Nature Communications
6:6850. https://doi.org/10.1038/ncomms7850. Elle repose sur une expérience
d’évolution expérimentale qui a duré plus de 6 ans
et qui a été accompagnée, chaque année, par la peur
terrible de perdre tout ce qui avait été fait jusque-là
et, surtout, la peur d’accumuler cette montagne de données pour
rien… C’est une très mauvaise idée de faire ce genre
d’expérience avec un insecte qui a un temps de génération
d’1 an. Ca m’aura servi de leçon pour la suite !
La publication qui m’aura posé le plus de problèmes est
probablement Kramer J, Körner M, Diehl JM, et al (2017) When earwig mothers
do not care to share: Parent-offspring competition and the evolution of family
life. Funct Ecol 31:2098–2107. https://doi.org/10.1111/1365-2435.12915.
Les résultats de cette publication sont très inattendus et nous
avons donc eut un peu de mal à convaincre les éditeurs de la robustesse
de nos conclusions. Mais je crois que nous avons eu raison de persévérer
et je suis très heureux que chacun·e ait aujourd’hui la
possibilité de se faire sa propre opinion sur ces résultats !
Enfin
un conseil à donner à un jeune qui commence
Bougez : rencontrez des chercheuses et chercheurs à travers le monde,
étudiez dans plusieurs universités, travaillez/faites des stages
à l’étranger ne serait-ce que pour quelques mois, discutez
tout le temps de ce que vous faites ou de ce que voulez faire (ou de ce que
les autres font), participez à des conférences – même
en tant que jeune étudiant·e… Je crois qu’une grande
partie de notre carrière ne tient pas à grand-chose : une rencontre,
un résultat inattendu, le hasard d’être là au bon
moment, etc. Il faut donc oser créer ces opportunités !