Évolution de la socialité
Alain Lenoir mis à jour 21-Jul-2022
Stades
de socialité
Il existe divers stades d'évolution vers la socialité. Voir par
exemple Aron Les
cinq degrés de socialité (2007)
- Grégarisme par exemple des blattes
- Subsocial ou précocial par exemple chez les forficules
- Eusocial chez les fourmis, abeilles et guêpes mais aussi d'autres arthropodes
(Lien) et Rats-taupe
nus
Mécanismes
d'évolution vers la socialité
Symbiose et coopération seraient parmi les principaux moteurs de l'évolution.
Pour l'évolution vers la socialité c'est un vaste débat.
L'altruisme réciproque avec la sélection
de parentèle caractéristique des insectes sociaux est en pleine
discussion.
Existe-t-il
des gènes de la socialité ?
Chez 10 espèces d’abeilles sociales, semi-sociales ou solitaires
la transition vers la socialité comprend un accroissement du potentiel
vers la régulation des gènes, de la diversité et de l'abondance
des éléments transposables. L'eusocialité a pu arriver
par différents mécanismes mais toujours avec une augmentation
de la complexité des réseaux de gènes (Kapheim et al. 2015).
Génomique des fourmis et eusocialité. 65 espèces de 17 sous-familles pour étudier l'évolution de l'eusocialité. L'émergence des formicoïdes corresond à la sélection sur l'acétylation des histones impliquée dans la différenciation des castes, la mise en silence de gènes par du RNA pour la stérilité des ouvrières et l'autophagie pour la longévité. Ces résultats suggèrent que l'eusocialité évolue dès le crétacé avec une évolution très rapide en moins de 20 millions d'années (Romiguier et al 2022).
En 1975 Wilson disait dans son livre Sociobiology que l'homme et les sociétés animales avaient en commun des mécanismes évolutifs de la socialité. Shpigler (et al 2017, avec Gene Robinson) ont testé cette hypothèse par génomique en comparant homme et abeille. On retrouve dans le cerveau des abeilles qui ne répondent pas aux stimuli sociaux (autistes ??) plus de gènes de l'autisme humain... Décidément on ne sortira jamais de ces vieux démons caricaturaux de la sociobiologie, et cela passe dans PNAS !
Existe-t-il
des gènes vers l'appariton de la caste reine ?
Daniel Kronauer
fait la une de l'actualité avec un super papier dans Science sur le rôle
de l'insuline dans la formation des reines chez Ooceraea
(Cerapachys) biroi. Quand les reines sont en présence de larves cela
inhibe le gène "ilp2" (insuline-like peptide 2) dans leur cerveau
et elles arrêtent de pondre. Et si on injecte l'analogue de l'insuline
elles continuent à pondre en présence des larves. Ce gène
est retrouvé plus actif dans le cerveau des reines de 7 espèces
étudiées. Les auteurs pensent que cela pourrait être une
possibilité d'évolution vers l'eusocialité avec l'apparition
de la caste reine (Chandra et al 2018).
Eusocialité
chez d'autres arthropodes
- Les isopodes
terrestres Hemilepistus reaumurii des régions arides d’Afrique
du Nord ont vie sub-sociale formant des familles qui sont différentes
avec HCs comme les colonies de fourmis, pourtant les fèces ne sont pas
typiques de la famille (Ayari et al. 2016).
- Selon Farris les parasitoïdes ont développé aussi très
tôt des mushroom bodies, ce qui suggère que cette évolution
est apparue bien avant la socialité chez les hyménoptères,
elle a dû être associée aux besoins cognitifs des parasitoïdes
(Farris and Schulmeister 2011).
- Un
exemple peu connu d'eusocialité : le charançon Austroplatupus
incompertus qui vit dans les bois pourris (Kent et Simpson 1992). Cet habitat
aurait favorisé
la socialité chez les insectes, depuis les soins parentaux jusqu'à
l'eusocialité des termites. Il est facile de transmettre les microbiotes
aux descendants. Les interrelations comme les léchages interindividuels
et le nettoyage du nid ont permis la lutte contre les microbes invasifs (Dillar
et al 2020, Lombardo 2008).
- Il existe une vingtaine d'araignées
sociales.
Rats-taupe
nus
Les superpouvoirs des rats-taupes nus qui ne sont ni des rats ni des taupes!
Documentaire
sur Arte 52 min. Organisés en colonies de nourrices, soldats et ouvriers,
les rats-taupes nus sont dirigés par une reine, seule reproductrice du
groupe, dont l’espérance de vie est plus remarquable encore que
celle de ses sujets. Ce documentaire parle surtout de la recherche des gènes
de longue vie mais intéressant !
Selon Bernard Werber dans Le livre secret des fourmis :
Comportement
familial et précocial chez d'autres insectes
C'est
le cas des forficules
Photo de S. Van Meyel :
Plantes
La socialité n'est
pas spécifique des animaux puisque selon Peter Wohlleben (2017) certains
arbres sont solitaires comme le saule ou le peuplier, mais d'autres qui vivent
dans les forêts primaires (hêtre, conifères) : "Ce
sont des êtres sociaux, dont le bien-être dépend de la communauté.
Les plus faibles sont soutenus car tous y perdent s'ils disparaissent."
Voir
- Ayari, A., F.-J. Richard, C. Souty-Grosset and K. Nasri-Ammar (2016). Family
identity of the sub-social desert terrestrial isopod Hemilepistus reaumurii.
Journal of Arid Environments 134: 10-16.
- Chandra, V., I. Fetter-Pruneda, P. R. Oxley, A. L. Ritger, S. K. McKenzie,
R. Libbrecht and D. J. C. Kronauer (2018). Social regulation of insulin signaling
and the evolution of eusociality in ants. Science 361(6400): 398-402. 10.1126/science.aar5723
- Dillard, J. and M. E. Benbow (2020). From Symbionts to Societies: How Wood
Resources Have Shaped Insect Sociality. Frontiers in Ecology and Evolution 8(173).
doi: 10.3389/fevo.2020.00173.
- Farris, S. M. and S. Schulmeister (2011). Parasitoidism, not sociality, is
associated with the evolution of elaborate mushroom bodies in the brains of
hymenopteran insects. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences
278(1707): 940-951. 10.1098/rspb.2010.2161
- Kapheim, K. M., H. Pan, C. Li, S. L. Salzberg, D. Puiu, T. Magoc, H. M. Robertson,
M. E. Hudson, A. Venkat, B. J. Fischman, et al. (2015). Genomic signatures of
evolutionary transitions from solitary to group living. Science 348(6239): 1139-1143.
10.1126/science.aaa4788
- Kent, D. S. and J. A. Simpson (1992).
Eusociality in the beetle Austroplatupus incompertus. Naturwissenschaften 79:
86-87
- Lombardo, M. P. (2008). Access to mutualistic
endosymbiotic microbes: an underappreciated benefit of group living. Behavioral
Ecology and Sociobiology 62(4): 479-497. doi: 10.1007/s00265-007-0428-9.
-
Romiguier, J.,
M. L. Borowiec, A. Weyna, Q. Helleu, E. Loire, C. La Mendola, C. Rabeling, B.
L. Fisher, P. S. Ward and L. Keller (2022). Ant phylogenomics reveals a natural
selection hotspot preceding the origin of complex eusociality. Current Biology.
doi: https://doi.org/10.1016/j.cub.2022.05.001
- Schaub, C. (2017). "Les arbres ne voteraient pas à droite".
Interview de Peter Wohlleben sur "La vie secrète des arbres"
(Les Arènes 2017). Libération Jeudi 16 mars 2017. p. 26-27.
-
Shpigler, H. Y., M. C. Saul, F. Corona, L. Block, A. Cash Ahmed, S. D. Zhao
and G. E. Robinson (2017). Deep evolutionary conservation of autism-related
genes. Proceedings of the National Academy of Sciences 114(36): 9653-9658. doi:
10.1073/pnas.1708127114.