Mis à jour le 10-Nov-2024
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"L'acacia a besoin de défenseurs, soit contre les herbivores que ses épines n'effraient pas, soit contre les plantes qui viennent pousser trop près de lui. Défenseur, c'est donc le rôle que les fourmis ont endossé en échange du vivre et du couvert. Le vivre est constitué par du nectar sucré et de minuscules nodosités riches en protéines et en lipides tandis que le couvert se matérialise par les épines creuses où les insectes installent leurs colonies (Fig. 1). Pour leur part, les fourmis attaquent impitoyablement les herbivores qui veulent se nourrir de la plante et sont d'une efficacité si redoutable qu'en Afrique, même les éléphants se détournent d'une espèce d'acacia tant ils craignent les morsures des fourmis qui la protègent !" (Barthélémy 2013).
À partir de simples vibrations, les fourmis des acacia peuvent distinguer le vent ou la présence d’un éléphant qui coupe des feuilles. Cela leur évite de sortir si c'est juste le vent qui fait bouger les feuilles (Hager et Krausa 2019, voir Moshinaly 2019).
Dans la savane africaine des fourmis du genre Crematomyrmex (trois espèces) ou Tetraponera penzigi vivent dans les épines d'acacias (Fig. 1) où elles défendent les arbres contre les défoliateurs, en particulier contre les éléphants (Fig.2). Si on enlève les fourmis, l'arbre est très vite défolié et va en mourir (Fig.3). Si on transplante les fourmis sur un arbre où elles ne vivent pas normalement, cet arbre sera évité par les éléphants (Le Monde 4 sept 2010) d'après Goheen et Palmer 2010. Les fourmis adaptent leur rythme de sortie pour ne pas perturber les pollinisateurs et si les fourmis se montrent trop zélées, les jeunes fleurs en attente de pollen émettent un cocktail odorant répulsif spécial anti-fourmi. Le système est efficace : la fourmi, perturbée et l'abdomen soudain dressé en l'air, s'éloigne sans demander son reste (La Recherche 1997, Willmer et Stone 1997).
L'acacia et la fourmi : Alain Baraton raconte cette histoire d'association dans la savane africaine le samedi 10 novembre 2024 sur France Inter.
Le
lion, la fourmi et les acacias
à la une de l'actualité, dans tous les réseaux sociaux.
"Le lion et la fourmi, une fable moderne", par Florence Rosier, Le
Monde 26 janvier 2024. " L’irruption d’une fourmi invasive,
dans la savane kényane, a déclenché une réaction
en chaîne, mobilisant une fourmi locale, un arbuste épineux, des
éléphants brouteurs et des lions chasseurs de zèbres. Au
final, le roi des animaux a dû s’incliner et changer de proies,
montre une étude publiée dans « Science » (Kamaru
et al 2024, 20 auteurs). Voir le texte
de l'article du Monde.
En Amérique centrale, l'acacia corne de bœuf (Acacia cornigera) a pour hôte la fourmi Pseudomyrmex ferrugineus. Adulte, elle ne sécrète quasiment pas d'invertase, une enzyme qui dégrade le saccharose en glucose et fructose assimilées aisément par l'organisme. L'acacia au contraire synthétise l'invertase. Son nectar contient donc du fructose et du glucose, pour alimenter les fourmis. Cependant, les larves de Pseudomyrmex fabriquent de l'invertase mais perdent cette capacité après l'émergence. Cela est du à une enzyme, la chitinase, du nectar de l'arbre qui inhibe la sécrétion d'invertase chez la fourmi adulte. Les fourmis sont donc dépendantes de l'arbre, une forme d'esclavage selon Barthélémy (Bartélémy 2013) ou "le nectar qui rend accro" selon Bouyssou (2017). L'arbre est défendu contre les chenilles, papillons ou coccinelles et en échange les fourmis déposent des larves d'insectes dans les cavités, larves qui sont absorbées par l'arbre. En échange l'arbre émet une odeur répulsive qui éloigne les oiseaux amateurs de larves de fourmis. Voir une vidéo de FranceTvInfo : fourmis et acacias en Amérique Centrale.
"Chez
la fourmi, la paresse paie"
(Courrier
International 15 sept 2021 - réservé abonnés)
"Certains acacias et fourmis vivent dans un échange de bons
procédés. Mais l’arbre récompense davantage les fourmis
les moins travailleuses parmi celles qui le colonisent.
Les fables d’Ésope [un écrivain de l’Antiquité]
sont censées illustrer une morale. Mais s’il avait vécu
en Amérique centrale plutôt qu’en Grèce, Ésope
aurait peut-être renoncé à en écrire une intitulée
La fourmi et l’acacia. En effet, comme l’ont découvert Sabrina
Amador-Vargas et Finote Gijsman, chercheurs [en biologie évolutionniste]
au Smithsonian Tropical Research Institute, au Panama, la morale de cette histoire-ci
est que la paresse paie.
Les acacias sont très répandus et forment une grande famille.
L’un de ses membres, Vachellia collinsii, est célèbre
pour sa relation symbiotique avec les fourmis. Les fourmis s’attaquent
aux insectes qui mangent les feuilles de l’arbre, éliminent les
plantes qui pourraient le gêner et le protègent des maladies en
lui fournissant des antibiotiques produits par des bactéries vivant sur
leurs pattes.
En retour, l’arbre récompense les fourmis en leur offrant de la
nourriture sous la forme de corps beltiens riches en protéines [des excroissances
sur les feuilles] et de nectaires [une petite émergence dans laquelle
est sécrété du nectar] pleins de sucre, ainsi qu’un
logement sûr à l’intérieur de ses épines creuses,
qui ont évolué expressément dans ce but." (Gijsman
et al 2021).
Didier Van Cauwelaert, dans "Les émotions cachées des plantes" Plon (2018) parle de l'acacia : " Prenons l'acacia. Une de ses variétés issues du Mexique, Acacia cornigera, présente la particularité d'offrir aux fourmis le gîte et le couvert. Cet hôte végétal leur propose, dans chacune de ses épines creuses, un deux pièces séparé par une cloison : la suite parentale et la nursery. Et l'extrémité de ses feuilles sécrète une substance riche en protéines, idéale pour nourrir les bébés fourmis. En échange, les fourmis assurent le gardiennage de l'acacia, le défendant avec une vigueur martiale contre tout attaquant, chenille, papillon ou coccinelle. Il arrive même que des fourmis partent à la chasse pour nourrir la plante qui les héberge. Notamment quand celle-ci, poussant loin du sol dans les cimes de la forêt tropicale pour y trouver de la lumière, a du mal à assurer toute seule son alimentation. Alors, les fourmis résidentes déposent des larves d'insectes au fond des cavités creusées dans les tiges de leur hôtesse. Les botanistes, en rendant ces larves radioactives, ont pu suivre à la trace leur processus d'absorption par les tissus végétaux. En échange de cette nourriture livrée à domicile, la plante émet une odeur répulsive pour éloigner les oiseaux raffolant des larves de fourmis. Ainsi la boucle est-elle bouclée, à la satisfaction de chacun." (p.109).
Une autre vision de la fourmi acacia dans le très beau livre de Claire Lecoeuvre et Capucine Mazille, "Les insectes". On y trouve la fourmi acacia.
Une araignée sauteuse
Bagheera kiplingi vit sur les acacias d'Amérique centrale avec
les fourmis où elle est tolérée et réussit à
voler quelques corps beltiens aux fourmis. C'est la première araignée
végétarienne connue (Anonyme 2009).
Selon Foygoo (2020) : "Les araignées sont des prédatrices,
des êtres carnivores qui chassent leurs proies et les piègent dans
leur toile pour les manger. Mais il existe bien une araignée qui est
herbivore. Elle a été découverte en 2001 par des chercheurs
des universités Villanova et Brandeis. Baptisée Bagheera
kiplingi, qui rappelle pourtant l’animal carnivore dans Le Livre de
la jungle, elle vit en Amérique centrale. Sur les 40 000 espèces
d’araignées connues, elle est la seule qui adopte un tel régime.
Cette araignée sauteuse se trouve sur les acacias, des arbustes qui abritent
des colonies de fourmis. Les acacias et les fourmis ont développé
une sorte de « collaboration ». Les fourmis se réfugient
dans l’arbuste et le protègent des herbivores, en échange
l’acacia leur fournit du nectar et des corps beltiens pour se nourrir.
Bagheera kiplingi profite de ce système en volant du nectar et les corps
beltiens aux acacias sans faire sa « part du travail » tout en trompant
la vigilance des fourmis. A ce jour, aucune autre araignée adoptant un
régime majoritairement végétal a été observée.
Cependant, cette araignée a un péché mignon. Certaines
se nourrissent des larves des fourmis, mais seulement très rarement."
On vient aussi de découvrir que les fourmis influencent la flore bactérienne sur les feuilles de l'acacia. En absence de la fourmi Pseudomyrmex hindsii les feuilles sont plus attaquées par des pathogènes et présentent donc plus de dommages comme des trous ou des zones sombres. C'est aussi le cas si l'arbre est colonisé par une fourmi parasite Pseudomyrmex gracilis (on parle de parasite car la fourmi ne défend pas l'arbre contre les prédateurs). Ce fait est lié à des modifications de la flore bactérienne des feuilles. On a donc un effet indirect (González-Teuber et al 2014).
Les acacias nous étonnent encore plus : ils sont capables de communiquer entre eux quand ils sont attaqués. En 1999, en Afrique du Sud, les antilopes koudous étaient trop nombreuses et 3000 d'entre elles ont été tuées après avoir consommé des feuilles d'acacia trop riches en tanins toxiques produits par les arbres. Les arbres sont aussi capables de prévenir les voisins de l'attaque en émettant de l'éthylène (voir le livre de Wohllenben 2017, Le Monde 2010 et Rahmani 2016). Libération du 22 mars 2003 n'hésite pas à parler de "cri de l'acacia" et "d'acacia tueur en série" (Fèvre 2003). Jean-Marie Pelt reprend cela dans son livre de 1996 (p. 128-129). Pourtant cette version est contestée par divers chercheurs qui disent que cela n'a jamais été confirmé par une étude sérieuse (Chauveau 2017). En fait, les arbres sont de manière générale capables de communiquer avec leurs congénères (interview de Wohllenben par Schaub 2017). Voir Communication entre plantes
Les fourmis de l'acacia peuvent terrasser l'éléphant qui se croit le centre du monde selon une légende du mali. Pdf
La relation fourmis - éléphants sur un calendrier
Dans les archives du palais de la Découverte : Dessine-moi les sciences. Histoire de fourmis. (Lien)
Nid de guêpe qui expulse une fourmi indésirable mais qui tolère celles qui vivent dans les épines d'acacia (d'après une photo d'Alain Dejean) :
Fourmi et acacias dans Les insectes en bande dessinée Tome 3 : voir la page
Selon l'échelle de Schmidt de la pénibilité des piqûres d'Hyménoptères Pseudomyrmex ferruginea, la fourmi d'acacia, endémique de l'Acacia cornigera se place au niveau 1,8 : douleur rare, perçante, élevée. Voir Piqûres
Voir
- Anonyme (2009). La première araignée végétarienne.
Le Monde 17 octobre 2009. Pdf
- Anonyme (2010). Quand les fourmis défendent les acacias contre les
éléphants. Le Monde 4 septembre 2010. Pdf
- Barthélémy, P. (2013) Comment un arbre mène des fourmis
à l’esclavage. Passeurs de sciences, 20 novembre 2013, http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/11/20/comment-un-arbre-mene-des-fourmis-a-lesclavage/
Pdf
- Bouyssou, L. (2017). Le nectar qui rend accro. Sciences et Avenir Hors Série
avril-mai 2017: p. 53. Pdf
- Chauveau, L. (2017). L'acacia, tueur en série ? Science et Avenir HS
avril-mai 2017: p. 66. Pdf
- Goheen, J. R. and T. M. Palmer (2010). Defensive plant-ants stabilize megaherbivore-driven
landscape change in an African savanna. Current Biology 20: 1-5.
- González-Teuber, M., M. Kaltenpoth and W. Boland (2014). Mutualistic
ants as an indirect defence against leaf pathogens. The New Phytologist 202(2):
640-650.
- Fèvre, A.-M. (2003) L'acacia, tueur en série. 22 mars 2003,
p. www.liberation.fr/medias/2003/03/22/l-acacia-tueur-en-serie_459326
- Foygoo, J. (2020) Le saviez-vous ? Il existe une araignée herbivore.
dailygeekshow.com 17 décembre 2020. Lien
-
Gijsman, F., Y. González, M. Guevara and S. Amador-Vargas (2021). Short-term
plasticity and variation in acacia ant-rewards under different conditions of
ant occupancy and herbivory. The Science of Nature 108(4): 31. doi: 10.1007/s00114-021-01738-w.
- Hager, F. A. and K. Krausa (2019) Acacia Ants Respond to Plant-Borne Vibrations
Caused by Mammalian Browsers. Current Biology. 10.1016/j.cub.2019.01.007
- Kamaru,
D. N., T. M. Palmer, C. Riginos, A. T. Ford, J. Belnap, R. M. Chira, J. M. Githaiga,
B. C. Gituku, B. R. Hays, C. M. Kavwele, et al. (2024). Disruption of an ant-plant
mutualism shapes interactions between lions and their primary prey. Science
383(6681): 433-438. doi:10.1126/science.adg1464
- La Recherche (1997) Acacias
sous haute protection. La recherche, n° 301, septembre 1997.
- Le Monde (2010). Quand les fourmis défendent les acacias contre les
éléphants. Le Monde 4 septembre.
- Moshinaly, H. (2019) À partir de simples vibrations, les fourmis acacia
peuvent distinguer le vent ou la mastication d’un mammifère. actualite.housseniawriting.com,
15 février 2019, p. https://actualite.housseniawriting.com/science/biologie/fourmis/2019/02/15/a-partir-de-simples-vibrations-les-fourmis-acacia-peuvent-distinguer-le-vent-ou-la-mastication-dun-mammifere/28635/
Pdf
- Pelt, J.-M. (1996). Les langages secrets de la nature, Fayard. 298p.
- Rahmani, S. (2016). Les plantes. Ces grandes communicantes. Le Monde Science
et Médecine Mercredi 2 mars 2016. p. 4-5. Pdf
- Rosier
F. (2024). Le lion et la fourmi, une fable moderne", par Florence Rosier,
Le Monde 26 janvier 2024.
- Schaub, C. (2017). "Les arbres ne voteraient pas à droite".
Interview de Peter Wohlleben sur "La vie secrète des arbres"
(Les Arènes 2017). Libération Jeudi 16 mars 2017. p. 26-27.
- Van Cauwelaert, D. (2018). Les
émotions cachées des plantes, Plon.
- Willmer, P. G. and G. N. Stone (1997). How aggressive ant-guards assist seed-set
in Acacia flowers. Nature 388: 165-167.
- Wohllenben, P. (2017). La vie secrète des arbres, Les Arènes.
268p. Voir Livres
divers. Pdf sur l'acacia
(p.20)