Venins de fourmis

Alain Lenoir mis à jour 13-Nov-2023

Les venins d'hyménoptères ont des rôles très variés, de la manipulation de l'hôte, la capture de proies, la défense contre les compétiteurs ou les prédateurs, mais aussi perturbateurs hormonaux et immunitaires, neurotoxiques, cytilytiques et provoquant des douleurs. Le venin a encore des propriétés antimicrobiennes. Le venin peut aussi transférer des microrganismes chez l'animal piqué (Moreau 2013). On s'intéresse beaucoup aux venins. Le premier a été Jules Hoffmann, prix Nobel de médecine, qui a créé Entomed à Strasbourg, société qui n'a pas survécue. Plus récemment on a la société Venom Tech de Pierre Escoubas (Ter Minassian 2013, 2015). Il y a aussi Venomics "20 fourmis ont suffi pour exploiter leur venin, ce qui aurait été impossible avec les anciennes méthodes" (Picard 2019).

La glande à venin de Tetramorium (Valentine Barassé) :

Les venins de fourmis ont des effets très variés. Ils peuvent être toxiques : paralysie, cytolyse, hémolyse, allergène, pro-inflammatoire, insecticide, antimicrobien, production douleur. Il y a aussi des effets non toxiques : phéromone de trace, phéromone sexuelle, d'agrégation et répulsif. Ils sont riches en dimères et bisulfites peptides et protéines, mais aussi en alcaloïdes et hydrocarbures. Voir tous les travaux de Valentine Barassé sur les venins (Un bilan complet sur les venins de fourmis et leur place dans les venins peptidiques. Espèces étudiées : Tetraponera aethiops pour les Pseudomyrmecinae; et de Manica rubida, Myrmica ruginodis, Pogonomyrmex californicus, Stenamma debile, Tetramorium africanum, Tetramorium bicarinatum, et de Daceton armigerum pour les Myrmicinae).
- Chez des myrmicines comme Solenopsis et Monomorium on trouve jusqu'à 90 à 95% d'alcaloïdes (solénopsines A, B et C) avec quelques protéines allergènes (Moreau 2017). Les venins sont sources possibles d’insecticides et d'agents thérapeutiques (Touchard et al. 2016). 92% des peptides de venin sont de petite taille (Touchard et al. 2014). Ces venins sont nombreux chez les ponérines, ce sont le plus souvent des peptides (Aili et al 2014).
- Chez Myrmecia pilulosa on trouve deux peptides antimicrobiens allergènes, les pilulosines 3 et 4 (Moreau 2013).
- Chez Pachycondyla goeldi on trouve des ponéricines antibactériens et insecticides (Orivel et al 2001). Le venin de Pachycondyla sennaarensis pourrait être utilisé dans le lutte contre le cancer. 
- Une nouvelle classe de 7 venins peptides a été trouvée chez Anochetus emarginatus, les ponérotoxines riches en liaisons bisulfites (Touchard 2017).
- Le venin de la fourmi géante Dinoponera quadriceps est utilisé en médecine traditionnelle au Brésil pour combattre les rhumatismes. Il contient des polypeptides. Dans cet article on montre leur effet antinflammatoire et analgésique chez la souris (Assreuy et al 2020).
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Une étude par transcriptomique montre que chez Myrmica rubra et M. ruginodis il y a diverses protéines enzymatiques allergènes. On trouve chez M. ruginodis 113 composants de venin et moins chez M. rubra (44 protéines). Ces résultats sont comparés à ceux de Manica rubida et Myrmecia gulosa (Hurka et al 2022).

- Du nouveau sur le venin des fourmis Tetramorium africanum et Paraponera clavata (Robinson et al 2023)
Selon Axel Touchard qui a participé à ce travail et parle de Robinson : "Il a fait une comparaison de l'activité algésique de plusieurs peptides sur différents récepteurs de douleur de la famille des canaux sodiques voltage-dépendant. Résultat, le peptide isolé chez T. africanum est presque 100 fois plus puissant sur certains récepteurs que la poneratoxine du venin de Paraponera clavata.
Alain L, tu verras aussi que l'on a intégré un peptide du venin de Manica rubida. Quand je suis arrivé à Tours en Master tu m'avais montré cette fourmi en me disant que la piqûre était très douloureuse. Ce papier explique donc en partie pourquoi.
" (mail du 24 mai 2023).
Et selon Alain Dejean qui a beaucoup travaillé au Cameroun : "Enfin on connait la puissance du VENIN de Teramorium africanum ...... car dans mes alliances avec les chimistes belges, je me suis fait piquer par deux fois, en particulier la seconde où je suis rentré à la maison au radar et me suis couché immédiatement. " (mail du 25 mai 2023)

Divers
- Le chien Belzébuth pourrait être mort d'un venin neuropeptide de Paraponera clavata selon le vétérinaire (« Belzébuth ne mordra plus », de Luc Passera p.58).
- États-Unis : comment des fourmis ont sauvé la vie d'une parachutiste, de Florian Gazan, RTL (lien) : "Son parachute principal refuse de s’ouvrir. Elle se retrouve en chute libre, sans paniquer, elle détache le parachute défectueux et parvient finalement à ouvrir celui de secours. Mais le temps de la manœuvre, elle est à 200 mètres du sol. Trop tard. Malgré l’autre parachute, elle heurte le sol à plus de 130 kilomètres/heure.. Dans son malheur, elle a eu le bonheur de s’écraser en plein sur une fourmilière remplie de fourmis de feu dont les piqûres sont dans le top 10 des insectes les plus douloureux. Là ce n’est pas une, mais 200 fourmis qui ont déversé leur venin dans Joan Murray. Et paradoxalement c’est ce qui lui a sauvé la vie. En réaction à ces violentes piqûres, elle a fait une poussée soudaine d’adrénaline qui a permis à son cœur de continuer à battre et à ses organes de fonctionner, suffisamment de temps pour que les secours aient le temps d’arriver. Après deux semaines de coma, 20 opérations de chirurgie réparatrice et 17 transfusions sanguines, un vrai travail de fourmi, la parachutiste s’en est sortie. 6 semaines plus tard, elle pouvait se lever à nouveau. Mieux aujourd’hui Joan Murray re-saute en parachute, peu importe le risque puisque c’est sa passion. Quand on a frôlé la mort comme elle, on devient cigale plutôt que fourmi…" Ce fait divers a été repris sur le we de très nombreuses fois (Francenewslive; Le Progrès etc..).

On est actuellement à plus de 100 espèces de fourmis étudiées pour leurs peptides, dont récemment Tetramorium bicarinatum et Manica rubida (Touchard 2019). Anne Rifflet a aussi étudié dans sa thèse T. bicarinatum où l'on trouve la bicarinaline, peptide de 20 acides aminés remarqué par son action antibactérienne à large spectre. Testée sur deux souches de staphylocoques, ce peptide se révèle aussi efficace voire plus puissant que la méllitine, peptide antimicrobien du venin d'abeille. La bicarinaline apparaît comme un candidat potentiel pour la conception de nouveaux traitements antibiotiques.

Chez les formicines et les dolichodérines il n'y a pas d'aiguillon et le venin est composé chez les formicines essentiellement d'acide formique, avec 5% d'acides aminés et de petits peptides (Moreau 2013). Chez ces fourmis, durant le vol nuptial, le venin est expulsé avec le contenu de la glande de Dufour (Moreau 2013).

   


On trouve des neurotoxines dans la glande à poison des oecophylles en plus de l’acide formique.

Venins : les remèdes de demain ? Alternative Bien-être Septembre 2019. Pdf

Fourmis et cancer. Selon Le Journal d'ici (18 juin 2021) : Dossier : Le venin de fourmi, une piste prometteuse contre le cancer (Lien)
"L'équipe du laboratoire de biochimie de l'université Champollion [Albi] se lance un défi ambitieux : prouver les effets thérapeutiques du venin de fourmis sur les cellules cancereuses." "Arnaud Billet et Michel Treilhou espèrent déposer un brevet à l'issue de leurs recherches sur le venin de fourmi." Hélas accès payant..

- Allergie au venin de fourmis. Concours médical 30 avril 1994, 1375-76. Au sud des USA 30 à 60% de la population aureint été piquée chaque année. le venin comporte très peu de protéines (à peine 0,1%) qui sont responsables de la sensibilisation. Des extraits de fourmis en vente aux USA pour désensibiliser les personne allergiques. Pdf.

Venin d'abeille
Une abeille qui pique perd la vie, elle peut injecter 50 à 70 µg de protéines qui peuvent provoquer des réactions anaphylactiques (entre 0,4% et 7,5% de la population - Moreau 2017). Le venin d'abeilles est doué de nombreux effets thérapeutiques, par exemple dans la lutte contre l'acnée.

Voir
- Aili, S. R., A. Touchard, P. Escoubas, M. P. Padula, J. Orivel, A. Dejean and G. M. Nicholson (2014). Diversity of peptide toxins from stinging ant venoms. Toxicon 92(0): 166-178. http://dx.doi.org/10.1016/j.toxicon.2014.10.021
-
Assreuy, A. M., B. Adjafre, É. Sousa, A. Alves, A. Pires, Y. Quinet and M. Mota (2020). Venom of the giant ant Dinoponera quadriceps attenuates inflammatory pain in mouse cutaneous wound healing model. Acta Scientiarum. Biological Sciences 42: e47680. doi: 10.4025/actascibiolsci.v42i1.47680.
- Hurka, S., K. Brinkrolf, R. Özbek, F. Förster, A. Billion, J. Heep, T. Timm, G. Lochnit, A. Vilcinskas and T. Lüddecke (2022). Venomics of the Central European Myrmicine Ants Myrmica rubra and Myrmica ruginodis. Toxins 14(5): 358. doi: https://doi.org/10.3390/toxins14050358
- Moreau, S. J. M. (2013). “It stings a bit but it cleans well”: Venoms of Hymenoptera and their antimicrobial potential. Journal of Insect Physiology 59: 186-204. 10.1016/j.jinsphys.2012.10.005
- Orivel, J., V. Redeker, J.-P. Le Caer, F. Krier, A.-M. Revol-Junelles, A. Longeon, A. Chaffotte, A. Dejean and J. Rossier (2001). Ponericins, New Antibacterial and Insecticidal Peptides from the Venom of the Ant Pachycondyla goeldii. Journal of Biological Chemistry 276(21): 17823-17829. 10.1074/jbc.M100216200
- Picard, N. (2019). Vers des thérapeutiques innovantes. Le Monde Science & Médecine 30 janvier 2019. p. 4. Pdf
- Rifflet, A., S. Gavalda, N. Téné, J. Orivel, J. Leprince, L. Guilhaudis, E. Génin, A. Vétillard and M. Treilhou (2012). Identification and characterization of a novel antimicrobial peptide from the venom of the ant Tetramorium bicarinatum. Peptides 38(2): 363-370. doi: https://doi.org/10.1016/j.peptides.2012.08.018.
- Robinson, S. D., J. R. Deuis, A. Touchard, A. Keramidas, A. Mueller, C. I. Schroeder, V. Barassé, A. A. Walker, N. Brinkwirth, S. Jami, et al. (2023). Ant venoms contain vertebrate-selective pain-causing sodium channel toxins. Nature Communications 14(1): 2977. 10.1038/s41467-023-38839-1

- Téné, N., E. Bonnafé, F. Berger, A. Rifflet, L. Guilhaudis, I. Ségalas-Milazzo, B. Pipy, A. Coste, J. Leprince and M. Treilhou (2016). Biochemical and biophysical combined study of bicarinalin, an ant venom antimicrobial peptide. Peptides 79: 103-113. doi: https://doi.org/10.1016/j.peptides.2016.04.001.
- Ter Minassian, V. (2013). Des venins aux vertus thérapeutiques. Le Monde Science & Médecine 5 juin 2013. p. 2. Pdf
- Ter Minassian, V. (2015). La médecine se pique de venin. Le Monde Science & Médecine 21 octobre 2015. Pdf
- Touchard, A., M. Dauvois, M.-J. Arguel, F. Petitclerc, M. Leblanc, A. Dejean, J. Orivel, G. M. Nicholson and P. Escoubas (2014). Elucidation of the unexplored biodiversity of ant venom peptidomes via MALDI–TOF mass spectrometry and its application for chemotaxonomy. Journal of Proteomics 105(0): 217-231. http://dx.doi.org/10.1016/j.jprot.2014.01.009
- Touchard, A., S. Aili, E. Fox, P. Escoubas, J. Orivel, G. Nicholson and A. Dejean (2016). The Biochemical Toxin Arsenal from Ant Venoms. Toxins 8(1): 30.
- Touchard A. et al. (2017). Ponerotoxins: a novel family of neurotoxin from ant venom. Colloque SF-UIEIS, Paris août 2017.
Résumés
- Touchard, A. (2019). Diversité des toxines peptidiques des venins de fourmis. 30ème Colloque UIEIS, Avignon Pdf