Fabrice Savarit Interview
Alain Lenoir Mis à jour 15-Avr-2021
Ton
parcours
J’ai une formation de généticien au départ, puisque
je suis passé par ce qui s’appelle maintenant le magistère
de génétique de l’université Paris 7 mais qui était
à l’époque la licence-maîtrise de Biologie et Génétique
Appliquée. Après le DEA de génétique à cheval
sur les universités Paris 6 et Paris 11, j’ai fait une thèse
sur la drosophile où j’ai mélangé génétique
et analyse chimique des différences dans la production de signaux sexuels
mâles et femelles. C’est là que j’ai commencé
à m’intéresser à la communication chimique qui m’a
amenée vers la suite de mon parcours.
Ton
intérêt pour les fourmis
Au départ, je n’avais aucune connaissance du monde des fourmis
et j’y suis venu un peu par hasard grâce à Dominique
Fresneau. A la fin de ma thèse, il m’a proposé de postuler
sur un poste d’ATER pour travailler sur de la génétique
des populations afin de caractériser la structure socio-génétique
de la fourmi Gnamptogenys striatula, en particulier dans des colonies
à gamergates. Malheureusement, ce projet n’a rien donné
mais il m’a mis le pied à l’étrier et m’a fait
découvrir ce monde particulier. Mais il m’a fallu encore quelques
années après mon recrutement comme maître de conférences
pour faire des fourmis mon centre d’intérêt exclusif, car
j’ai d’abord beaucoup navigué sur l’analyse chimique
chez diverses espèces dont des rongeurs. Et depuis plus de 10 ans maintenant,
je travaille en collaboration avec Renée
Fénéron sur la fourmi Ectatomma
tuberculatum mais en provenance du Mexique uniquement, de l’état
de Veracruz.
Ta
thèse
Etude génétique de la maturation des hydrocarbures cuticulaires
chez les mouches adultes Drosophila melanogaster, dirigée par
Jean-François Ferveur.
Elle est donc très éloignée du monde des fourmis même
si j’ai étudié les mécanismes cellulaires de la production
du dimorphisme chimique sexuel, en particulier les cellules impliquées
dans ce dimorphisme. Ces cellules, les oenocytes, sont d’ailleurs impliquées
dans la production des hydrocarbures cuticulaires chez les fourmis.
Ta
situation actuelle
Je travaille donc depuis 2010 sur Ectatomma tuberculatum en collaboration
avec Renée Fénéron. Au cours de ces années, j’ai
travaillé sur divers projets :
- Intégration chimique d’une fourmi parasite inquiline, Ectatomma
parasiticum, où nous avons montré une possible insignifiance
chimique. Malheureusement, cette espèce n’a plus été
retrouvée sur le terrain, d’autant plus que sa zone écologique
a été absorbée par une entreprise de cimenterie mexicaine.
Il est devenu impossible d’y prospecter des colonies potentiellement parasitées.
- Etude de la communication larves ouvrières selon l’hypothèse
de la stimulation par le couvain. J’ai participé à la thèse
de Matilde
Sauvaget avec Renée, et nous avons encadré déjà
pas mal de stagiaires ensemble. Pour l’instant, les résultats sont
encore parcellaires mais une réanalyse des interactions va nous permettre
de mieux comprendre le rôle de l’affamement et de l’âge
des larves dans le nourrissage par les adultes. En particulier, il semble que
les larves affamées sont nourries prioritairement, et les larves de stade
4 sont nourries avant les stade 3. Nous montrons aussi que les ouvrières
sont capables de retrouver les larves à leur odeur dans deux contextes
distincts, mais la sous-caste joue dans cette capacité de discrimination
selon le contexte.
- Enfin, depuis quelques années, nous arrivons à obtenir des gynes
en laboratoire mais surtout, nous arrivons à les faire se reproduire.
Cette chance nous permet d’étudier à la fois la dynamique
de la fondation (vitesse pour obtenir une colonie viable en fonction du dégré
de polygynie et de l’apparentement entre reines), reproduction entre mâles
et femelles, comportement des reines dans les colonies polygynes en fonction
de leur âge (aspects de développement du comportement).
Je travaille toujours sur ces questions et ça ne risque pas de s’arrêter,
tant que nous sommes capables de produire des colonies en laboratoire et d’aller
sur le terrain en chercher de nouvelles.
J’ai aussi collaboré avec des collègues du laboratoire sur
d’autres espèces durant ces 10 dernières années,
notamment Boris Yagound avec Nicolas
Châline, Stéphane Chameron et Chantal Poteaux, sur Neoponera
apicalis et les espèces sœurs. Et j’avais été
contacté par Jean-Christophe Sandoz et Florian Bastin pour réaliser
une expérience d’analyse chimique des mâles d’Apis
mellifera qui a donné lieu à une publication.
Citer
3 fourmis ou autres animaux :
La plus belle : Myrmecia
breviconis que nous avons eu au laboratoire. Nous souhaitions travailler
dessus mais pas assez de colonies récoltées du à la difficulté,
donc ce projet a dû être abandonné.
La plus intéressante : Ectatomma tuberculatum puisque je travaille
dessus.
La plus bizarre : j’hésite entre celles qui creusent des galeries
et qui ont développé des adaptations anatomiques bizarres au niveau
des pattes (j’ai oublié le nom de cette espèce) [Melissotarsus]
et celles qui piègent les insectes en se plaçant dans des tiges
et en ne faisant sortir que leurs mandibules (idem, nom oublié) [sans
doute Allomerus].
3
publis :
Ma meilleure publication ne concerne pas les fourmis, il s’agit de mon
premier article sur la drosophile
Jean-Francois Ferveur, Fabrice Savarit, Cahir J O'Kane, Gilles
Sureau, Ralph J Greenspan, Jean-Marc Jallon, Genetic feminization of pheromones
and its behavioral consequences in Drosophila males, (1997), Science, 276, 1555-1558
Chez les fourmis, ma meilleure
publication est la suivante :
Fabrice Savarit, Renee Feneron, Imperfect chemical mimicry
explains the imperfect social integration of the inquiline ant Ectatomma
parasiticum (Hymenoptera: Formicidae: Ectatomminae), (2014), Myrmecological
News, 20, 7-14
La publication qui m’a demandé
le plus de travail est celle sur l’analyse génétique du
conflit reines-ouvrières chez les bourdons avec Cédric Alaux.
Tout a été fait au laboratoire où nous devions faire des
gels d’acrylamide pour séquencer une fragment d’ADN et analyser
des microsatellites, et ça prend beaucoup de temps.
Cédric Alaux, Fabrice Savarit, Pierre Jaisson, Abraham
Hefetz, Does the queen win it all? Queen–worker conflict over male production
in the bumblebee, Bombus terrestris, (2004), Naturwissenschaften, 91, 400-403
Celle qui m’a posé
le plus de problèmes
En fait, ce sont surtout les publications qui démarrent qui me posent
le plus de problèmes. J’ai toujours été lent à
écrire même si j’ai beaucoup de données en réserve,
et démarrer un nouvel article me demande toujours un gros effort. Une
fois terminé, ça va mieux. Je n’ai jamais eu de gros problèmes
de publication une fois l’article écrit, comme un article rejeté
à de multiples reprises par exemple en changeant de revue à chaque
fois.
Conseils
pour une jeune qui démarre
Dans le contexte actuel, c’est difficile pour ceux qui commencent de se
faire une place sans une très grande motivation. La route est très
longue avant de pouvoir vivre de sa passion, si les fourmis en sont une. Il
faut beaucoup d’investissement en temps et en énergie, mais aussi
tomber sur les bonnes personnes pour réussir. Il y a une part de chance
(petite) et une part de talent (grande). Et surtout, si on veut absolument y
arriver, il faut persévérer et ne pas se décourager. Et
le passage obligé est bien entendu d’obtenir un financement en
thèse.