Allomerus, des fourmis tortionnaires

Mis à jour le 21-Fév-2023

En Guyane les chercheurs ont beaucoup étudié un arbuste myrmécophyte : Hirtella physophora qui ne dépasse pas deux mètres en sous-bois. Les domaties à la base des feuilles hébergent une petite fourmi prédatrice Allomerus decemarticulata. Elles creusent des galeries dans les pétioles et les tiges et percent de très nombreux trous où elles peuvent entrer et sortir. Les trous sont bâtis avec les poils de la plante, des restes de proies et le système est renforcé avec le mycélium d’un champignon spécifique Trimmatostroma cordae. Cela fonctionne comme un piège : les fourmis guettant avec la tête juste dans le trou et s’agrippant à la proie qui se pose, pour la piquer (Dejean et al. 2005 - voir fourmis tortionnaires). On a montré que le champignon est spécifique et même d’un seul haplotype (ordre des Chaetothyriales) (Ruiz-González et al. 2011). Le champignon permet aussi le transfert d’azote vers la plante. C’est une symbiose tripartite complexe (Corbara 2011).

Les Allomerus ont aussi dans leurs nids des actinobactéries (appelées autrefois actinomycètes) (6 Streptomyces et 1 Amycolatopsis) qui les protègent contre les champignons parasites (Seipke et al 2012).

Jolivet, dans son livre sur les plantes et les fourmis (1986, p. 43), cite les plantes Hirtella associées à des Allomerus (fourmis tortionnaires, non pas Allumerus.. et pas africaines mais de Guyane). Alain Dejean, qui a beaucoup travaillé sur ces fourmis tortionnaires, a du lire Jolivet.

             

Selon Dejean et al 2007 :

Arboreal ants build traps to capture prey. Tiny ants construct an elaborate ambush to immobilize and kill much larger insects, par Alain Dejean, Pascal Jean Solano, Julien Ayroles, Bruno Corbara and Jérôme Orivel. Nature 434, p. 973 (2005).

Photo Alain Dejean  

De nombreux articles de presse ont accompagné cet article :

    Dessin du New York Time

Selon Céline Sivault dans "Ce que la Science sait des fourmis" : "Les minuscules fourmis Allomerus decemarticulatus vont encore plus loin dans leur stratégie de chasse collective : ce sont les seuls membres de la famille des formicidés à tendre un piège à leurs proies. Ce phénomène a également été observé par le professeur Dejean en Guyane française. Cette espèce de fourmi vit en relation étroite avec un arbuste, Hirtella physophora. Elles fabriquent sur ses branches des chemins couverts, èn utilisant les poils qui recouvrent les tiges en guise de piliers et de charpente, recouvertes de divers matériaux. Elles les imbibent de sécrétions et de nectar, ce qui permet le développement d'un champignon qui renforce la cohésion de la structure. Ces tunnels sont percés d'une multitude d'orifices, au niveau des-quels des chasseuses viennent se poster pour guetter l'arrivée d'une cible. Dès qu'un insecte se pose sur le piège, il est inévitable qu'une ou plusieurs de ses pattes soient à portée de paires de mandibules. Les chasseuses s'en saisissent. entravant les mouvements de l'animal et compromettant sa fuite. Il est aussitôt assailli par d'autres ouvrières qui lui infligent moult piqûres. Dans la grande majorité des cas, son destin est scellé : il servira de repas à la colonie ! "

Plus tard l'histoire n'est pas finie : Une plante "punit" les fourmis trop voraces (Science et Vie: Octobre 2013, p.29, Pdf). En effet le mutualisme peut être déséquilibré si les fourmis veulent trop de feuilles pour agrandir la colonie et détruisent des boutons floraux pour permettre une meilleure production de feuilles. Alors la plante répond et se met à produire des poches foliaires plus petites ce qui diminue la place et la production de nectar. Progressivement l'équilibre est retrouvé (Malé et al 2013). Selon P.J. Malé cette publication "démontre la capacité des plantes à sanctionner des fourmis trop virulentes. Elle a nécessité un long travail d’équipe et même si elle n’est pas la plus citée, je pense qu’elle apporte une contribution significative à l’étude des relations plantes-fourmis."

Les Allomerus selon selon Dave Goulson (2023) (p.355)

Selon le livre Mille milliards de fourmis :

Voir
- Corbara, B. (2011). L'arbuste, les fourmis et le champignon. Espèces 1: 66.
- Dejean, A., B. Corbara, J. Orivel and M. Leponce (2007). Rainforest canopy ants: the implications of territoriality and predatory behavior. Functional Ecosystems Communities 1: 105-120
- Fay, S. (2013). Une plante "punit" les fourmis trop voraces. Science et Vie: Octobre, p.29. Pdf
- Jolivet, P. (1986). Les fourmis et les plantes, un exemple de coévolution, Boubée, 254 pages.
- Kergoat, M. (2019). L'entraide, unique mot d'ordre chez les fourmis. Sciences et Avenir n°865, mars 2019: p. 60-62.
-
Malé, P.-J. G., J.-B. Ferdy, C. Leroy, O. Roux, J. Lauth, A. Avilez, A. Dejean, A. Quilichini and J. Orivel (2013). Retaliation in Response to Castration Promotes a Low Level of Virulence in an Ant–Plant Mutualism. Evolutionary Biology: 1-7. doi: 10.1007/s11692-013-9242-7.
- Ruiz-González, M. X., P.-J. G. Malé, C. Leroy, A. Dejean, H. Gryta, P. Jargeat, A. Quilichini and J. Orivel (2011). Specific, non-nutritional association between an ascomycete fungus and Allomerus plant-ants. Biology letters 7(3): 475-479. 10.1098/rsbl.2010.0920
- Seipke, R. F., J. Barke, M. X. Ruiz-Gonzalez, J. Orivel, D. W. Yu and M. I. Hutchings (2012). Fungus-growing Allomerus ants are associated with antibiotic-producing actinobacteria. Antonie van Leeuwenhoek 101(2): 443-447. 10.1007/s10482-011-9621-y


Quand les fourmis pratiquent l'écartèlement  - PARIS (AFP) 20 Avril 2005

Une espèce de fourmi arboricole amazonienne construit des pièges ingénieux pour attraper ses proies, qu'elle écartèle de la même façon que l'on torturait les malfaiteurs au Moyen Age, avant de la tuer, relate jeudi une équipe de chercheurs dans la revue Nature.

La minuscule "Allomerus decemarticulatus" est particulièrement inventive pour se saisir d'insectes bien plus gros qu'elle. Elle construit d'abord une chausse-trape en coupant les poils d'un bout de tige de la plante sur laquelle elle vit, en prenant soin d'en laisser quelques-uns.

Se servant de ces derniers comme de piliers, elle construit un toit en entrecroisant les poils coupés et en renforçant le tout avec un champignon qu'elle cultive tout spécialement à cet effet. Elle prend soin de laisser dans cette couverture des trous un peu plus larges que sa tête.

La construction terminée, de nombreuses fourmis se placent en embuscade dans ce tunnel, tête tournée vers les trous, mandibules ouvertes, raconte Jérôme Orivel, de l'Université Toulouse-III, et ses collègues. Dès qu'un insecte se pose sur le piège, il est saisi par les pattes, les antennes et les ailes par les fourmis qui tirent dans des directions opposées pour l'écarteler et l'amener à coller son abdomen contre le toit de la galerie.

Il est alors piqué par des hordes d'"Allomerus decemarticulatus". Une fois morte, la proie est tirée jusqu'à une feuille où elle est découpée pour être consommée.

"A notre connaissance, la création collective d'un piège en tant que stratégie de prédation n'a jamais été décrite chez les fourmis", écrivent les chercheurs en soulignant l'association de la plante (avec ses poils), de la fourmi et du champignon, qui n'est présent sur la plante qu'aux endroits où vit "A. decemarticulatus".

© 2005 AFP : Tous droits réservés.


Une fourmi tisseuse de pièges. Le figaro 21 avril 2005

La forêt amazonienne est pleine de fourmis. Si on les mettait toutes sur une balance, elles pèseraient plus lourd que n'importe quel autre animal. Plus lourd que les singes, les serpents ou les agoutis, selon les estimations du célèbre biologiste américain Edward O. Wilson. Ce n'est pas pour cette raison que les études consacrées aux fourmis sont si nombreuses dans les revues scientifiques. Cela vient du fait qu'elles ont développé des stratégies de vie tout à fait étonnantes. Dernier exemple en date : Allomerus decemarticulatus, une espèce arboricole qui ne dépasse pas deux millimètres.

Cette minuscule fourmi est casanière. Ses colonies se trouvent toujours sur la même et unique espèce d'arbuste. C'est là qu'elles construisent des pièges pour attraper leurs proies (sauterelles, chenilles, coléoptères), souvent dix fois plus grosses qu'elles.

La stratégie est aujourd'hui bien réglée. Les fourmis arrachent des poils qui poussent sur les tiges des feuilles de l'arbre. Elles les enchevêtrent et en font un petit tas qu'elles perforent de galeries comme un gruyère. Vue d'en haut, l'entrée de chacun de ses trous a la forme d'un nid d'oiseau. Dernier raffinement, le nid est solidifié par une culture de champignon, ce dernier faisant office de liant, de ciment.

Quand le piège est achevé, les fourmis rentrent dans les trous à reculons. Dès qu'un intrus se pose sur ce bourgeon apparemment inoffensif, elles bondissent et s'en saisissent avec leurs pinces. Elles ne le lâchent plus jusqu'à l'arrivée de leurs congénères pour piquer et empoisonner leur victime. La proie, qui peut mesurer jusqu'à 2 centimètres, est glissée de trous en trous. Destination finale : les poches de feuilles où la colonie la débite en morceaux avant de les distribuer aux jeunes larves.

«Le système fourmi-arbuste-champignon est très sophistiqué», reconnaît Jérôme Orivel (université Toulouse-III/CNRS). La façon dont il s'est mis en place à travers le temps reste un mystère.

Y. M.