Interview de Pierre-Jean Malé
Alain Lenoir Mis à jour 05-Oct-2020
Mon
parcours
J’ai passé quasiment tout mon temps à étudier les
relations entre plantes fourmis. Dès la troisième année
de mes études de Biologie à l’Université Paul Sabatier
à Toulouse, j’ai commencé à étudier les fourmis
arboricoles Allomerus decemarticulatus,
au cours d’un stage volontaire avec Alain
Dejean. Ce stage s’est poursuivi par un stage de recherche en Master
1 avec deux sessions de terrain en Guyane française.
J’ai fait mon Master 2 à Montpellier où j’ai étudié
le système immunitaire d’une espèce de campagnol (ma seule
infidélité aux plantes à fourmis).
Je suis ensuite revenu à Toulouse pour ma thèse au laboratoire
Évolution & Diversité Biologique sous la supervision de Jérôme
Orivel et Angélique Quilichini. J’y ai poursuivi mon étude
des Allomerus et de leur plante-hôte Hirtella physophora.
Après ma défense en 2011, j’ai fait trois post-docs. Pour
le premier, dans l’équipe de Jérôme Chave, je me suis
concentré sur la famille de plante à fourmis Chrysobalanaceae.
Au cours du deuxième, j’ai rejoint Megan Frederickson à
l’Université de Toronto pour deux études de génétique
sur A. octoarticulatus et Myrmelachista schumanni. Finalement,
j’ai obtenu une bourse Marie Curie pour approfondir mon étude des
Jardins du Diable, au sein des laboratoires de Naomi Pierce au Muséum
de Zoologie Comparative à Harvard et d’Axel Mithöfer à
l’Institut Max Planck pour l’Écologie Chimique.
Mon
intérêt pour les fourmis
J’ai toujours été fasciné par les insectes. Enfant,
je passais mes étés à capturer et observer les sauterelles,
criquets et autres mantes religieuses dans mon jardin. Plus tard, j’ai
maintenu pendant quelques années une collection de coléoptères.
Tout naturellement, j’ai choisi de suivre des cours d’Entomologie
à l’université. Je me suis intéressé aux fourmis
par hasard, lorsque Alain Dejean, l’un de mes professeurs d’entomologie,
a accepté de me donner un stage d’été. Après
des semaines à compter des milliers de larves, ouvrières, et sexués
d’A. decemarticulatus sous la bino, j’étais définitivement
tombé amoureux des fourmis. Ce stage a déterminé tout le
reste de ma carrière.
Ma
thèse
Pendant ma thèse, j’ai étudié l’interaction
entre les fourmis A. decemarticulatus et leur plante-hôte H.
physophora. La plante produit des poches foliaires dans lesquelles nichent
les fourmis. Elle produit aussi du nectar sur ses feuilles dont se nourrissent
les fourmis. Les fourmis quant à elles protègent la plante contre
les herbivores. Mon travail a permis de mettre en évidence un conflit
reproducteur entre les deux espèces : les fourmis ne bénéficient
pas directement de la reproduction de la plante. Elles détruisent donc
ses boutons floraux pour que la plante investisse plutôt son énergie
dans la production de feuilles, et donc de poches foliaires et autres glandes
à nectar. La contribution majeure de ma thèse a été
de montrer que la plante n’est pas passive dans cette relation. Lorsque
les fourmis détruisent trop de boutons, la plante produit des poches
et glandes trop petites pour que les fourmis puissent les utiliser. Ainsi, la
plante sanctionne les fourmis trop virulentes. J’ai aussi montré
que des mécanismes d’interdépendance du succès reproducteur
sur des générations a pu moduler le niveau de virulence des fourmis
à un niveau acceptable pour la plante.
Mes
recherches et projets actuels
Après ma thèse, j’ai continué à approfondir
les mécanismes qui contribuent à la stabilité des interactions
entre plantes et fourmis. La base génétique du comportement de
protection de la plante Cordia nodosa par les fourmis A. octoarticulatus,
et l’adaptation réciproque des populations de fourmis M. schumanni
à leur plante-hôte D. hirsuta ont été mes
principaux sujets de recherche en post-doc.
Depuis, j’ai réorienté ma recherche vers des questions liées
à la cognition et au comportement humain. J’ai rejoint une compagnie
de conseil spécialisé en économie comportementale pour
approfondir mes connaissances théoriques et pratiques sur le sujet. Dans
le futur, je compte appliquer les théories d’économie comportementale
aux fourmis afin de tester la rationalité de leurs décisions et
de déterminer quelle part de leur cognition réside au sein de
la colonie plutôt qu’à l’échelle de l’individu.
Citer
3 fourmis
• La plus belle : j’aurais beaucoup de mal à choisir ! J’aime
bien les fourmis du genre Cephalotes avec la morphologie unique de
leur tête qui permet aux ouvrières de planer lorsqu’elles
tombent d’un arbre.
• La plus intéressante : je suis biaisé mais j’ai
un faible pour les fourmis qui entretiennent des relations spécifiques
avec des plantes (Allomerus, Myrmelachista, Pseudomyrmex, etc). Elles
représentent des variations évolutives sur un même thème
avec un mélange de convergences et d’adaptations uniques que je
trouve fascinantes.
• La plus bizarre : toutes les fourmis à grandes mandibules comme
les Daceton, les Eciton, ou les Odontomachus me paraissent
vraiment extraordinaires.
Citer
3 publis :
• La meilleure : je suis
particulièrement fier de « Retaliation in response to castration
promotes a low level of virulence in an ant–plant mutualism ».
Elle démontre la capacité des plantes à sanctionner des
fourmis trop virulentes. Elle a nécessité un long travail d’équipe
et même si elle n’est pas la plus citée, je pense qu’elle
apporte une contribution significative à l’étude des relations
plantes-fourmis. J’aime aussi beaucoup « An ant–plant
mutualism through the lens of cGMP-dependent kinase genes » qui démontre
la base génétique du comportement de protection de l’hôte
par les fourmis.
• Celle qui m'a demandé le plus de
travail : toutes celles que je n’ai pas encore finies
! La difficulté des postes temporaires est de finir de publier avant
de passer à un autre projet. J’ai des tonnes de données
sur les Jardins
du Diable et encore énormément de travail d’analyse
et d’écriture avant de pouvoir les publier.
• Celle qui m'a le plus posé de problèmes
: je pense immédiatement à « Mating system, population
genetics, and phylogeography of the devil’s garden ant, Myrmelachista
schumanni, in the Peruvian Amazon », peut-être parce qu’elle
est particulièrement récente. Pour cette étude, nous avons
utilisé le logiciel RELATEDNESS : la meilleure méthode pour analyser
nos données mais disponible seulement pour MacOS de 1999 à 2001.
Lorsque, sur un conseil des relecteurs, nous avons voulu faire des analyses
supplémentaires, nous n’avions plus accès à l’ordinateur
qui nous avait permis de faire les premiers tests. Nous avons passé des
mois en vain à la recherche d’un ordinateur de remplacement. Même
si nous avons finalement trouvé une solution et publié l’article,
ce processus a été extrêmement frustrant et parfois décourageant.
Références
- Malé, P.-J. G., J.-B. Ferdy, C. Leroy, O. Roux, J. Lauth, A. Avilez,
A. Dejean, A. Quilichini and J. Orivel (2013). Retaliation in Response to Castration
Promotes a Low Level of Virulence in an Ant–Plant Mutualism. Evolutionary
Biology: 1-7. doi: 10.1007/s11692-013-9242-7.
- Pierre-Jean G. Male,
Kyle M. Turner, Manjima Doha, Ina Anreiter,Aaron M. Allen, Marla B. Sokolowski
and Megan E. Frederickson. An ant–plant mutualism through thelens of cGMP-dependent
kinase genes. Proc. Royal Soc B, 284: 20170896
- PJG Malé, E
Youngerman, NE Pierce, ME Frederickson (2020). Mating system, population genetics,
and phylogeography of the devil's garden ant, Myrmelachista schumanni, in the
Peruvian Amazon. Insectes Sociaux, 67: 113-125.