Interview Cédric Chény
Alain Lenoir Mis à jour 27-Jui-2021
Mon
parcours en quelques lignes...
2017 – 2020 : Doctorat en Paléontologie (codirection), spécialité
paléoentomologie — Université Rennes 1, France & Chinese
Academy of Sciences, Chine
2015 – 2017 : Master Bio-géosciences, mention Préhistoire,
Paléontologie et Paléoenvironnements — Université
Rennes 1, Bretagne
2012 – 2015 : Licence Sciences de la Terre, parcours Terre & Environnement
— Université Paul Sabatier, Toulouse III, Occitanie
2009 – 2010 : Brevet pour l'exercice de la profession d'enseignant de
la conduite automobile et de la sécurité routière —
École de conduite française, Saint-Brieuc, Bretagne
2007 – 2008 : Baccalauréat Scientifique — Lycée Saint-Pierre,
Saint-Brieuc, Bretagne
Mon
intérêt pour les fourmis
Ma curiosité pour les fourmis remonte à mon adolescence, lors
d’une lecture qui m’a considérablement marquée. Je
dois l’avouer, ce n’est pas agenouillé au pied d’un
arbre (même si je l’ai pratiqué...) mais bien à travers
les récits captivants de B. Werber du « Cycle des Fourmis »
que j’ai réellement pris conscience de l’extraordinaire monde
qui se jouait sous nos pieds, et alors qu’une majorité d’entre
nous l’ignore ! Toutefois, l’idée d’une thèse
sur l’évolution d’un groupe aussi passionnant (et donc sous
le prisme de la paléontologie) restait purement de l’ordre du fantasme
voire de l’inatteignable.
Lors de mes débuts universitaires, je me suis donc d’abord intéressé
à des spécialités de mes universités respectives
(coraux, crustacés, etc.) mais au cours du Master, j’ai pu rediriger
mon intérêt vers les hyménoptères, et en particulier
sur les guêpes parasitoïdes, un groupe proche des fourmis. Lorsque
l’annonce d’une thèse sur l’évolution des fourmis
Myrmicinae (la plus grande sous-famille des Formicidae avec plus de 7 000 espèces)
vît le jour au cours de mon stage de recherche de Master 2, j’ai
alors saisi ma chance !
Ma
thèse
L’intitulé de la thèse sur laquelle j’ai travaillée
au cours de mon doctorat est le suivant : « Taxonomie, phylogénie
et biogéographie des fourmis Myrmicines : apport des fossiles cénozoïques
». Pour faire simple, elle porte sur l’histoire évolutive
des fourmis Myrmicinae, de ses origines à nos jours. Les fourmis Myrmicinae
constituent la plus grande sous-famille des Formicidae avec plus de 7 000 espèces,
soit près d’une espèce sur deux, ce qui est considérable.
Après avoir effectué un état de l’art des connaissances
actuelles sur ce groupe, l’objectif de ma thèse consistait à
proposer de nouvelles reconstitutions phylogénétiques et biogéographiques
en s’appuyant sur les récentes découvertes de fourmis fossiles
(et actuelles) qui n’ont pas encore fait l’objet d’une publication.
En résumé, nous souhaitions répondre aux questions suivantes
: 1) quand et où est apparue la lignée ancestrale des Myrmicinae
; 2) quand sont apparues les grandes lignées actuelles (tribus et genres)
et comment se sont-elles diversifiées au cours du Cénozoïque
? 3) comment expliquer leur diversité et leur répartition actuelle
?
Pour celles et ceux qui le souhaitent, le manuscrit de thèse est disponible
en ligne gratuitement et est directement accessible via ce lien.
Mes
recherches et projets actuels
Je continue actuellement le travail de recherche sur les fourmis Myrmicinae,
qui est évidemment loin d’être terminé. Je travaille
en ce moment sur la description taxonomique de plusieurs nouvelles espèces
myrmicines à partir de matériel fossile inédit de divers
sites paléontologiques, notamment de l’ambre miocène de
Zhangpu (Chine) [gisement majeur dont le papier de présentation générale
vient de paraitre dans Science
Advances], d’Éthiopie ou encore de République Dominicaine.
Plusieurs publications devraient voir le jour d’ici la fin de l’année,
dont la plus ancienne représentante fossile du groupe des fourmis Myrmicinae
(issue de l’ambre éocène de l’Oise) ou encore l’une
décrivant les premières ouvrières fossiles du genre si
étonnant Melissotarsus.
Avec mes anciens directeurs de thèse Vincent Perrichot (Université
Rennes 1) et Bo Wang (Nanjing Institute, Chinese Academy of Sciences) je collabore
aussi sur une étude qui proposera une réestimation de l’âge
du groupe des Formicidae à partir de nouvelles méthodes phylogénétiques
et calibrations fossiles, dont une partie est issue de ma thèse.
En dehors du monde de la myrmécologie, je travaille également
sur la description et la réattribution systématique de matériel
fossile de crustacés décapodes (nouvelles espèces et réassignation)
du Miocène d’Afrique du Nord ainsi que du Jurassique (Callovien)
du nord de la France (collections MnHn).
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3 fourmis :
• La
plus belle : la morphologie des Cephalotes
(C. atratus, C. palustris, etc.) [= les « fourmis tortues »]
est parmi mes préférées.
• La plus intéressante : le mode de vie hautement cryptique et
la biologie si singulière des Melissotarsus
(et de sa lignée sœur Rhopalomastix) me fascine : elles
vivent presque sinon totalement isolées du monde extérieur au
sein d’arbres en bonne santé en creusant des galeries dans du bois
sain avec leurs puissantes mandibules, sécrètent leur propre soie
pour réparer et soutenir les galeries, et élèvent des cochenilles
pour se nourrir notamment de leur miellat. Elles font par ailleurs partie des
plus petites représentantes des Formicidae, les ouvrières ne font
que quelques millimètres.
• La plus bizarre : la plus bizarre au sens d’étonnant, je
pense à la posture permanente en mode « défensif »
des ouvrières Crematogaster.
Elles sont impressionnantes ! Mais la plus bizarre-bizarre serait peut-être
la morphologie des espèces du genre Ancyridris connu uniquement
en Papouasie-Nouvelle-Guinée : leurs épines en forme de hameçon
est vraiment des plus étranges !
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3 publis :
• La meilleure : du fait de ma jeune expérience,
la meilleure de mes publications est sans doute celle qui n’est pas encore
sortie ?!
• Celle qui m'a demandée le plus de travail : Si l’on considère les publications en tant que coauteur, celle qui m’a demandé le plus de travail est sans conteste l’inventaire général des fourmis myrmicines de l’ambre miocène de Zhangpu dont le papier de présentation générale vient de paraitre dans Science Advances (publication disponible ici). Ce travail représente plus d’une année de ma thèse, en partant du polissage de l’ambre à l’identification jusqu’à l’interprétation taxonomique et la description statistique de la biodiversité. Mais l’ambre de Zhangpu représente plus de dix années de travail et de collaboration entre des chercheurs des quatre coins du monde !
• Celle qui m'a le plus posée de problèmes : Au cours de l’étude de morceaux inédits d’ambre de la Baltique, j’ai eu affaire à une minuscule fourmis myrmicine à la combinaison de caractère très singulière. L’ouvrière était non seulement minuscule (quelques millimètres) mais les micro-fractures dans l’ambre rendait les parties anatomiques cruciales (les appendices buccaux notamment) particulièrement difficiles à observer. Toutefois, à force de pugnacité et de patience, nous avons pu observer ces caractères de manière adéquate. Au vu de sa morphologie reprenant des caractères déjà connus d’espèces fossiles ou actuelles mais jamais dans cette combinaison unique, nous avons décrit le nouveau genre myrmicine Thanacomyrmex (publication disponible ici). Ce fut la première étude que j’ai publiée en tant que premier auteur et je dois avouer que cette publication est le fruit d’un très long travail de fond, et de remise en question. La problématique de l’attribution d’une espèce à un nouveau groupe (à un nouveau genre et au-delà) n’est jamais aisée, je peux en témoigner. C’est donc clairement celle qui m’a posée le plus de problèmes mais c’est aussi celle où j’ai sans doute le plus appris !
Enfin
comment un(e) jeune chercheur(se) se considère la compétition
actuelle et un conseil à donner à un jeune qui commence :
À vrai dire, je ne réfléchis pas et n’ai jamais vraiment
réfléchi en termes de compétition mais plutôt en
termes d’envie. Je ne suis donc sans doute pas le mieux placé pour
donner un conseil si l’on se place dans un système où l’on
considère la formation académique (et la recherche d’un
poste permanent) comme une compétition, bien que je reconnais qu’il
y a nécessairement une sélection in fine. Si je devais donner
un conseil à un jeune qui souhaiterait un jour se lancer sérieusement
dans la recherche et viser dans un premier temps une thèse de doctorat
(donc à passer un concours dans la plupart du temps), je lui dirais que
seul compte la passion et la volonté qui l’animent. Réfléchir
à nos « chances » d’échec ou de réussite
est pour moi une perte de temps sinon un conditionnement négatif, ou
alors il ne faut réfléchir qu’en termes de chances de réussite.
Se dire qu’on va y arriver, c’est déjà avoir un peu
gagné, d’après Sun Tzu. Évidemment, la réalité
peut vite nous rattraper et nous pouvons être déçu mais
il faut, je pense, apprendre à accepter les choses telles qu’elles
sont.