La vallée de l'abeille noire
Mis à jour le 14-Sep-2022
La vallée
de l'abeille noire, de Yves Elie, Actes Sud 2021, avec postface de
Lionel Garnery, Camille Desilles-Laurent illustratrice, 208p.
Un livre très original sur la vie des abeilles et en particulier de l'abeille noire. L'auteur élève ses abeilles dans des rucher-troncs (voir dessins dans le livre). Il parle de "La disparition progressive de l'abeille noire par la pollution génétique généréee par l'industrialisation de l'apiculture est emblématique du sort peu enviable vécu par les quelques centaines d'autres races d'abeilles sauvages du territoire, qui s'effacent elles aussi, gommées de plus en plus vite par l'évolution des pratiques agricoles" (p.60). Au contraire, dans ses Cévennes on trouve "La vallée où les abeilles ne meurent pas." (p.153). Il s'élève contre l'utilisation des néonicotinoïdes. Par contre il défend l'idée d'utiliser un insecticide (il ne dit pas lequel) contre le frelon asiatique car cela pollue moins que les insecticides utilisés à grande échelle contre les puces et les tiques des chats.. (p.112). Quelques images, par exemple le miel "C'est du soleil thésaurisé.". Il dit qu'en Allemand on ne parle pas de colonie d'abeilles mais de "peuple", ce qui donne une identité plus forte (p.145). Il cite les travaux de Michel Solignac et de Gérard Arnold sur la génétique (analyse des microsatellites). Par ailleurs les différentes lignées ont des profils d'hydrocarbures différents, ce qui leur permet de se reconnaitre (p.73-74) (Arnold et al.1996).
Résumé. "A l'heure où les populations d'insectes s'effondrent, vaincues par les pesticides, il existe au coeur des Cévennes une vallée où les abeilles ne meurent pas. Yves Élie est un apiculteur heureux, un poète truculent et passionné par les abeilles noires, cette variété endémique qui a traversé les ères glaciaires jusqu'à nous. Sélectionnée par des millénaires d'âpres conditions, l'abeille noire a développé des caractéristiques de frugalité, de vivacité et de réactivité qui la rendent particulièrement adaptée aux bouleversements..."
Selon Mathieu Vidard, dans La terre au carré : "La Vallée de l’Abeille Noire mêle récits d’expériences sur les pratiques de l’apiculture ancestrale naturaliste par le rucher-tronc, poésie, vie des abeilles et détails techniques sur les caractéristiques de l’abeille noire."
Relations abeilles-fourmis
(p. 78-79) :
"Les colocataires.
Le curieux s'intéresse rarement aux abeilles en dehors des comportements
liés au miel et à la pollinisation. Le miel étant le lien
élémentaire qui nous relie aux abeilles, c'est grâce à
lui et à l'élevage des "mouches à miel" que nous
pouvons nous rapprocher d'elles et de la ruche. Combien sont-elles dans cet
habitat qui demeure pour beaucoup hermétique ? Le passant est étonné
d'apprendre que la population de la colonie passe de 40 000 abeilles en hiver
à parfois plus de 100 000 en été. Et s'il est très
curieux, il va s'intéresser aussi aux autres, aux figurants qui participent
en toile de fond au théâtre des abeilles, par exemple aux fourmis
qui s'introduisent de-ci de-là par les fissures du bois. Lorsque la colonie
est faible, sans formalité, elles empruntent même l'entrée
principale. Elles s'installent volontiers dans un espace disponible où
les abeilles n'ont pas accès, souvent entre le toit de la ruche et la
cloison de bois isolante qui recouvre les rayons. Là, elles profitent
de la chaleur dégagée par les abeilles, de l'abri de la pluie,
et aussi de la proximité des stocks intéressants de pollen et
de miel. Ce qui les intéresse d'autant plus qu'elles appartiennent au
groupe des hyménoptères dont font partie les abeilles et qu'elles
ont certains goûts et besoins en commun. Aussi trouve-t-on d'importantes
colonies de fourmis nichées sous les toits, avec des centaines d'oeufs
et les nurses qui en prennent soin. Certaines descendent de temps à autre
dans le corps de la ruche pour y puiser du miel et du pollen. Une commensalité
qui fonctionne alors mais qui n'est pas immuable. S'il y a trop de fourmis et
pas assez d'abeilles, ces dernières sont stressées, piquées,
harcelées par des fourmis qui piochent dans le peu de provisions de la
colonie déjà faible. On voit alors les abeilles courir sur les
rayons, essayant d'esquiver les fourmis qui s'accrochent à leurs pattes.
La reine, dans ces cas-là, peut être tellement contrariée
qu'elle cesse de pondre avec sa fécondité habituelle. Le déficit
de population se creuse vite, la colonie est déstabilisée, va
vers l'extinction. Ce scénario varie avec le type de fourmis. Les plus
placides étant les grosses fourmis noires qui pénètrent
dans les ruches installées dans la forêt et qui ne piquent pas
(1). L'été, il y a aussi ce gros scarabée noir qui vit
parfois dans les ruches. Très peu d'apiculteurs connaissent le nom de
cette bête noire qui les inquiète, puisqu'il s'agit bien d'un parasite
au sens étymologique du terme, "mangeant aux côtés
et aux dépens de", en l'occurrence des abeilles. Je dois à
Philippe Boyer, cinéaste et entomologiste passionné de longue
date pour les pollinisateurs sauvages, de savoir que ce gros scarabée
à la robe noire et brillante est une cétoine, et qu'elle s'appelle
Potosia opaca. L'été, on peut en trouver une douzaine, parfois
plus, qui vont et viennent, insensibles aux piqûres, à l'abri de
leur carapace d'un noir d'ébène. Parasites bien élevés,
les cétoines prélèvent leur part discrètement. Elles
ne mettent pas à mal la colonie d'abeilles, du moins tant qu'elles ne
sont pas en surnombre, ce qui est le cas la plupart du temps. Mais le déséquilibre
entre hôtes et parasites intervient si une ruche est posée sur
le sol, dans certaines forêts, ou si l'homme installe près des
colonies un milieu."
(1) sans doute une Camponotus
Réf
- Arnold, G., B. Quenet, J. M. Cornuet and C. Masson (1996). Kin recognition
in honeybees. Nature 379: 498.