Naturaliste

Le livre de souvenirs de EO Wilson : 2000, traduction de "Naturalist" par Carine Chichereau, Bartillat éd.  

Alain Lenoir mis à jour 12-Avr-2018

Un livre passionnant, à lire et relire   

Wilson raconte sa vie depuis sa petite enfance en Alabama où il a perdu un oeil lors d'un accident de pêche où une sotre de perche marine l'a piqué avec une nageoire (p.23-25). Il n'entend pas les hautes fréquences. Son père était alcoolique et grand fumeur qui s'est suicidé à 48 ans. Wilson est protestant méthodiste, ne boit jamais d'alcool. Enfance de scout et d'école militaire dans l'Alabama raciste des années 40, au milieu des grenouilles et des serpents des marais, des chauve-souris. Dans les années 65 il refuse de prendre l'avion tant que sa fille Catherine n'aura pas l'âge d'aller au lycée (p. 354). A l'automne 1945, à 16 ans il décide de devenir naturaliste et d'étudier les fourmis, il découvre les Neivamyrmex, fait la 1ère observation de la fourmi de feu Solenopsis invicta aux USA en 1942 en Alabama où elle remplace la Solenopsis geminata locale (p. 85). Il entre à l'université d'Alabama en sept 1946, 3 ans d'études pour 2 000$ pension comprise, uniquement des blancs bien sûr... Une carrière rapide : professeur titulaire à Harvard à 30 ans, On est admiratif devant ce super-homme, et impressionné de voir que pour lui la "carrière" était sa motivation, l'amphétamine de l'ambition lui donne des ailes (p.355). En 1965, à la sortie de l'article de Hamilton sur la sélection de parentèle "je me considérai moi-même comme le spécialiste mondial des insectes sociaux : il me paraissait donc improbable qu'un autre puisse expliquer leur origine, surtout en un seul petit article." (p. 355). Il veut révolutionner la biologie évolutive, et lors de ses voyages comme à Trinidad s'il ne trouve pas ce qu'il cherche il sombre dans la dépression (voir p. 269). Il a fait des fourmis "le centre de ma vie professionnelle, à la limite de l'obsession." (p. 316).

Il a toujours été avant-gardiste, par exemple "Imaginez que Lyssenko ait raison (chose certaine car autrement, pourquoi les généticiens traditionnels se seraient-ils dressés contre lui ?) : les biologistes pourraient alors modifier l'hérédité comme ils le voudraient ! C'était bien sûr de la pseudoscience de pacotille, mais à l'époque, je ne le savais pas. Et cela ne me gênait guère : j'avais gouté a l'enivrant nectar de la rebellion intellectuelle." (p. 56). Il parle de James Watson, co-découvreur de la structure de l'ADN, dans les années 50-60 qui est "l'homme le plus déplaisant que j'ai jamais rencontré." (p. 244) et de tous les problèmes posés par la biologie moléculaire qui se développe très vite et prend tout, les crédits, les postes, les idées.. Même à Harvard on n'osait plus parler d'écologie.

Quelques fourmis dont il parle, beaucoup d'espèces que l'on ne connait pas...
- sa thèse sur la systématique des Lasius (p.161).
- Fourmis lions Dorymyrmex, dolichoderines à odeur particulière, qui tournent comme des toupies sur le sol brûlant (p. 62). Je ne sais pas si dans le livre original Wilson parle de fourmi lion... Je n'ai pas retrouvé ce nom. Pdf
- Fourmis citronelle Acanthomyops, dans la terre ou le bois en décomposition, à odeur citronnée (citronellal et citral) de la glande mandibulaire pour la phéromone de piste (p. 72).
- la piqûre d'Odontomachus insularis le met en fuite (p. 85)
- un scarabée Paralimulodes, tout petit staphylin qui "vit sur le dos de fourmis comme une puce et se nourrit en léchant les secrétions huileuses de leur corps." (p. 122). Les fourmis hôtes sont des fourmis légionnaires Neivamyrmex. Wilson avait déjà anticipé que ces coléoptères récupèrent les hydrocarbures de la fourmi hôte. Voir Myrmécophiles et The ants p.487.
- La lutte contre la fourmi de feu avec le DDT. Wilson qualifie cette guerre perdue de « Vietnam entomologique » (
p. 236).
- Observation des Dacetines qui chassent "les collemboles et autres créatures minuscules, au corps mou" (p. 152).
Pdf
- A Cuba il trouve Thaumatomyrmex cochlearis, aux émormes mâchoires en forme de fourche, prédatrice de mille-pattes; et Dorisidris nitens, fourmi endémique de Cuba (C'est en fait une Strumigenus, p. 168). Il y trouve aussi Macroschima wheeleri, fourmi métallique de couleur verte (nom pas retrouvé, p. 170).
- Au Mexique il capture des Belonopelta (Ponerinae) qui mangent des millepattes et des Hylomyrma (proche de Pogonomyrmex, myrmicine primitive prédateur généraliste comme les Myrmica) (p. 174). En altitude il trouve des Dorylinae et des Formica (p. 176).
- Il effectue un long voyage d'un an autour du monde à la recherche des nouvelles fourmis : Nouvelle-Guinée, Australie où il cherche vainement le Nothomyrmecia (p. 199 et suiv.), au Sri Lanka où il découvre des Aneuretus.

- Au Surinam il étudie Daceton armigerum, arboricoles (p. 269).
- Sur l'île de la Trinité il redécouvre Spelaeomyrmex urichi, maintenant Carebara (p. 269).
- Monomorium pharaonis qui envahit le muséum de Harvard (p. 314 et suiv.) et que l'on a éliminé avec un insecticide qui mime l'hormone juvénile (appelée hormone de jeunesse par la traductrice..). Cela a donné un roman de science-fiction Spirals.

Les grandes étapes dans sa carrière.

- La biogéographie des îles, à partir de 1963 avec Simberlof, surtout les Keys de Floride (chap. 14). Il a besoin d'un niveau zéro, une île complètement vierge. Pour cela il n'hésite pas à en traiter une avec du parathion (interdit maintenant ..) mais ce n'est pas suffisamment efficace alors ils utilisent du bromure de méthyle fumigène très toxique (aussi interdit).

La mangrove selon Wilson :

- Le comportement social et la communication chimique (chap. 15). Inspiré par Lorenz il se lance dans les schémas d'action innés. Il n'hésite pas à écrire "Dans mon domaine ce ne sont pas les psychologues, avec leurs rats blancs trop simples et leurs labyrinthes, mais bien les naturalistes qui sont les plus à même d'étudier le comportement animal." (p. 318). Il est là encore précurseur "Je songeai immédiatement que chez les fourmis et les autres insectes sociaux, la communication se faisait par l'intermédiaire de produits chimiques." (p. 319). Il démarre avec la fourmi de feu qui fait des radeaux en cas d'inondation et qu'il est alors facile de récolter (p. 324). Il découvre la glande (glande de Dufour) mais n'arrive pas à identifier la substance, les preformances de la chromatographie à l'époque étant insuffisantes. C'est Robert Vander Meer qui le fera vingt ans plus tard. Alors commence la collaboration avec Bert Hölldobler, collaboration très fructueuse : "C'est le chercheur le plus honnête que j'ai jamais côtoyé... Dans les conversations il adoptait un ton moralisateur manifeste sans concession. Cette attitude n'était ni le fruit de de l'arrogance, ni de l'égoïsme, mais de sa conviction de philosophe humaniste que si l'on ne se montre pas exigent, la vie perd de son sens." Ainsi naquit le livre "The ants" en 1990, qui obtient le prix Pulitzer (livre improprement appelé Voyage chez les fourmis dans la traduction).

- La sociobiologie (Chap. 16) avec l'apport fondamental de Hamilton (sélection de parentèle) et de Trivers sur l'altruisme réciproque, puis toutes les controverses sur le dernier chapitre, en particulier à Harvard avec Levontin (Chap. 17). Il apprécie qu'à Villetaneuse se crée un Laboratoire d'Ethologie et Sociobiologie (p. 373). La coopération Wilson / Hölldobler semble se terminer ces dernières années avec les critiques contre la sélection de parentèle que Wilson comprend et qui le conduisent à se questionner alors qu'Hölldobler persiste dans ses idées.

- La biodiversité (chap. 18). A partir des années 1980, Wilson se lance dans la biodiversité dont il invente le concept. Il est comme toujours avant-gardiste puisqu'il conclue son livre en 1994 sur les microbes (p. 406).

Voir
- Wilson E.O. (1975). Sociobiology, the new synthesis. Harvard University Press, 697p.
- Hölldobler, B. and E. O. Wilson (1990). The Ants, The Belknap Press, Cambridge. 782p.