Intelligence animale. Abeilles et fourmis

Mis à jour le 16-Mai-2023

Intelligence animale : les découvertes sur les abeilles pollinisent la recherche. Yves Sciama, Mediapart 13 mai 2023. Avec interview de Patrizia d'Ettorre et Martin Giurfa. La partie du texte sur les fourmis. Pour les abeilles voir l'article de Médiapart (cadeau).

Depuis une vingtaine d’années, les expériences sur l’intelligence des abeilles révolutionnent la vision qu’en avait la science, révélant des animaux qui apprennent les uns des autres, sont traversés par des émotions, et présentent des traces de conscience. Des découvertes qui pourraient concerner bien d’autres insectes.

Les personnalités des fourmis

S’ajoute une question difficile et lourde d’implications : à quel point les abeilles sont-elles une exception au sein de l’univers invertébré ? À quel point leurs talents cognitifs sont-ils répandus ? La recherche sur la cognition des insectes n’a jusqu’ici porté que sur une demi-douzaine d’espèces, au sein desquelles l’abeille et le bourdon dominent de manière écrasante. Mais le reste est un trou noir.

C’est qu’il n’est pas facile d’étudier la cognition chez un insecte. Il faut d’abord savoir l’élever, très bien connaître sa biologie et surtout comprendre en profondeur sa perception du monde, ce qui peut demander des années de recherche.

« Les fourmis, sur lesquelles je travaille, sont très différentes des abeilles, indique par exemple Patrizia d’Ettorre, professeure d’éthologie à l’université Sorbonne Paris Nord. Les abeilles volent, et sont très visuelles ; les fourmis, marcheuses, sont beaucoup plus tactiles et olfactives. Il faut donc trouver d’autres protocoles pour les tester. » Par exemple, l’apprentissage social chez les bourdons se fait par observation mutuelle, ce qui est assez facile à mettre en évidence, juge la chercheuse, « mais peut-être qu’il y a aussi de l’apprentissage social chez les fourmis sans qu’on n’ait encore trouvé la manière de le montrer ».

Ce qui est certain, c’est que tous ces travaux spectaculaires sur l’abeille sont en train d’inspirer des centaines de chercheurs et chercheuses à travers le monde, qui se penchent sur le cerveau d’autres invertébrés, sociaux (fourmis, guêpes, termites…) mais aussi solitaires, avec des travaux qui se multiplient sur les grillons par exemple, les blattes et bien d’autres. Les protocoles et les questionnements développés autour des abeilles fécondent désormais un vaste éventail de recherches.

Ainsi, les fourmis s’avèrent des animaux d’une grande souplesse comportementale, capables par exemple d’utiliser des outils, et même d’en fabriquer. Lorsqu’elles doivent ramener un liquide à la colonie, certaines prennent de petits objets solides dans leur environnement (feuilles, cailloux, écorces…), les trempent dans le liquide et les ramènent une fois imprégnés, choisissant le plus absorbant si elles en ont plusieurs à disposition.

Autre résultat notable (qui confirme des observations sur les abeilles), les fourmis ont de véritables personnalités, comme les chiens ou les chats. « Certaines sont plus ou moins exploratrices, plus “optimistes” ou “pessimistes”, plus ou moins aptes à certaines tâches… et ces caractéristiques sont stables dans le temps, et cohérentes les unes avec les autres », indique Patrizia d’Ettorre.

Certaines recherches inspirées par les travaux sur les abeilles recèlent d’ailleurs des possibilités d’applications pour les humains. Profitant des connaissances génétiques accumulées sur la mouche drosophile, Mercedes Bengochea, neuroscientifique à l’ICM (Institut du cerveau et de la moelle épinière) parisien, scrute le rôle de chaque neurone de l’insecte lorsqu’il accomplit des tâches numériques, « pour déchiffrer les mécanismes de base de traitement de l’information par les cellules ». D’autres travaux pourraient s’appliquer à l’intelligence artificielle ou la robotique.

Mais ce que l’abeille a à nous apprendre avant tout, selon Martin Giurfa, c’est que « loin d’être le sommet de la création, nous sommes au fond semblables à des milliards d’êtres que nous ignorons voire méprisons ». Que cela plaise à Descartes ou non.