Fourmis parasitées par le ténia
Mis à jour le 23-Jui-2023
Science et Vie de janvier 2016 nous apprend dans une petite note de M. Saemann que "Le destin d'une colonie ne tient qu'à une fourmi. Quand le parasite Anomotaenia brevis infecte une fourmi, il modifie son odeur. Ce qui brouille, chez les autres, la détection des intrus... qui attaquent plus facilement. Toute la colonie est alors fragilisée."
C'est Luc Plateaux qui en 1972 a observé que les Temnothorax nylanderi (appelées à l'époque Letpothorax) peuvent être l'hôte intermédiare d'un ténia (un ver cestode) qui se développe dans cet hôte avant de passer chez l'hôte définitif, un pic (Dendrocopus major, pic épeiche ou D. minor, pic épeichette) où il vit dans le tube digestif. La transmission se fait quand le pic mange les fourmis en creusant les branchettes où vivent les Temnothorax, puis les fourmis mangent les fécès des oiseaux contenant des oeufs du ver. Les fourmis parasitées sont jaunes, plus petites avec des modifications morphologiques. Elles sont inactives, ne fourragent pas et sont donc un poids pour la colonie. Elles sont tolérées dans la colonie et même soignées mais parfois on observe quand même des agressions de la part des autres ouvrières et aussi entre elles. Cela a un effet négatif sur la colonie où la ponte est diminuée (Salzemann et Plateaux 1987). Trabalon a montré ensuite que les ouvrières parasitées ont les mêmes hydrocarbures cuticulaires que leurs soeurs mais avec des différences de proportions. elles en fabriquent ausi plus (213 ng/fourmi versus 330 pour les parasitées). Cela peut explique les l'intolérance partielle des fourmis à leur encontre.
Cycle biologique du ténia (Feldmeyer et 2016)
Temnothorax nylanderi parasité par Anomotaenia à gauche (Laciny 2021) :
Sara Beros, une élève de Suzanne Foitzik à Mainz, vient de reprendre cette question (voir note de Science et Vie) et confirme que les parasites influent aussi sur les fourmis non parasitées qui ont une survie diminuée. Les parasitées sont mieux nourries et ont une meilleure survie. Elles sont moins agressives vis-à-vis de congénères, ce qui pourrait expliquer leur tolérance envers les parasitées qui ont un profil chimique un peu différent (Beross et al 2015). Une autre étudiante, Barbara Feldmeyer, a étudié l'expression de 400 gènes dans le cerveau des fourmis. De nombreux gènes pouvant influencer favorablement la durée de vie et au contraire ceux de l'expression musculaire sont déprimés chez les fourmis parasitées, ce qui peut augmenter leur probabilité à être mangés par un pic, si elles restent immobiles quand le pic creuse le nid. Les voies possibles causales entre ces gènes et le phénotype ne sont pas claires encore.. (Felmeyer et al 2016).
L'expression des gènes (Felmeyer et al 2016)
Comment
rester jeune ? Un ténia parasite de Temnothorax
qui prolonge la vie des ouvrières (Beros et al 2021a, dans l'équipe
de Susanne Foitzik, voir Sudouest, article repris de l'AFP). Les fourmis infectées
par le ténia vivent aussi lontemps que les reines. Dans une étude
antérieure (voir Beros et al 2021b) ils avaient montré que la
présence du parasite « amplifiait l’expression de gènes
liés à l’immunité, et dans une moindre mesure de
gènes liés à la longévité », dit la
biologiste. Autrement dit, le parasite aiderait l’organisme de la fourmi
à lutter contre le vieillissement. "Mieux encore, l’équipe
du Pr Foitzik est en train d’analyser les protéines libérées
par le parasite dans le « sang » de la fourmi, ce qui « ouvre
une fenêtre sur le phénomène du vieillissement ».
« Nous avons découvert que plusieurs de ces protéines ont
des propriétés antioxydantes », très utiles pour
le système immunitaire, dit-elle, en estimant « possible que le
parasite aide lui-même la fourmi à vivre plus longtemps »."
"« Pourquoi le parasite chercherait-il à allonger la durée
de vie de son hôte ? », demande le Pr. Foitzik. Elle y répond
dans l’étude en supposant que c’est le meilleur moyen pour
le parasite de rejoindre son hôte final. Car la larve du parasite ne peut
se transformer en ver qu’en retrouvant le tube digestif du pivert. D’autres
parasites de fourmis amènent ces dernières à un suicide
rapide pour arriver à leurs fins. La petite douve du foie, qui entame
son cycle dans un escargot, passe à la fourmi de l’espèce
Formica, et pousse son hôte à fausser compagnie chaque jour à
ses congénères pour se percher en haut des herbes, dans «
l’espoir » d’être broutée par un ruminant, cible
finale du parasite. Un autre petit ver, Myrmeconema neotropicum, amène
sa fourmi hôte à dresser en l’air son abdomen rouge, pour
mieux tenter un oiseau de passage, son hôte final. Ce qui ramène
au pivert, qui aurait peu de chance de repérer T. nylanderi et
sa taille maximale de 3 mm dans un tas de feuilles. Les fourmis infectées
« restent à l’abri dans leur nid dans un gland ou une branche,
pile l’endroit que le pivert va ouvrir pour se nourrir de larves »,
selon l’étude. Pour les chercheurs, il est donc probable que les
changements de comportement observés chez les travailleuses infectées
les prédisposent à se faire boulotter par l’oiseau."
Plus récemment il est confirmé que l'espérance de vie des fourmis Temnothorax parasitées par le ténia est triplée ( et voir Henry 2023).
Voir une épingle d'Alain Fraval sur le parasitisme par les ténias "Un ver pour rester jeune" Texte
Les fourmis parasitées ont un métabolisme et un taux de lipides
comparable à celui d'une jeune ouvrière. Leur profil chimique
est déviant et est attractif pour les ouvrières saines (Beros
et al 2021).
Références
- Beros,
S., E. Jongepier, F. Hagemeier and S. Foitzik (2015). The parasite's long arm:
a tapeworm parasite induces behavioural changes in uninfected group members
of its social host. Proceedings Royal Society London B 282(1819).
-
Beros, S., A. Lenhart, I. Scharf, M. A. Negroni, F. Menzel and S. Foitzik (2021).
Extreme lifespan extension in tapeworm-infected ant workers. Royal Society Open
Science 8(5): 202118. doi: doi:10.1098/rsos.202118.
-
Feldmeyer, B., J. Mazur, S. Beros, H. Lerp, H. Binder and S. Foitzik (2016).
Gene expression patterns underlying parasite-induced alterations in host behaviour
and life history. Molecular Ecology in press 2016.
-
Henry, L. (2023) Un parasite défie le temps en triplant la durée
de vie des fourmis infectées. trustmyscience, 13 juin 2023, https://trustmyscience.com/fourmis-parasite-triple-esperance-vie/.
Voir texte
-
Laciny, A. (2021). Among the shapeshifters: parasite-induced morphologies in
ants (Hymenoptera, Formicidae) and their relevance within the EcoEvoDevo framework.
EvoDevo 12(1): 2. doi: 10.1186/s13227-021-00173-2.
-
Les scientifiques découvrent un parasite qui ralentit le vieillissement
des fourmis. Sudouest.fr 20 mai 2021. Lien
- Plateaux, L. (1972).
Sur les modifications produites chez une fourmi par la présence d'un parasite
cestode. Ann. Sci. Nat. ser. 2 14: 203-220.
- Salzemann, A. and L. Plateaux (1987). Reduced egg laying by workers of the
ant Leptothorax nylanderi in presence of workers parasitized by a Cestoda. Chemistry
and biology of social insects. J. Eder and H. Rembold. Munich, Peperny: 45.
- Trabalon, M., L. Plateaux, L. Péru, A.-G. Bagnères and N. Hartmann (2000).
Modification of morphological characters and cuticular compounds in worker ants
Leptothorax nylanderi induced by endoparasites Anomotaenia brevis. Journal of
Insect Physiology 46: 169-178.