Un parasite défie le temps en triplant la durée de vie des fourmis infectées
Laurie Henry·13 juin 2023 (merci Max Huber)
https://trustmyscience.com/fourmis-parasite-triple-esperance-vie/
La nature complexe des interactions entre les parasites et leurs
hôtes est une source constante de découvertes, mais surtout d’interrogations.
Une nouvelle étude révèle comment un ténia manipule
son hôte, la fourmi, pour prolonger la durée de vie de cette dernière
et ainsi augmenter ses propres chances de survie. En utilisant un cocktail de
protéines spécifiques, le parasite influence le comportement et
la morphologie de l’hôte. Ces résultats pourraient aider
à comprendre et contrôler les interactions hôte-parasite.
Les parasites sont des organismes qui vivent aux dépens d’un autre
organisme, appelé hôte. Certains parasites ont des cycles de vie
simples, où ils passent toute leur vie dans un seul hôte. Cependant,
d’autres parasites ont des cycles de vie plus complexes, impliquant plusieurs
hôtes, à différents stades de leur vie.
Ces derniers ont développé des stratégies étonnantes
pour assurer leur survie et leur reproduction. L’une de ces stratégies
est la manipulation du phénotype de leurs hôtes intermédiaires.
Le phénotype se réfère à toutes les caractéristiques
observables d’un organisme, y compris son comportement, sa morphologie
(forme et structure), sa physiologie et d’autres traits. La modification
du phénotype permet de rendre l’hôte intermédiaire
plus attrayant pour l’hôte définitif et augmenter les chances
de survie et de reproduction du parasite.
Récemment, une étude menée par une équipe de l’Université
Johannes Gutenberg en Allemagne, a révélé que les fourmis
du chêne (Temnothorax nylanderi) peuvent être infectées
par un ténia parasite qui, étonnamment, prolonge leur vie par
des changements dans le comportement, la morphologie et la coloration de la
fourmi. Les mécanismes impliqués étaient jusqu’à
présent inconnus. L’étude est publiée sur la plateforme
bioRvix.
Les chercheurs se sont concentrés sur le cestode Anomotaenia brevis.
Ce parasite a un cycle de vie indirect avec la fourmi du chêne comme hôte
intermédiaire, et deux espèces de pics (Dendrocopos major
et D. minor) comme hôtes définitifs. Ce ténia
doit donc faire en sorte que la fourmi infectée soit mangée par
un pic.
Pour ce faire, les auteurs ont découvert qu’il libère des
protéines dans son hôte, qui pourraient expliquer les changements
observés, dont la coloration de la cuticule devenant plus claire et jaune,
contrairement à la couleur brune des ouvrières saines. Ces protéines
parasitaires constituent une part substantielle du protéome de l’hémolymphe
de l’hôte, le fluide qui circule dans le corps de la fourmi. Parmi
ces protéines, la thioredoxine peroxydase et le superoxyde dismutase,
deux antioxydants, étaient les plus abondants.
Une grande partie des protéines sécrétées n’a
pas pu être annotée, ce qui indique qu’elles sont soit nouvelles,
soit ont été majoritairement modifiées lors de la coévolution
récente pour fonctionner dans la manipulation de l’hôte.
Les chercheurs ont également détecté des changements dans
le protéome de l’hôte avec l’infection, en particulier
une surabondance de vitellogenine-like-A chez les fourmis infectées.
Cette protéine régule la division du travail chez les fourmis,
ce qui pourrait expliquer les changements de comportement observés. En
effet, les individus porteurs du parasite ne sortent pas pour se nourrir, mais
restent dans le nid, où des ouvrières non infectées s’occupent
d’elles.
D’après les auteurs, le parasite utilise deux stratégies
différentes pour manipuler son hôte. La première est la
sécrétion de protéines ayant une influence immédiate
sur le phénotype de l’hôte. La seconde est l’altération
de l’activité de traduction de l’hôte, c’est-à-dire
la manière dont l’hôte produit ses propres protéines.
Associées au changement de comportement, c’est-à-dire au
fait que les fourmis ne travaillent plus pour la colonie, la fourmi triple son
espérance de vie et cela profite évidemment au parasite, car même
s’il faut plusieurs années avant qu’un pic ne découvre
un nid de fourmis infecté, certaines fourmis portent toujours le parasite
et finissent par infecter le pic une fois lui avoir servi de repas, complétant
ainsi le cycle de vie.
Il faut savoir que les interactions hôte-parasite sont un moteur majeur
de l’évolution. Étudier ces relations peut aider à
comprendre comment les espèces évoluent et s’adaptent. Dans
ses travaux, l’équipe de recherche met en lumière l’interaction
moléculaire complexe nécessaire pour influencer le phénotype
d’un hôte et éclaire les voies de signalisation potentielles
ainsi que les gènes impliqués dans la communication hôte-parasite.
Étant donné que de nombreuses maladies humaines et animales sont
causées par des parasites, comprendre comment ils manipulent leurs hôtes
permettrait de développer de meilleures stratégies pour prévenir
et traiter ces maladies. Cela pourrait également protéger des
espèces menacées des effets dévastateurs de ce parasitisme.
Néanmoins, comme le concluent les auteurs, il reste à déterminer
quels sont les mécanismes précis par lesquels les protéines
sécrétées par le parasite influencent le phénotype
de l’hôte, ainsi que les effets à long terme de ces manipulations
sur la santé et la survie de l’hôte.