Alcaloïdes et fourmis    

Alain Lenoir mis à jour 20-Déc-2022


Les alcaloïdes sont des substances importantes chez les fourmis. Fox et Adams en ont fait une très bonne revue (2022). C'est Murray Blum qui dans les années 50 a commencé l'étude des alcaloïdes de fourmis. Les record de diversité est chez les Solenopsidini. Sont cités aussi entre autres Messor, Aphaenogaster, Myrmica, Monomorium, attines. Ils servent à la défense (alarme, répulsifs), l'attaque (toxines) mais aussi comme antimicrobiens et phéromones. Les alcaloïdes des Solenopsis ont été bien sûr très étudiés en raison de leur impact sur la santé. On trouve par exemple des pyrazines, anabasines et anabaséine. Chez les Dolichodérines on trouve des iridoïdes, monoterpènes intermédiaires dans la biosynthèse des alcaloïdes.

- La caféine est un stimulant de la mémoire chez les abeilles qui préfèrent des fleurs de caféier et de citronnier avec un peu de caféine, mais pas trop car le nectar devient amère (Chittka and Peng 2013).

- Il est possible que la production d'alcaloïdes soit liée à la présence de bactéries comme cela vient d'être montré chez les Aphaenogaster. A. senilis a de grandes quantités d'alcaloïdes dans sa glande à poison alors que A. iberica n'en a  pas du tout. Si on traite les A. senilis avec un antibiotique, la production d'alcaloïdes chute considérablement (94%). Le traitement induit aussi un état de stress qui se traduit par une augmentation d'hydrocarbures cuticulaires. Le traitement n'a aucun effet sur A. iberica (Lenoir et Devers 2018). Cela vient d'être confirmé avec des bactéries du genre Serratia qui ont été trouvés chez les attines Atta et Acromyrmex, qui produisent des pyrazines phéromones de piste, à parir de thréonine (Silva-Junior et al. 2018). On vient aussi d'en trouver chez Myrmica scabrinodis (Scarparo et al 2020).

- Les alcaloïdes pipéridines de la fourmi de feu Solenopsis invicta sont probablement utilisés comme signal de fertilité par les reines. Ils servent bien sûr à tuer les autres fourmis, même si une autre invasive Nylanderia fulva a trouvé un contre-poison : elle dépose sur la goutte de pipéridine une goutte d'acide formique qui la neutralise (voir Passera 2016).

- Les grenouilles toxiques des tropiques comme les Dendrobatidae ont près de 500 alcaloïdes différents sur leur peau. Certains sont toxiques contre la fourmi de feu, ce qui indique qu'ils sont une fonction défensive contre des arthropodes prédateurs.

- Les iridoïdes comme l'iridomyrmécine sont des monoterpènes intermédiaires dans la biosynthèse des alcaloïdes.

- Les champignonnistes Sericomyrmex ont une fourmi parasite associée Megalomyrmex qui les protège contre les razzias du prédateur Gnamptogenys avec des alcaloïdes (Adams et al. 2013).

Les effets de divers alcaloïdes ont été étudiés chez la fourmi Myrmica sabuleti (Cammaerts et al. 2014a,b) :
- Caféine et théophylline accroissent la vitesse linéaire de déplacement, diminuent la consommation de nourriture, ne changent pas la réaction aux phéromones ni leur audace, accroissent largement leur faculté de conditionnement et leur mémoire. Les effets disparaissent vite (11-16 heures pour la caféine, 28h pour la théophylline) et il n’y a pas de dépendance. Ce sont donc de bons stimulants.
- La cocaïne décroit la vitesse linéaire, la précision des réactions, la réponse aux phéromones et la consommation de nourriture. Elle accroit leur audace, et ne sont plus capables de conditionnement. Les effets disparaissent rapidement (4-5h) mais les fourmis deviennent dépendantes.
- L’atropine ne modifie pas la vitesse de déplacement, diminue la réponse aux phéromones parce que la perception olfactive est modifiée, n’affecte pas leur audace, décroit la consommation de nourriture, accroit la vitesse d’acquisition d’un conditionnement, améliore un peu la mémoire, les effets disparaissent en 20-30 heures, il n’y a pas d’accoutumance.
- La nicotine a des effets complexes. Elle accroit la vitesse, les réactions sont plus rapides, elle améliore un conditionnement quand la récompense contient de la nicotine. Une dépendance survient si la fourmi est privée de nourriture.

Voir
- Adams, R. M. M., J. Liberti, A. A. Illum, T. H. Jones, D. R. Nash and J. J. Boomsma (2013). Chemically armed mercenary ants protect fungus-farming societies. Proceedings of the National Academy of Sciences in press. 10.1073/pnas.1311654110
- Cammaerts, M. C., Z. Rachidi and G. Gosset (2014a). Physiological and Ethological Effects of Caffeine, Theophylline, Cocaine and Atropine; Study Using the Ant Myrmica sabuleti (Hymenoptera, Formicidae) as A Biological Model. International Journal of Biology 6: in press.
- Cammaerts, M. C., Z. Rachidi and G. Gosset (2014b). Some Physiological and Ethological Effects of Nicotine; Studies on the Ant Myrmica sabuleti as a Biological Model. International Journal of Biology 6.
- Chittka, L. and F. Peng (2013). Caffeine Boosts Bees' Memories. Science 339(6124): 1157-1159. 10.1126/science.1234411
- Fox, E. G. P. and R. M. M. Adams (2022). On the Biological Diversity of Ant Alkaloids. Annual Review of Entomology 67(1): null. doi: 10.1146/annurev-ento-072821-063525.
- Lenoir, A. and S. Devers (2018). Alkaloid secretion inhibited by antibiotics in Aphaenogaster ants. Comptes Rendus Biologies in press. https://doi.org/10.1016/j.crvi.2018.06.004. Pdf
-
Scarparo, G., P. Rugman-Jones, M. Gebiola and A. Di Giulio (2020). First screening of bacterial communities of Microdon myrmicae and its ant host: do microbes facilitate the invasion of ant colonies by social parasites? Basic and Applied Ecology. doi: 10.1016/j.baae.2020.11.008.
- Silva-Junior, E. A., A. C. Ruzzini, C. R. Paludo, F. S. Nascimento, C. R. Currie, J. Clardy and M. T. Pupo (2018). Pyrazines from bacteria and ants: convergent chemistry within an ecological niche. Scientific Reports 8(1): 2595. 10.1038/s41598-018-20953-6