Virus et fourmis
Alain Lenoir mis à jour 15-Déc-2023
On connait mal les virus de fourmis. Par contre, on accuse certains virus comme le DWV (Deformed Wing Virus) transporté par le varroa d'être au moins en partie responsable du déclin des ruchers (CCD) (Sciama 2016). Et ces virus se transmettent aux autres pollinisateurs (Sciama 2015). Cela arrange bien les vendeurs de poisons nicotinoïdes... Les passages de virus dans le génôme d'autres espèces semble de plus en plus nombreux.. On verra plus loin divers exemples.
Les virus sont
responsables de pandémies nombreuses qui se déplacent très
vite comme le Covid-19, par exemple (Butler et Behringer (2021) :
- un herpès
le long des côtes australiennes qui a tué les sardines en avançant
à plus de 1 000 km par mois et un autre virus tuant les phoques et dauphins
à plus de 500 km par mois (2003).
- un calcivirus sur les lapins australiens et le virus de l'ouest du Nil à
plus de 100 km/mois (2003).
- en janvier 1983 les oursins des récifs coralliens des Caraïbes
sont morts à plus de 95%
Chez les fourmis
- Brahma (et al 2022) ont cherché les virus de Solenopsis invicta (RIFA) américaines qui a deux formes sociales, monogynes ou polygynes. Les reines de colonies polygynes (de nombreuses reines par colonie) ont 8 fois plus de quantité de virus et 1,5 fois plus d'espèces. Cela pourrait être lié au niveau de socialité. Voir aussi Myrmecological News blog du 6 avril 2022 : Large and complex societies of fire ants contain more viruses.
- Oui, les virus passent d'un organisme à un autre. C'est le cas entre entre les abeilles et les fourmis. Les virus de l'abeille ABPV (Acute bee paralysis virus) et DWV (deformed wing virus) passent chez Lasius niger et L. platythorax en Suisse. Les fourmis s'infectent en mangeant les cadavres d'abeilles. Il y a moins d'émergences dans les colonies ; les fourmis sont moins actives et ont des problèmes de locomotion (Schläppi et al 2020).
- En 1977 Avery décrivait déjà des particules ressemblant à un virus chez une Solenopsis. Stephen Valles et Stanford Porter ont décrit dès 2005 des virus chez Solenopsis invicta, la fourmi de feu (Valles et Strong 2005, Valles et al 2010, Valles et Bextine 2011 pour le virus 1), un virus 2 (Hashimoto et Valles 2008) et un 3 ( Porter et al 2013) qu'ils ont essayé de transmettre aux fourmis par l'alimentation dans un but de contrôle biologique (Valles et al 2013) mais apparemment sans succès... On fait l'inventaire par métagénomique des virus de la fourmi de feu. On a trouvé un SINV-5 qui pourrait être infectieux (Valles et al 2018).
- M. Cooling et B. Hoffmann en Australie ont observé que entre 2003 et 2014 la fourmi folle jaune pouvait disparaître spontanément dans divers endroits (Cooling and Hoffmann 2015). Cette disparition pourrait être due à des virus Black queen cell virus, et d'autres bactéries pathogènes (Cooling et al 2016).
- Diane Bigot, à l'IRBI de Tours, a trouvé des virus proches du Lake Sinaï Virus (LSV), un virus ARN possiblement associé au CCD chez 3 espèces de Messor . Ce virus pourrait se transmettre entre les abeilles domestiques, les abeilles sauvages et les fourmis (Bigot et al 2015).
- Un virus bizarre qui est dans les glandes labiales de Formica, Camponotus et Prenolepis. Il induit la formation de reines de petite taille "pseudogynes" ou "secretergate" (Laciny 2021).
- Virus
de fourmis. Des chercheurs de l'INRAE, du CIRAD
et de l'IRD ont
traqué les virus de fourmis légionnaires Dorylus au Gabon
en 2019. Sur 209 fourmis ils ont trouvé 157 genres viraux, soit 6% des
virus connus (Fritz et al 2023).
Voir La
recherche n°576, janvier-mars
2024
- Découverte scientifique : des fourmis pour surveiller
des virus dans les forêts tropicales. Podcast
Le billet de sciences, par Anne Le Gall, 29 mars 2023.
- Fritz, Matthieu ; Reggiardo, Bérénice ; Filloux, Deni; Claude,
Lisa; Fernandez, Emmanuel; Mahé, Frédéric; Kraberger, Simona;
Custer, Joy M.; Becquart, Pierre1; Mebaley, Telstar Ndong; Kombila, Linda Bohou;
Lenguiya, Léadisaelle H; Boundenga, Larson; Mombo, Illich M; Maganga,
Gael D.; Niama, Fabien R.; Koumba, Jean-Sylvain; Ogliastro, Mylène; Yvon,
Michel; Martin, Darren P.; Blanc, Stéphane; Varsani, Arvind; Leroy, Eric
; Roumagnac, Philippe. African army ants at the forefront of virome surveillance
in a remote tropical forest. -
10.24072/pcjournal.249 - Peer Community Journal, Volume 3 (2023), article no.
e24. Pdf
- Dabonneville,
C., J. Grangier and H. Rabillé (2023). Fourmis collectrices de virus.
Espèces 48: 8.
- Épidémies
: les fourmis tropicales, parfaites sentinelles pour surveiller les virus. The
conversation. 4 avril 2023.
Fourmis légionnaires, et chasseuses de virus ! Par Camille Crosnier, La terre au Carré, lundi 3 avril 2023. Ecouter
Des
virus qui colonisent le génôme de leur hôte. "Les
guêpes parasites Cotesia se développent à l’intérieur
du corps de chenilles. Lors de la ponte de leurs œufs, elles injectent
des particules produites grâce à un virus, intégré
dans leur génome depuis 100 millions d’années. Le génome
de Cotesia vient d’être assemblé à l’échelle
des chromosomes... Elle révèle que le génome viral s’est
considérablement étendu jusqu’à coloniser tous les
chromosomes de la guêpe.
Le virus de Cotesia se distingue par le fait qu’il est absolument nécessaire
à la réussite du parasitisme. En effet, il introduit des gènes
induisant une immunosuppression chez la chenille qui empêche la destruction
des œufs de la guêpe, puis une manipulation complexe de la physiologie
de l’hôte au bénéfice du parasite."
(Drezen 2021).
Le
rôle des virus ne cesse de nous étonner : papillons
et virus
s'associent contre
des guêpes parasitoïdes prédatrices. Mais encore mieux : des
guêpes ont incorporé le génôme complet de certains
virus.. (Rosier 2021)
Si vous mangez des fourmis y a-t-il un risque d'être contaminé par le coronavirus ? Non selon des chercheurs de Wageningen qui ont fait le bilan : les insectes ne sont pas porteurs du virus et donc les comestibles en élevage non plus (Dicke et al 2020).
Voir
- Bigot, D., E. A. Herniou, N. Galtier and P. Gayral (2015). Diversité
du Lake Sinaï Virus (LSV) chez les Hyménoptères. UIEIS Congress,
Tours, Août 2015, Tours. Pdf
- Dicke, M., J. Eilenberg,
J. Falcaco Salles, A. B. Jensen, G. P. Pijlman, J. J. A. van Loon and M. M.
van Oers (2020). Edible insects unlikely to contribute to transmission of coronavirus
SARS-CoV-2 Journal of Insects as Food and Feed: 8p. https://doi.org/10.3920/JIFF2020.0039.
Pdf
(libre de droits)
-
Drezen, J.-M. (2021) Un virus utilisé par une guêpe parasite a
colonisé tous ses chromosomes. inee.cnrs.fr 25 janvier 2021. (Lien)
- Sciama, Y. (2016). Le virus
qui décime les ruches du monde entier est exporté en Europe. Science
& Vie Avril 2016: p. 29. Pdf
- Avery, S. W., D. P. Jouvenaz, W. A. Banks and D. W. Anthony (1977). Virus-like
particles in a fire ant, Solenopsis sp., (Hymenoptera: Formicidae) from Brazil.
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-
Butler, M. J., IV and D. C. Behringer (2021). Behavioral Immunity and Social
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10.1093/biosci/biaa176.
- Cooling, M. and B. D. Hoffmann (2015). Here today, gone tomorrow: declines
and local extinctions of invasive ant populations in the absence of intervention.
Biological Invasions 17(12): 3351-3357. 10.1007/s10530-015-0963-7
- Cooling, M., M. A. M. Gruber, B. D. Hoffmann, A. Sébastien and P. J.
Lester (2016). A metatranscriptomic survey of the invasive yellow crazy ant,
Anoplolepis gracilipes, identifies several potential viral and bacterial pathogens
and mutualists. Insectes Sociaux: 1-11. 10.1007/s00040-016-0531-x
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- Valles, S. M., S. D. Porter, M.-Y. Choi and D. H. Oi (2013). Successful transmission
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198-204. http://dx.doi.org/10.1016/j.jip.2013.04.003
- Valles, S. M., S. D. Porter and L. A. Calcaterra (2018). Prospecting for viral
natural enemies of the fire ant Solenopsis invicta in Argentina. PLoS ONE 13(2):
e0192377. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0192377