Nathalie Stroeymeyt    

Mis à jour 19-Mar-2021       

University of Bristol, UK
Postdoc à Lausanne chez Laurent Keller.

Thèse Université de Toulouse (2010) : Information gathering prior to emigration in house-hunting ants . Directeurs de thèse Martin Giurfa et Nigel Franks (Pdf de la thèse). la fourmi étudiée était Temnothorax albipennis.
Dans les sociétés animales, les décisions collectives résultent souvent de processus auto-organisés : des choix collectifs complexes émergent à partir d'interactions locales entre individus suivant des règles comportementales simples. Complexité cognitive et diversité des individus ne sont en général pas considérées nécessaires à l'ajustement fin des choix collectifs. La sélection d'un nouveau nid chez les abeilles et les fourmis du genre Temnothorax constitue un exemple classique de décision collective. Lors d'une émigration (déplacement de la colonie vers un nouveau site), les colonies de fourmis sont capables de choisir collectivement le meilleur site disponible par le biais de processus décentralisés. Ma thèse porte sur le rôle de la mémoire et de l'expérience des individus sur la sélection de nid par des colonies de fourmis Temnothorax albipennis. La première partie de ma thèse décrit l'impact sur la performance collective des colonies d'une familiarisation préalable avec certains sites. La deuxième partie décrit les mécanismes permettant l'exploitation collective des informations récoltées par les ouvrières avant l'émigration. D'après les données expérimentales, la collecte préalable d'informations sur des sites de bonne qualité permet aux colonies d'améliorer leurs performances collectives lors d'émigrations ultérieures (vitesse d'émigration, cohésion, et/ou précision du choix). De plus, les fourmis ajustent collectivement leurs critères de préférence en fonction de la qualité de leur propre nid et de celle des sites disponibles dans les environs. Cela permet aux colonies de prendre des décisions adaptées aux conditions environnementales. Une analyse détaillée révèle, en outre, que les ouvrières qui ont visité un site de bonne qualité mémorisent la position et la qualité de ce site et réutilisent ultérieurement les informations mémorisées, ce qui leur confère un rôle particulièrement important. Un transfert d'informations a également lieu au sein des sites familiers au cours de l'émigration, mettant en jeu phéromones et interactions sociales entre ouvrières. Dans l'ensemble, cette étude montre que les fourmis T. albipennis sont capables de réaliser des tâches cognitives complexes, puisqu'elles peuvent mémoriser certaines informations et les réutiliser au moment opportun. Enfin, il semble que certains individus ont une influence particulièrement importante sur les décisions du groupe. Ceci montre que les décisions collectives auto-organisées peuvent grandement bénéficier à la fois de la complexité cognitive des individus et d'un certain degré de diversité au sein des membres d'un même groupe.

Un sujet à la mode : la distanciation sociale 

Nathalie Stroeymeyt dans la vidéo de Radio-canada :

et la vidéo sur Youtube

Voir "Les fourmis aussi ont des arrêts-maladie", Par Jean-Luc Nothias, lefigaro.fr, 29/11/2018, Science et Avenir (Janv 2019). Ecouter France Inter 4 décembre 2018.

Nathalie Stroeymeyt dans l'équipe de Laurent Keller à Lausannne avec Sylvia Cremer en Autriche ont marqué individuellement les fourmis de 22 colonies de Lasius niger avec des tags (4266 fourmis marquées) qui permettent de les suivre. Des fourmis fourrageuses ont été exposées à un champignon pathogène Metarhizium brunneum. Les fourmis infectées ont réduit leurs déplacements à l'intérieur de la colonie et se sont de plus en plus isolées. Et ceci, avant même que le moindre symptôme de maladie n'apparaisse! «C'est comme si un humain se savait contaminé par une maladie contagieuse et qu'il évitait de la propager, même si elle ne l'a pas encore affecté», constate Laurent Keller. Plus étonnant encore, les fourragères saines se sont non seulement éloignées des contaminées mais ont également diminué leurs interactions avec l'intérieur de la fourmilière, comme si elles savaient qu'elles pouvaient être un vecteur potentiel de propagation de l'épidémie. «Le fait que des fourmis non exposées soient aussi capables d'adapter leur comportement à la présence d'un pathogène était inconnu jusqu'ici», se réjouit Nathalie Stroeymeyt, postdoctorante au Département et première auteure de l'étude parue jeudi dans «Science». Mais l'isolement des individus à risques n'a pas été la seule mesure de défense prise par la colonie. Celle-ci s'est mise à surprotéger ses individus les plus importants. La reine et les nourrices étaient encore moins exposées aux contacts que d'habitude. Une nouvelle expérience de survie, menée pendant 9 jours sur 11 nouvelles colonies a montré que la mortalité était beaucoup plus élevée chez les fourragères que chez les nourrices. Et aucune des reines n'a péri.

Une belle revue dans Science du 5 mars 2021 (Stockmaier et al 2021, voir Dupont-Besnard 2021). Voir Immunité

Selon Dupont-Besnard : "« La distanciation sociale est une conséquence naturelle de la maladie chez les animaux, qu’ils soient humains ou non », confirme une vaste étude parue le 5 mars 2021 dans Science, pour laquelle se sont associés des épidémiologistes et des biologistes spécialisés dans l’évolution. Comprendre ces réactions naturelles et leur impact sur la transmission des agents pathogènes « fournis un aperçu épidémiologique de nos propres réponses aux défis de la pandémie ». On trouve une mécanique d’auto-isolement volontaire chez plusieurs espèces. Il y a d’abord l’auto-isolement dit passif, une « composante du comportement face à la maladie, qui se produit lorsqu’un individu malade réduit directement ou indirectement ses contacts avec les autres tout en restant au sein du groupe ». Chez des abeilles infectées par un virus, cela peut se traduire par l’arrêt du partage de la nourriture ; chez les chauves-souris, il s’agit d’un coup d’arrêt au toilettage mutuel. Ensuite, il y a l’auto-isolement dit actif : « Les animaux humains et non humains potentiellement infectieux s’éloignent parfois activement des autres, empêchant ainsi les individus susceptibles [à l’infection] d’interagir avec eux ». Certaines fourmis infectées par un pathogène vont passer la majeure partie de leur temps à l’extérieur, en dehors de la fourmilière, ce qui limite les risques de diffuser l’infection dans le nid. Il existe au sein de quelques espèces d’insectes un isolement forcé, voire agressif, notamment chez certaines abeilles où l’individu infecté est trainé de force en dehors de la ruche pour être exclu. Ce n’est pas systématique, et de tels comportements n’ont pas été observés chez des mammifères. Quid des soins prodigués aux individus malades ? L’humanité n’est pas la seule espèce à prendre soin des autres. Cette réaction sanitaire se retrouve tout particulièrement chez les insectes eusociaux — fourmis, termites. Des individus « soignants » éliminent physiquement ou désactivent chimiquement les spores fongiques infectieuses chez leurs compagnons contaminés, « ce qui diminue le risque d’infection pour ces derniers mais augmente également leur propre risque d’infection ». D’ailleurs, on retrouve chez les fourmis noires des jardins une organisation aussi complexe que fascinante pour isoler les individus contaminés, les soigner, tout en prenant en compte les risques d’infection chez les fourmis soignantes. Les fourmis se subdivisent en groupes distincts afin d’éviter la transmission du pathogène d’un groupe à l’autre. Les fourmis infectées sont isolées dans un cocon bien à part. Puis les soignantes viennent les aider. Mais les fourmis infectées et soignantes n’ont aucun contact avec les fourmis butineuses (les ouvrières essentielles à la survie de la fourmilière). « Cette réaction précoce à l’échelle de la colonie réduit probablement le risque d’épidémie en limitant la transmission accidentelle par des porteurs asymptomatiques. »"

   

   

Voir aussi interview de Nathalie Stroeymeyt à la BBC (infos.israel.news 2021)
"Il s’avère que les humains ne sont pas les seuls à se distancer socialement en cas de pandémie, tout comme les fourmis, selon un chercheur de l’Université de Bristol dans une émission spéciale télévisée BBC Two. La scientifique Nathalie Stroeymeyt a découvert que les fourmis utilisent la distanciation sociale pour réduire la menace de propagation de maladies dans leurs colonies. Stroeymeyt a utilisé la technologie informatique pour suivre les mouvements des fourmis dans une colonie dans laquelle certains membres étaient infectés par une maladie fongique. Il a découvert que les fourmis malades réduisaient le temps qu’elles passaient à l’intérieur du nid pour éviter l’infection. Les fourmis malades se sont également socialement distancées des fourmis saines pour ralentir la propagation. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science. Les travaux du programme de recherche seront diffusés sur BBC Chris Packham Animal Einsteins, disponible sur iPlayer BBC. « Les fourmis ont développé des réponses extrêmement rapides et efficaces aux agents pathogènes infectieux, réduisant considérablement le risque de propagation de l’épidémie au sein de leurs colonies », a déclaré Stroeymeyt lors de son interview dans l’émission. «En réorganisant leur réseau social dans les heures suivant le premier contact avec l’agent pathogène, ils minimisent le risque que quelqu’un devienne gravement malade à cause de la maladie et minimisent les voies de transmission à la reine et aux jeunes ouvrières, qui sont les plus importantes à long terme. », a-t-il déclaré. En résumé, les fourmis sont parfois plus intelligentes que les humains qui ne comprennent pas après un an de pandémie, ce que veut dire la « distanciation sociale »… " Ecouter https://www.bbc.co.uk/sounds/play/m000pffm du 17 nov 2020.

- Dupont-Besnard, M. (2021) La distanciation physique, l’isolement et le soin existent aussi chez les animaux. numerama.com 9 mars 2021. (Lien)
- Stockmaier, S., N. Stroeymeyt, E. C. Shattuck, D. M. Hawley, L. A. Meyers and D. I. Bolnick (2021). Infectious diseases and social distancing in nature. Science 371(6533): eabc8881. doi: 10.1126/science.abc8881. Pdf
    
- infos-israel.news (2021) Étude scientifique : les fourmis sont socialement distantes lors des pandémies. (Lien)  
- "Les fourmis aussi ont des arrêts-maladie", Par Jean-Luc Nothias, lefigaro.fr, 29/11/2018.