Cléa Mariano Interview (9 juin 2020)
AL - Tu peux parler de tes études, pourquoi ton intérêt pour les fourmis, ta situation professionnelle et ce que tu fais en ce moment. Les fourmis qui 'intéressent le plus, les plus belles, celles qui piquent le plus fort. L'importance des fourmis au Brésil, les problèmes économiques.
CM – Au début quand j’étais à l’université, mon principal intérêt portait sur la botanique, mais une opportunité de travailler avec des fourmis s’est offerte à l'été 1996. Je suis allé aider une amie, Riviane da Hora qui faisait le terrain de son Master au Laboratoire de Mirmécologie du Centre de Recherche sur le Cacao à Ilhéus, avec Jacques Delabie, pour collecter des colonies d'Ectatomma tuberculatum. Après 2 mois de travail, j'ai reçu la proposition d’une bourse de technicien pour continuer dans ce même laboratoire, en travaillant sur la collection et en faisant des échantillonnages de fourmis sur le terrain, en particulier en écologie des communautés. Au cours de cette période, j'ai eu l'occasion de rencontrer des myrmécologues importants tels que Terezinha Della Lucia, Odair Bueno, Carlos Roberto Brandão, William Brown, Jonathan Majer, Donat Agosti, Dominique Fresneau, Brian Fisher ou Pierre Jaisson. En 1997, à l'issue de la bourse du CEPLAC, Riviane m'a suggéré un nouveau thème de recherche pour moi : la cytogénétique des insectes ! Je suis allée faire un stage chez Silvia Pompolo à l’Université Fédérale de Viçosa et l'année suivante j'y ai commencé un Master qui s’est ensuite transformé en partenariat qui a duré de nombreuses années. J'ai commencé à étudier la cytogénétique des Camponotus, jusqu'à ce que Dominique Fresneau et Jacques Delabie m’envoient des colonies de Neoponera villosa ou proches de celle-ci pour que soit faite une analyse du caryotype suggérant que la cytogénétique serait un outil puissant pour différencier les espèces du groupe. Cela a très bien fonctionné, et ma thèse de doctorat, finalement, réalisée dans la même université, portait sur l'évolution du caryotype chez les fourmis. En plus du travail en laboratoire, ce genre d’études nécessite des allers constants sur le terrain pour ramasser des colonies, ce que je considère comme très enrichissant.
Après mon doctorat, je suis retournée à Bahia, au laboratoire du CEPEC, où j'ai séjourné jusqu'en 2008, lorsque j'ai été embauchée comme professeure visitante par l'Université d'État Santa Cruz (UESC) à Ilhéus. Plus tard, en 2011, j’y suis rentrée par concours. Actuellement, je coordonne le Laboratoire des Arthropodes Sociaux, lié au programme d’études supérieures en zoologie, et qui regroupe des étudiants intéressés par la recherche en entomologie à travers des sujets sur la biologie des insectes sociaux (surtout les fourmis) pour un Master ou un Doctorat.
Je travaille habituellement avec des espèces de la Forêt Atlantique, qui est le paysage dominant sur la côte brésilienne. J'ai également eu l'occasion de connaître différentes espèces de la région amazonienne, lors de terrains dans le nord du Brésil au Pará et les deux missions en Guyane Français avec l'équipe d’Alain Dejean, en 2008 et 2010, lesquelles ont été essentielles pour éveiller ma curiosité sur la nidification chez les fourmis.
Choisir la plus belle fourmi est une tâche ardue, la compétition est rude. Comment ne pas admirer l'élégance des Pseudomyrmex et des Leptogenys, la géométrie d'une Cephalotes, la richesse des détails (les poils) sur la tête d'une Basiceros ou la simplicité d’une Cylindromyrmex? Malgré tout, je vote pour Fulakora cleae [Lacau et Delabie 2002, oui bien sûr elle a été dédiée à Cléa..].
J'ai toujours eu un intérêt particulier pour certains genres de Ponerinae tels que Dinoponera, Neoponera et Pachycondyla. En plus de ces fourmis, les espèces cultivatrices de champignons non coupeuses de feuilles (C’est-à-dire l’ancienne tribu Attini, sauf les Atta et les Acromyrmex) m'intéressent également. Ces dernières surtout leur stratégie sophistiquée de nidification et leurs associations avec des myrmécophiles, et les Ponerinae pour la diversification de la structure sociale et leur dominance dans certains environnements.
Les fourmis sont également inscrites dans ma mémoire pour leur comportement défensif. Il m’est impossible d'oublier Neoponera goeldii (connue sous le nom de « tocandeirinha » dans le nord du Brésil), la première fois que je suis allée en Amazonie. La piqûre de trois ouvrières qui avaient passé la nuit au frigo a fait gonfler démesurément l’épaisseur de mes bras, me laissant en mémoire une douleur infinie pendant 3 jours. Il est vrai que je suis très allergique aux piqûres d’insectes.
Actuellement, mon travail est axé sur l'association de données cytogénétiques ajoutées à des informations telles que la structure du nid et la faune associées aux fourmilières de fourmis champignonnistes, d'espèces arboricoles comme les Azteca, abondantes ici dans la région, ou encore (et surtout), des fourmis parfois encore appelées «ponéromorphes». La situation géographique de mon université, dans une région à forte biodiversité, la proximité physique des terrains expérimentaux du CEPEC et la collaboration avec le Laboratoire de Myrmécologie et avec des spécialistes en taxonomie de différents groupes d'arthropodes tels que les acariens, les araignées et les collemboles, boostent fortement les activité de mon groupe de recherches.
Fulakora (Amblyopone) cleae selon Antweb :
"C'est une fourmi
d'environ 4 mm de long. Trouvée dans la litière des forêts
dégradées ici dans le sud de Bahia. Elle est endémique
et figure également sur la liste des espèces menacées.
On ne sait presque rien de la biologie de cette espèce. Une information
est qu'il s'agit d'un prédateur de myriapodes."
Lacau, S. and J. H. C. Delabie (2002). Description de trois nouvelles espèces
d'Amblyopone avec quelques notes biogéographiques sur le genre au Brésil
(Formicidae, Ponerinae). Bulletin de la Socété Entomologique de
France 107: 33-41.