Un empoisonnement universel

de Fabrice Nicolino (LLL Les Liens qui Libèrent, 2014)

Analyse par Alain lenoir, mis à jour 13-Fév-2017

Après « Toxique planète » d’André Cicollela (2013) et « La fabrique du mensonge » de Stéphane Foucart (2013), Fabrice Nicolino présente un dossier complet sur l’empoisonnement de notre planète par les produits chimiques. Ne pas lire si vous voulez garder le moral… mais il faut découvrir la vérité sur ce qui attend notre planète et nos enfants ou petits-enfants.
L’auteur remonte jusqu’à l’antiquité pour expliquer l’histoire de la chimie. Il explique comment Fritz Haber, génial découvreur de la synthèse de l’ammoniac met au point les gaz de combats de la guerre 14-18, utilisés à partir d’avril 1915. Il sera récompensé par le prix Nobel en 1919… Les gaz de combat ont depuis été utilisés un peu partout dans le monde malgré leur interdiction. On apprend que l’agent orange utilisé au Vietnam a affecté au moins deux millions de personnes et qu’un grand épidémiologiste, Richard Doll a touché entre 1979 et 1986 jusqu’à 1 500 dollars par jour de la part de Monsanto pour jurer « qu’il n’existe aucune preuve d’un lien entre le défoliant et le cancer » (p. 112).


Rachel Carson est présentée comme « héroïne de l’humanité » (p. 112). En 1958 elle étudie la lutte contre la fourmi de feu Solenopsis invicta. « La puissante machine industrielle des pesticides, appuyée avec force par l’Etat fédéral, décide une guerre chimique à outrance ». « Huit millions d’hectares seront traités, y compris par avion, avec les pesticides les plus récente, des organochlorés, extrêmement toxiques » (p. 113). « Or la fourmi ne présente aucun des dangers avancés par ses éradicateurs. Surtout, malgré vingt années de pulvérisations et des centaines de millions de dollars gaspillés, l’insecte poursuit sa marche vers le nord. La seule victime, c’est une nouvelle fois la nature : les animaux, les eaux, le sol, les hommes. » (p. 114). Rachel Carson a tout compris et écrit son « chef-d’œuvre » « Silent Spring » en 1962. Elle y met en cause les pesticides comme le DDT qui menace la reproduction des oiseaux, d’où le titre du livre. D’innombrables attaques suivent, y compris contre la personne même de Rachel, bientôt accusée d’être lesbienne, communiste, folle, agent du KGB » (p. 114). Elle meurt peu après en 1964 d’un cancer.


L’histoire du gaucho est racontée. C’est très simple : le gaucho a été introduit en France sur les semis de tournesol en 1992 et là où il a été utilisé on a observé une spectaculaire mortalité des abeilles. Que dire de plus ? Bayer a tout fait pour dissimuler les dangers du gaucho, souvent avec la complicité des administrations (p. 120 et suivantes).
Le plastique envahit notre planète. On retrouve partout sur les plages du monde entier des « mermaids’tears », larmes de sirène (p. 128). On trouve ces microplastiques dans tous les lacs, y compris le lac Léman ou le lac de Garde en Italie (p. 130).
Dans le chapitre 9 Nicolino raconte aussi l’histoire de « Theo Colborn, la sublime pionnière » et de l’appel de Wingspread de 1991 : « De nombreux composés libérés dans l’environnement par les activités humaines sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux, y compris l’homme. » (p. 143). C’est là qu’est né le concept de perturbateur endocrinien.
Dans le chapitre 11 il raconte l’histoire de phtalates et autres perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A. Il cite mes travaux montrant que les phtalates se retrouvent même sur les fourmis (p. 191).
Le chapitre 12 parle de la diminution des quantités de spermatozoïdes, un désastre chez les 18-35 ans. Elle est due aux nombreux perturbateurs endocriniens qui nous assaillent. Dans les chapitres suivants l’auteur parle des cancers, de l’obésité, la maladie d’Alzheimer, l’asthme, les allergies dont les fréquences augmentent rapidement, probablement en relation avec tous les perturbateurs endocriniens. Pour le cas de l’autisme, on peut aussi se poser des questions (voir (Foucart 2013)). Ce livre est complémentaire de celui d’André Cicollela sur le scandale des perturbateurs endocriniens (Cicolella 2013).
L’opinion de Paracelse (1538) : « la dose fait le poison » est devenue dogme de la toxicologie avec l’invention de la DJA (Dose Journalière Admissible). Pourtant on sait maintenant que c’est faux (p. 30 et 150). Ce n’est pas la dose mais le moment qui importe. Certains perturbateurs agissent à doses infinitésimales pendant la période embryonnaire, postnatale ou l’adolescence. On sait aussi que certaines substances seules n’ont pas d’effet, mais en synergie avec d’autres on peut avoir un effet explosif (« effet cocktail »). On a même découvert aussi un effet transgénérationnel (épigénétique), par exemple dans le cas du distilbène : les problèmes peuvent affecter même les arrière-petits-enfants.

Voir
- Cicolella, A. (2013). Le scandale des perturbateurs endocriniens. L'Ecologiste. Automne 2013, 14: 6-7.
- Foucart, S. (2013). Un sur quatre-vingt-huit. Le Monde. 20-21 octobre, p.17.