Les espèces invasives de fourmis mettent en péril les écosystèmes du monde entier
Mis à jour le 31-Jan-2023
Les espèces invasives de fourmis mettent en péril les écosystèmes du monde entier. De Rebecca Dzombak (National Geographic, 25 janvier 2023)
"Plus de 500 espèces
de fourmis ont été découvertes dans des régions
extérieures à leurs aires de répartition naturelles : un
phénomène bien plus dangereux pour les écosystèmes
locaux que ne le pensaient autrefois les spécialistes. En 2001, à
Brisbane, en Australie, un employé des télécommunications
a été envoyé à l’hôpital pour une piqûre
d’insecte qui le brûlait gravement. L’arrivée de la
fourmi de feu (Solenopsis geminata), originaire d’Amérique du Sud
et connue pour son venin, son agressivité et sa capacité à
provoquer des dégâts dans les exploitations agricoles, a alors
suscité une inquiétude soudaine dans tout le pays. Comme l’écriront
plus tard les scientifiques, combattre son invasion était, « une
guerre que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ». C’est
par le biais du transport de marchandises et de cargaisons que les fourmis dites
« exotiques » se répandent accidentellement en dehors de
leurs aires de répartition d’origine. De nombreuses tentatives
humaines sont mises en place afin de les arrêter.
Les petites envahisseuses parviennent malgré tout à se répandre.
Les fourmis de feu argentines ont formé une super-colonie qui s’étend
du ortugal à l’Italie. Sur la minuscule île de Yap, la fourmi
électrique (Wasmannia auropunctata) a forcé les agriculteurs à
abandonner leurs champs, et sur l’île Christmas, les fourmis folles
jaunes (Anoplolepis gracilipes) s’attaquent aux célèbres
crabes de la région.
Selon un nouvel article, ce problème aurait des conséquences encore
plus importantes que nous le pensions.
L’étude, publiée récemment dans Current Biology,
fait état de deux fois plus de cas de fourmis exotiques que ne le laissaient
entendre les données antérieures : plus de 500 espèces
de fourmis ont été trouvées dans des régions dans
lesquelles elles n’étaient pas censées être. Seul
un tiers de ces espèces a été repéré aux
frontières, le reste étant passé inaperçu.
« Nous commençons à peine à réaliser l’ampleur
de la situation », affirme Mark Wong, écologiste à l’université
d’Australie-Occidentale, auteur principal de la nouvelle étude,
et explorateur National Geographic avec son co-auteur Benoit
Guénard."
DES TOURISTES DE LONGUE
DATE
Depuis que nous, humains, avons commencé à nous déplacer
à travers le monde, les fourmis voyagent à nos côtés,
en utilisant principalement comme véhicules des marchandises telles que
des aliments, les plantes et la terre. Ces fourmis « touristes »,
comme les a surnommées un article de 1939, voyagent dans le monde entier
au moins depuis le 17e siècle.
Les fourmis exotiques peuvent endommager les écosystèmes en perturbant
les relations entre les organismes, en consommant des ressources et en tuant
d’autres organismes. Ces dégâts s’accumulent. Entre
1930 et 2021, les fourmis invasives ont causé des pertes économiques
estimées à une valeur de 47 milliards d’euros. En plus d’être
coûteuse et dangereuse, leur présence peut aussi être tout
simplement dérangeante, que ce soit en envahissant nos cuisines, ou en
mordant les enfants dans la cour de récréation.
ARRÊTER LES FOURMIS
Pour arrêter les fourmis exotiques, les écologistes et professionnels
doivent connaître leur origine ainsi que les endroits où elles
pourraient s’arrêter en cours de route. Selon l’article, la
plupart de ces envahisseuses proviennent de régions tropicales et subtropicales,
en particulier de l’Amérique du Sud centrale et septentrionale
et des îles de l’Asie du Sud-Est : des régions où
la densité et la diversité des fourmis sont élevées.
« Ce que nous avons montré, c’est d’où viennent
les espèces et où elles finissent par aller », explique
Wong. « Mais la pièce manquante, c’est comment elles sont
arrivées là. » Pour la plupart des espèces, selon
l’écologiste, nous ne le savons tout simplement pas.
Le changement climatique doit également être pris en compte. «
De manière générale, le changement climatique favorisera
probablement les invasions, car un grand nombre de fourmis invasives sont des
espèces tropicales ou subtropicales : davantage de zones deviendront
ainsi adaptées à leur présence », explique Bertelsmeier.
« C’est particulièrement inquiétant pour les hauts
lieux de biodiversité » qui, bien souvent, sont à la fois
vulnérables et accueillants face à l’arrivée de fourmis.
Il sera essentiel d’améliorer leur détection aux frontières.
Des recherches comme celles de Wong, qui révèlent quelles régions
sont les plus « donneuses » en fourmis, pourraient aider les pays
à déterminer comment adapter leurs mesures de surveillance aux
types de fourmis qui ont tendance à venir de ces régions. Les
pays pourront ainsi mettre en place des contrôles stricts sur les plantes
et les sols entrant sur leur territoire, comme l’ont fait la Nouvelle-Zélande
et l’Australie.
Selon Benjamin Hoffman, écologiste spécialiste des fourmis envahissantes
au CSIRO en Australie, qui n’a pas participé à la rédaction
de l’article, une collaboration et une coopération accrues sont
nécessaires entre les pays.
Plus nous travaillons ensemble, mieux c’est. » Une bonne collaboration
existe déjà dans le Pacifique ; la Nouvelle-Zélande a travaillé
avec les pays donneurs de fourmis sur la gestion des espèces envahissantes
et a réduit le taux de contamination [par les fourmis] d’environ
99 %, décrit Hoffman.
Le spécialiste est néanmoins réaliste quant au degré
d’évolution qui doit être implémenté dans le
système de détection de ces insectes. « Je dirais que nous
nous débrouillons très mal à l’échelle mondiale
», déplore-t-il.
L’être humain n’est parvenu à éradiquer les
fourmis exotiques déjà établies dans la nature qu’une
petite cinquantaine de fois. Selon Bertelsmeier, la clé est d’arrêter
les envahisseuses le plus tôt possible. « Si nous voulons agir pour
les arrêter, il faut impérativement le faire à un stade
précoce. Une fois qu’elles se sont répandues, nous pouvons
oublier cette idée. »
Dans le cas de l’invasion de fourmis de feu importées en Australie,
les expert.es ont travaillé rapidement pour contenir la propagation des
fourmis, et sont parvenus à une quasi-éradication : un résultat
rare, mais positif… même si la menace persiste.
De tels efforts sont certes coûteux, « mais si nous perdons la bataille
de l’éradication de l’espèce, le coût sera bien
plus élevé », conclut Hoffman."
Wong, M. K. L., E. P. Economo and B. Guénard (223). The global spread and invasion capacities of alien ants. Current Biology. 10.1016/j.cub.2022.12.020