Fourmis et empathie

Alain Lenoir - Mis à jour le 01-Oct-2020

          

L’empathie, faculté de ressentir les émotions d'autrui, longtemps attribuée uniquement à l'homme, est fréquente chez les mammifères comme les chimpanzés ou les bonobos (Dessibourg 2016, Grenèche 2017) ou les éléphants (Rosso 2014) même si c’est encore discuté (Baudet 2015) (1). Les chimpanzés peuvent aider les humains sans récompense (de Waal 2010, Le Hir 2010). Decety vient de publier des travaux sur l’empathie chez les rats et les humains (Rosier 2014). Les rats vont secourir un congénère en difficulté (Rosier 2015b). Les campagnols des prairies toilettent plus un congénère qui a été stressé, sans doute par empathie envers celui-ci (Science et Avenir 2016). On pense que l'empathie pourrait être liée à des neurones miroir dans le cerveau, neurones qui s'activent lorsqu'on observe une action sans l'exécuter, même si cela n'explique pas tout (Rouat 2018). L'empathie existerait aussi chez les campagnols, les diamants mandarins et les poules sensibles à la détresse de leurs petits, même chez les poissons (Rouat 2018). On sait maintenant où sont les neurones de l'empathie chez le rat et l'homme, dans le cortex cingulaire antérieur (Sender 2019)

Chez les insectes Lars Chittka propose que la danse des abeilles serait une communication de type empathique : « Si tel est bien le cas, le déchiffrage et le codage du langage symbolique de la danse pourraient correspondre à une forme d’empathie qui permettrait à la petite butineuse d’apprendre, de manière inconsciente, en mimant dans son esprit et dans son corps ce que ressent et exprime la danseuse. » (Ameisen 2013, p. 256-7). On pense maintenant que les drosophiles sont capables d’émotions comme la peur (Gibson et al. 2015 - voir plus loin; Rosier 2015a, Anonyme 2016). Les bourdons seraient aussi émotifs et pourraient voir "la vie en rose". Un comportement dépendant de la dopamine (Herzberg 2016; Perry et al 2016). Et aussi Jean-Claude Ameisen dans "Sur les épaules de Darwin" du 3 décembre 2016 raconte très bien cette expérience et dit clairement que l'on peut parler d'émotions chez les bourdons.

Les fourmis sont-elles douées d’empathie ?

L'empathie des fourmis devient à la mode, Bernard Werber avait parlé en 2013 d'empathie chez les fourmis qui ont un jabot social. Le font-elles par empathie ? Emmanuelle Pouydebat (2017) n'hésite pas à écrire "Par exemple, les fourmis tisserandes vont avoir pour tâche de rassembler les feuilles, d'autres vont être occupées à coudre les feuilles entre elles en utilisant la soie produite par leurs propres larves.", ce qui n'est évidemment que tout simplement de la division du travail.

Alors, les fourmis secouristes qui vont aider leurs congénères homocoloniaux (Nowbahari et al. 2009) sont peut-être aussi empathiques (Hollis and Nowbahari 2013). Bien sûr on n’ira pas jusqu’à parler de l’âme des fourmis comme les anciens auteurs (Barine 1888). Mais par exemple les fourmis jouent-elles comme les jeunes mammifères ? (Vincent 2015). Laurent Keller sur RTS ne croit pas à l'empathie chez les fourmis (3 janvier 2017). Frank ne pense pas non plus qu'il faille parler d'empathie pour expliquer le comportement de secours des Megaponera analis envers des soeurs blessées lors d'une attaque de termitière (Frank et al 2017). Claude Baudoin (2019 p. 142) accepte aussi l'idée que les fourmis soient capables d'empathie.

L'empathie chez l'homme ne semble pas tournée uniquement vers les autres humains : Johanna Villenave-Chasset (2019) déclare qu'elle ressent de l'empathie pour les insectes et Catherine Vincent en parle aussi (Le Monde 23 août 2019) Pdf

(1) Jane Goodall écrit en 2018 que lorsqu'elle a présenté ses travaux sur les chimpanzés à l'université de Cambridge on lui a dit "que je ne pouvais pas parler de leur personnalité, esprit ou émotion, car c'étaient des attributs humains... J'ai fini par obtenir gain de cause et, aujourdh'ui, la science a changé de point de vue." (Le Monde Hors Série, février 2018, "Elles bousculent le monde")

Voir
- Ameisen, J.-C. (2013). Sur les épaules de Darwin. Tome 2 Je t'offirai des spectacles formidables, Les liens qui libèrent / France Inter. Pdf pages 256-7
- Anonyme (2016). Leur cerveau en dit long sur nous. Science et Vie 1180: p. 72-77.
- Baudet, M.-B. (2015). L'altruisme. Le Monde Samedi 8 août. p.7.
- Baudoin, C. (2019). A quoi pensent les animaux ? Biblis.
- Belpois, M. (2016). Vers un monde altruiste ? Télérama 3449, 17 février 2016 : p. 135.
- Boquen, M. (2019). Johanna Villenave-Chasset. la chercheuse qui fait mouche. Causette 102, Juillet-août 2019: p. 36-39.
- Cavaillé-Fol, T. (2017). A quoi pensent les bêtes ? Science & Vie Janvier, n° 1192: p. 40-58.
- de Waal, F. (2010). L'âge de l'empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire, Editions les liens qui libèrent, 392p..
- Dessibourg, O. (2016). L'amitié chez le chimpanzé, un pacte de confiance. Le Monde Science et Médecine Mercredi 20 janvier 2016. Pdf
- Gibson, William T., Carlos R. Gonzalez, C. Fernandez, L. Ramasamy, T. Tabachnik, Rebecca R. Du, Panna D. Felsen, Michael R. Maire, P. Perona and David J. Anderson (2015). Behavioral Responses to a Repetitive Visual Threat Stimulus Express a Persistent State of Defensive Arousal in Drosophila. Current Biology. 25: 1401-1415. 10.1016/j.cub.2015.03.058.
- Grenèche, J. (2017). Le bonobo, altruiste envers les étrangers. Le Monde Sciences & Médecine 15 novembre 2017.
- Herzberg, N. (2016). Quand l'optimisme gagne le bourdon. Le Monde Science et Médecine 5 octobre 2016. p. 8. Pdf
- Hollis, K. L. and E. Nowbahari (2013). A comparative analysis of precision rescue behaviour in sand-dwelling ants. Animal Behaviour 85(3): 537-544.
- Keller, L. (2017) Les sociétés animales. 2/5 Les fourmis. 3 janvier 2017, http://www.rts.ch/play/radio/tribu/audio/les-societes-animales--les-fourmis-25?id=8220872
- Le Hir, P. (2010) Des animaux doués d'empathie. lemonde.fr, p. http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/02/26/des-animaux-doues-d-empathie_1311733_3244.html#Pw2yltKtMBOftAz8.99. Pdf
- Nowbahari, E., A. Scohier, J. L. Durand and K. L. Hollis (2009). Ants, Cataglyphis cursor, use precisely directed rescue behavior to free entrapped relatives. PLos One 4(e6573): doi:10.1371/journal.pone.0006573. Libre de droits
- Perry, C. J., L. Baciadonna and L. Chittka (2016). Unexpected rewards induce dopamine-dependent positive emotion–like state changes in bumblebees. Science 353(6307): 1529-1531. 10.1126/science.aaf4454 .
- Pouydebat, E. (2017) Les chimpanzés "sont capables de se fabriquer des espèces de tongs. Europe1.fr, 9 juillet 2017, p. http://www.europe1.fr/sciences/emmanuelle-pouydebat-les-chimpanzes-sont-capables-de-se-fabriquer-des-especes-de-tongs-3384476. Pdf
- Rosso, L. (2014). Un éléphant, ça chérit énorment. Le Monde Science & Médecine 26 février. p. 7.
Pdf
- Rosier, F. (2014). Jean Decety, l'altruisme chez l'oncle Sam. Le Monde Science & Médecine 19 février. p. 7. Pdf
- Rosier, F. (2015a). L'ombre de la peur plane sur la mouche. Le Monde Science et Médecine. 20 mai.
- Rosier, F. (2015b). Les ressorts de l'empathie. Le Monde. 21 janvier. Pdf
- Rouat, S. (2018). L'empathie, un sentiment très animal. Science et Avenir Hors Série Oct-Nov 2018: p. 38-42.
- Science et Avenir (2016). Tous les animaux sont-ils doués d'empathie ? Science et Avenir: p. 23 janvier 2016. http://www.sciencesetavenir.fr/animaux/20160122.OBS3226/tous-les-animaux-sont-ils-doues-d-empathie.html# Pdf
-
Sender, E. (2019). Les rats possèdent les neurones de l'empathie. Sciences et Avenir 868, juin 2019. Voir

La peur chez les drosophiles :
Recent research showed that Drosophila exhibit component behaviors of the fear response, suggesting the presence of emotion primitive behaviors. Hungry Drosophila flies were placed in a chamber with food and an automated fan blade was used to create a temporary shadow over the chamber. In response, the flies were distracted from eating and deserted the food source, even after the final shadow passed, demonstrating the emotion primitives of context generalization and persistence. As the shadow appeared with increasing frequency, the flies ran away more quickly, suggesting that their fear response is scalable, as well. It is not just a robotic reflex; there is some sort of internal state that develops (Gibson et al. 2015).