La résilience chez les fourmis

Alain Lenoir mis à jour 29-Jan-2021

La résilience est la capacité d'un système à absorber des perturbations et se réorganiser si les changements persistent dans le but de garder la même fonction, structure, identité et rétroactions. Cette capacité à se transformer permet la création d'un nouveau système quand les conditions écologiques, économiques ou sociales ne permettent plus le maintien de l'ancien système (Walker et al. 2004) (voir plus bas le texte anglais Resilience). En France c'est Boris Cyrulnik qui a popularisé le concept de résilience avec les enfants qui surmontent des traumatismes. Boris Cyrulnik, venait au DESS (master) d’éthologie appliquée à Villetaneuse dans les années 90. J’ai été très impressionné par ses idées comme la résilience, à l’époque notion inconnue. Il m’a d’ailleurs proposé d’écrire un chapitre sur les fourmis dans « Si les lions pouvaient parler – Essais sur la condition animale ». (Lenoir 1998)
C.S. Holling en 1973 a adapté le concept de résilience en écologie pour la capacité d’un système à absorber une perturbation et se réorganiser (Pdf).

Résilience des colonies de fourmis
C’est le cas des espèces qui font des radeaux suite à une inondation. Cela a été décrit pour la première fois chez la fourmi de feu Solenopsis invicta une colonie de fourmis qui doit survivre à des perturbations environnementales (Vinson and Sorensen 1986; Adams et al. 2011), puis plus récemment chez Formica selysi qui vit sur les bords de rivières dans les Alpes. Les fourmis forment un radeau avec la reine au centre et la flottabilité est assurée par les œufs (Purcell 2014; Purcell et al. 2014). Voir Rafting

Naug (2009) a étudié aussi le réseau d'interactions dans une colonie de guêpes Ropalidia marginata. Il a montré que si on enlève des individus le réseau garde ses propriétés. C'est une structure très résiliente. Sans doute on a la même chose chez les fourmis.

Résilience des écosystèmes à fourmis
- Savanes tropicales du nord de l’Australie en réponse au feu : les savanes qui ne brûlent pas souvent gardent le souvenir de périodes où elles ont brûlé, ce qui leur permet de résister mieux au feu (Andersen et al. 2007; Parr and Andersen 2008).
- Dans les savanes arides du Mexique les fourmis sont remarquablement résilientes lors de la conversion de zones désertiques en pâtures (Franklin 2012).

- La réponse des mutualismes plantes – fourmis face à la fragmentation de la forêt amazonienne semble être suffisamment forte pour surmonter la fragmentation (Passmore et al. 2012).
- Dispersion des graines. Dans la Caatingua brésilienne la perturbation anthropogénique est forte avec une résilience faible des diverses espèces de fourmis, ce qui peut poser des problèmes pour certaines espèces de plantes comme les euphorbiacées (Leal et al 2014). Au Portugal Timoteo et al. (2016) observent que dans les communautés à fourmis moissoneuses Messor barabarus il existe une très grande plasticité qui n'est pas de la résilience.

Résilience des individus face aux changements climatiques
Cela se traduit par le déclin de la taille des organismes en réponse au réchauffement climatique, mais vérifié sur des homéotermes essentiellement (Gardner et al. 2011).

Voir
- Adams, B. J., L. M. Hooper-Bùi, R. M. Strecker and D. M. O'Brien (2011). Raft formation by the red imported fire ant, Solenopsis invicta. Journal of Insect Science. 11: 1-14.
- Andersen, A. N., C. L. Parr, L. M. Lowe and W. J. Müller (2007). Contrasting fire-related resilience of ecologically dominant ants in tropical savannas of northern Australia. Diversity and Distributions. 13: 438-446. 10.1111/j.1472-4642.2007.00353.x
- Franklin, K. (2012). The remarkable resilience of ant assemblages following major vegetation change in an arid ecosystem. Biological conservation. 148: 96-105. 10.1016/j.biocon.2012.01.045
- Gardner, J. L., A. Peters, M. R. Kearney, L. Joseph and R. Heinsohn (2011). Declining body size: a third universal response to warming? Trends in Ecology and Evolution. 26: 285-291. 10.1016/j.tree.2011.03.005
- Gunderson, L. H., C. R. Allen and C. S. Holling (2009). Foundations of Ecological Resilience, Island Press
- Leal, L. C., A. N. Andersen and I. R. Leal (2014). Anthropogenic disturbance reduces seed-dispersal services for myrmecochorous plants in the Brazilian Caatinga. Oecologia 174: 173-181. DOI 10.1007/s00442-013-2740-6
- Lenoir A. (1998) – Les fourmis. Dans « Si les lions pouvaient parler – Essais sur la condition animale », Sous la direction de Boris Cyrulnik, Quarto, Gallimard, 389-401. Pdf
- Loiseau, C., F. Gracci, V. Nouyrigat and A. Pihen (2014). L'incroyable force de la nature face aux agressions humaines. Science & Vie. Octobre, 1165, 54-70. Voir Hollis
- Naug, D. (2009). Structure and resilience of the social network in an insect colony as a function of colony size. Behav Ecol Sociobiol 63: 1023-1028. DOI 10.1007/s00265-009-0721-x
- Parr, C. L. and A. N. Andersen (2008). Fire resilience of ant assemblages in long-unburnt savanna of northern Australia. Austral Ecology. 33: 830-838. 10.1111/j.1442-9993.2008.01848.x
- Passmore, H. A., E. M. Bruna, S. M. Heredia and H. L. Vasconcelos (2012). Resilient Networks of Ant-Plant Mutualists in Amazonian Forest Fragments. PLos One. 7: e40803. 10.1371/journal.pone.0040803
- Purcell, J. (2014). En cas d'inondation, la reine d'abord. Le Monde Science & Médecine. 26 février, p.6.
- Purcell, J., A. Avril, G. Jaffuel, S. Bates and M. Chapuisat (2014). Ant Brood Function as Life Preservers during Floods. PLoS ONE. 9: e89211. 10.1371/journal.pone.0089211
- Timóteo, S., Jaime A. Ramos, Ian P. Vaughan and J. Memmott (2016). High Resilience of Seed Dispersal Webs Highlighted by the Experimental Removal of the Dominant Disperser. Current Biology 26: 910-915. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2016.01.046
- Vinson, S. B. and A. A. Sorensen (1986). Imported Fire Ants: Life History and Impact, Texas Department of Agriculture, Austin, 28 p.
- Walker, B., C. S. Holling, C. R. Carpenter and A. Kinzing (2004). Resilience, adaptability and transformability in social–ecological systems. http://www.ecologyandsociety.org/vol9/iss2/art5. Ecology and Society. 9: 2.

"Resilience (the capacity of a system to absorb disturbance and reorganize while undergoing change so as to still retain essentially the same function, structure, identity, and feedbacks) has four components—latitude, resistance, precariousness, and panarchy—most readily portrayed using the metaphor of a stability landscape. Adaptability is the capacity of actors in the system to influence resilience (in a SES, essentially to manage it). There are four general ways in which this can be done, corresponding to the four aspects of resilience. Transformability is the capacity to create a fundamentally new system when ecological, economic, or social structures make the existing system untenable." (Walker et al. 2004)