Par Anne-Sophie Tassart le 22.11.2018 à 06h00 (site web)
Les Formica archboldi sont connues depuis plusieurs décennies pour décapiter leurs proies et laisser leur tête dans le nid. Un chercheur américain en a appris un peu plus sur ces fourmis au cours d'une étude.
Depuis 60 ans, des études de terrain montrent que les fourmis Formica archboldi - présentes au sud-est des États-Unis - ont une étrange coutume : elles dispersent des morceaux de fourmis Odontomachus dans leur nid, notamment des têtes, et en mangent d'autres (visible dans la vidéo ci-dessous, en anglais). "Quatorze ans après que Formica archboldi a été formellement décrite par Smith, une note sur l'histoire naturelle particulière de cette espèce a été écrite. En 1958, Van Pelt a noté : 'Les nids des F. archboldi contiennent de nombreuses têtes de Odontomachus haematoda insularis, ce qui indique que les Formica peuvent se servir d'un nid de Odontomachus, ou alors que ces dernières servent de nourriture'", écrit le chercheur américain Adrian Smith dans son propre article scientifique, paru le 16 novembre 2018 dans la revue Insectes Sociaux. Pour en savoir plus sur ce funeste phénomène, il a étudié la relation entre ces deux genres de fourmis.
Le biologiste a observé
les interactions de ces fourmis en laboratoire et parallèlement, il a
établi le "profil hydrocarburique
cuticulaire" des F. archboldi. Ces termes quelque
peu barbares font référence à une couche de cires non volatiles
qui recouvrent le corps des insectes. Leur fonction principale est d'empêcher
la dessication mais elles peuvent également jouer un rôle dans
la communication chimique. Par exemple, chez les fourmis du genre Odontomachus,
cette couche permet de différencier les fourmis originaires du nid des
autres. Ce profil peut être variable entre les espèces et parfois
même, entre les colonies. Cependant, il est possible que certaines espèces
partagent un profil à peu près identique notamment si une relation
de parasitisme les lie : l'organisme commensal (parasite) reproduisant le profil
de l'hôte. Le chercheur a donc réalisé ce "profil hydrocarburique
cuticulaire" sur des échantillons provenant de 21 colonies découvertes
dans 3 zones de Floride : une où l'espèce Odontomachus relictus
est abondante et deux où Odontomachus brunneus fourmille.
Grâce à son étude, Adrian Smith a obtenu plusieurs résultats
intéressants. Tout d'abord, ces derniers soulignent que "F.
archboldi a un profil hydrocarburique cuticulaire qui correspond à
celui des espèces natives de Odontomachus avec lesquelles elle
cohabite". Mais cette correspondance n'empêche pas les agressions
entre ces spécimens. L'intérêt de celle-ci reste donc, pour
le moment, sans réponse. Autre découverte : les F. archboldi sont
particulièrement efficaces pour tuer des Odontomachus. Elles
se servent d'un spray d'acide pour les neutraliser, normalement utilisé
comme arme défensive. Celui-ci n'est pas plus efficace que celui des
autres espèces de Formica. F. archboldi est juste particulièrement
douée pour s'en servir. Pour M. Smith, il s'agit là d'une preuve
que les F. archboldi sont devenues avec le temps des prédateurs spécialisés
dans la chasse aux Odontomachus. Même en laboratoire, ces insectes
se sont appliqués à ramener dans le nid le corps de leurs adversaires
pour les décapiter. "Avant cette étude, Formica archboldi
était juste une espèce avec l'étrange habitude de collectionner
des têtes. Maintenant nous avons ce qui pourrait être un modèle
pour comprendre l'évolution de la diversification chimique et du mimétisme",
se réjouit le scientifique dans un communiqué.
Voir aussi Science et Vie de février 2019