La cigale et la fourmi en provençal (d'après Souvenirs entomologiques, de Jean-Henri Fabre, 5ème série, chapitre 5)
LA CIGALO E LA FOURNIGO I Jour de Dièu, queto caud ! Bèu tèms pèr la cigalo, Tèms benesi pèr tu. Dounc, ardit ! cigaleto, Plèn d'aigo pèr la péiro e tampouna d'erbiho Tu, Cigalo, as un biais pèr la set : dins la rusco Mai pas toujour en pas, oh ! que nàni : de laire, Quiston un chicouloun de rèn ; pièi de ti resto Tiron d'eici, d'eilà. L'impaciènci te gagno. Or d'aqueli boumian abèura sens fatigo, Pèr t'esquicha l'artèu, te coutiga lou mourre, II Aro veici qu'es pas de crèire. L'endrudido au soulèu secavo, Ié disés : « Fai bèn fre ; l'aurasso « Presto-me un pau de gran. » Mai, bouto, Ansin charro la fablo antico Me fai susa, lou fabulisto, Que t'enchau l'ivèr !Ta famiho De ta magro péu dessecado III Vaqui l'istori veritablo Fasès courre lou bru, canaio, |
LA CIGALE ET LA FOURMI I Jour de Dieu, quelle chaleur ! Beau temps pour la cigale — qui, folle de joie, se régale — d'une averse de feu ; beau temps pour la moisson. — Dans les vagues d'or, le moissonneur, — reins ployés, poitrine au vent, travaille dur et ne chante guère : — dans son gosier, la soif étrangle la chanson. Temps béni pour toi. Donc, hardi, Cigale mignonne, — fais-les bruire, tes petites cymbales, — et trémousse le ventre à crever tes miroirs. — L'homme cependant lance la faux, — qui va continuellement oscillante, fait rayonner l'éclair de son acier sur les roux épis. Pleine d'eau pour la pierre et tamponnée d'herbages, — la cuvette pendille sur la hanche. — Si la pierre est au frais dans son étui de bois, — sans cesse abreuvée, — l'homme halette au feu de ces coups de soleil — qui font bouillir parfois la moelle des os.
Toi, cigale, tu as une ressource pour la soif : dans l'écorce — tendre et juteuse d'un rameau, — l'aiguille de ton bec plonge et fore un puits. — Le sirop monte par l'étroite voie. — Tu t'abouches à la fontaine mielleuse qui coule, — et du suintement sucré tu bois l'exquise lampée.
Pour te presser l'orteil, te chatouiller la face, — te pincer le nez, pour courir — à l'ombre de ton ventre, vraiment nul ne la vaut. — La coquine prend pour échelle une patte et te monte, audacieuse, sur les ailes ; elle s'y promène, insolente, et va d'en haut, d'en bas.
Maintenant — voici qui n'est pas à croire. — Autrefois, nous disent les anciens, — un jour d'hiver, la faim te prit. Le front bas — et en cachette, tu allas voir, — dans ses grands magasins, la fourmi, sous terre. L'enrichie au soleil séchait, — avant de les cacher en cave, — ses blés qu'avait moisis la rosée de la nuit. — Quand ils étaient prêts, elle les mettait en sac. — Tu surviens alors, avec des pleurs aux yeux.
Tu lui dis : « Il fait bien froid ; la bise — d'un coin à l'autre me traîne, mourante de faim. A ton riche monceau — laisse-moi prendre pour ma besace. — Je te le rendrai, bien sûr, au beau temps des melons. »
« Prête-moi un peu de grain. » Mais va, — si tu crois que l'autre t'écoute, — tu te trompes. Des gros sacs, tu n'auras rien de rien. — « File plus loin, va racler des tonneaux ; — crève de faim l'hiver, toi qui chantes l'été ! » Ainsi parle la fable antique — pour nous conseiller la pratique — des grippe-sous, heureux de nouer les cordons — de leurs bourses... Que la colique — ronge les entrailles de ces sots !
Il m'indigne, le fabuliste, — quand il dit que l'hiver tu vas en quête — de mouches, vermisseaux, grains, toi qui ne manges jamais. Du blé ! Qu'en ferais-tu, ma foi ! — Tu as ta fontaine mielleuse, et tu ne demandes rien de plus. Que t'importe l'hiver ! Ta famille — à l'abri sous terre sommeille, — et tu dors le somme qui n'a pas de réveil. — Ton cadavre tombe en loques. — Un jour, en furetant, la fourmi le voit. De ta maigre peau desséchée — la méchante fait curée ; — elle te vide la poitrine, elle te découpé en morceaux, — elle t'emmagasine pour salaison, — provision de choix, l'hiver, en temps de neige. III Voilà l'histoire véritable — bien loin du dire de la fable. — Qu'en pensez-vous, sacrebleu ! — O ramasseurs de liards, — doigts crochus, bombées bedaines — qui gouvernez le monde avec le coffre-fort, Vous faites courir le bruit, canaille, — que l'artiste jamais ne travaille — et qu'il doit pâtir, l'imbécile. — Taisez-vous donc : quand des lambrusques — la Cigale a foré l'écorce, — vous lui dérobez son boire, et puis, morte, vous la rongez. En son expressif idiome provençal, ainsi parle mon ami, réhabilitant la Cigale calomniée par le fabuliste.
|