Sur les traces de la fourmi à miel
Alain Lenoir Mis à jour 15-Mar-2022
Livre : Sur les traces de la fourmi à miel. Peintres aborigènes d'Australie. Peintures de Bronwyn Bancroft (artiste aborigène), textes de Sylvie Crossman. Indigène éditions 1997. Exposition à La Villette, nov 1997 - janv 1998.
Je m'appelle
Yerrampe : je suis la fourmi à miel et ici, c'est chez moi. Avant, à
Papunya, il n'y avait rien. Et nous, tes ancêtres, les premières
fourmis a miel de toute l'Australie, nous étions enfouies dans le sol.
C'était il y a très longtemps. Alors, et malgré le poids
de nos ventres, nous nous sommes mises en route, nous avons remonté les
galeries que nous avions creusées et nous avons commencé à
marcher à la surface de la terre. Nous avons marché, marché,
depuis l'ouest du continent jusqu'a son centre. En chemin, nous avons créé
la grande plaine rouge, l'arbre à fleurs jaunes comme du mimosa, au tronc
mince comme un doigt, et déposé de l'eau dans les cuvette du sol
pour que les arbres puissent vivre. Sur les feuilles du mulga, pousse une substance
que les fourmis ouvrières butinent avant de nous nourrir avec. Nous,
les fourmis reines, nous avons le pouvoir de transformer cette substance en
miel. Gorgé de nectar, notre abdomen enfle.
Nous sommes les gardiennes du miel. Tout le monde veut le miel. Il est si bon,
si doux. Comme l'amour. A Papunya, il y a très longtemps, cela aurait
pu tourner mal. Car c'est ici que nous avons rencontré les cruelles fourmis
soldats. Elles nous ont déclaré la guerre. Mais le miel est plus
fort que la guerre. Nous avons réussi à les persuader que cela
ne servirait à rien. Il n'y a pas eu de bataille.
Avant de partir, nous avons laissé l'empreinte de notre passage, une
colline à deux bosses - la plus grosse, c'est notre abdomen rempli du
nectar - et une multitude de fourmis à miel pareilles à nous.
Imagine ! Un petit coup de dents et tu as ta ration de sucre pour l'année...
Mais attention, ne siffle pas en les cherchant, tu n'attraperais rien !
Nous avons aussi laissé des peintures: ce sont des cartes, elles indiquent
aux Aborigènes par où nous sommes passées autrefois quand
nous avons créé Papunya. Si ces peintures un jour n'étaient
plus peintes, alors cette région - que les blancs appellent un désert
parce qu'ils n'en connaissent pas l'histoire, l'histoire que je viens de te
raconter - redeviendrait plate, vide et sans beauté. Comme elle l'était
avant que moi, Yerrampe, la fourmi à miel, je ne la crée.