La reproduction clonale des mâles et femelles de la petite fourmi de feu Wasmannia auropunctata

D'après l'article de Denis Fournier, Arnaud Estoup, Jérôme Orival, Julien Foucaud, Hervé Jourdan, Julien Le Breton et Laurent Keller "Clonal reproduction by males and females in the little fire ant", Nature, 435, 1230-1234 (2005) et le commentaire de David Queller "Males from Mars", Nature, 435, 1167-1168.

Le communiqué de presse de l'INRA du 30 juin 2005 (pdf).

Le communiqué de l'AFP du 30 juin :
"Une variété de fourmis se clone naturellement. Les reines et les mâles d'une variété de fourmis se reproduisent naturellement par clonage, selon une étude de l'Université de Lausanne publiée jeudi par la revue britannique Nature. Chez les fourmis Wasmannia auropunctata, présentes en Amérique du Nord, en Afrique de l'Ouest et aux Galapagos, les reines utilisent normalement le sperme des mâles pour produire des ouvrières, qui sont stériles, explique le professeur Laurent Keller, qui a dirigé l'étude. En revanche, ajoute le chercheur, "elles n'utilisent pas le sperme des mâles pour produire de nouvelles reines", leurs filles, à qui elles transmettent tous leurs gènes. Les mâles ont trouvé une solution pour transmettre eux aussi leur matériel génétique: ils éliminent le génome maternel dans l'oeuf, produisant ainsi par clonage un mâle génétiquement identique à son père.
"Nous avons identifié le premier cas de reproduction clonale des mâles", affirme Laurent Keller, qui dirige le département d'écologie et d'évolution de l'université helvétique. Il voit dans ce phénomène le résultat d'une évolution en deux étapes, qui a porté sur plusieurs centaines de milliers d'années. "On est probablement parti d'une espèce ancestrale où tous les individus étaient reproduits de manière sexuée", explique-t-il. "Dans un premier temps, les reines ont commencé à produire de nouvelles reines de manière clonale, ce qui a enlevé tout le succès reproducteur des mâles. Ceux-ci ont réagi en se reproduisant à leur tour par clonage", suppose-t-il.
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Fourmis de feu. La guerre des sexes est déclarée. Science et Vie, septembre 2005, p. 86-89, par Muriel Royer de Véricourt. Avec interview de Pierre-Henri Gouyon.

L'étrange vie si peu sexuelle de la "petite fourmi de feu" Le Monde, 02.07.05
"La brouille est ancienne. Elle dure, sans doute, depuis plusieurs centaines de milliers d'années. Depuis suffisamment longtemps, en tout cas, pour que les mâles et les femelles reproductrices de Wasmannia auropunctata ne partagent aujourd'hui presque plus rien. Pas même les parts les plus ténues de leur organisme : les génomes des mâles et des reines de cette espèce de fourmi invasive sont si différents que les biologistes pourraient croire à deux espèces distinctes.
Comment celle que l'on appelle la "petite fourmi de feu" en est-elle arrivée à une telle extrémité ? Les chercheurs français et suisses qui ont mis au jour ce miracle de l'évolution expliquent, jeudi 30 juin dans la revue Nature, l'étrange stratégie reproductive de Wasmannia auropunctata. Dans ce mode de reproduction jamais observé auparavant, les mâles sont les clones de leur père et les reines sont les clones de leur mère.
"Chez la plupart des espèces de fourmis, les reines fabriquent deux types d'œuf, explique Denis Fournier, premier auteur de l'étude, chargé de recherche au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) de Belgique. Certains, dits haploïdes, non fécondés, produisent des mâles tandis que d'autres, dits diploïdes, sont fécondés et produisent soit des reines, soit des ouvrières." Mais chez la petite fourmi de feu, les reines ont, peu à peu, appris à se passer de la semence des mâles pour engendrer d'autres reines, transmettant ainsi la totalité de leur patrimoine génétique à la génération suivante de femelles reproductrices.
Du coup, les mâles ne transmettent plus leurs gènes qu'aux ouvrières, qui, stériles, ne peuvent assurer la pérennité de ce patrimoine génétique. Pour contrecarrer cet "hégémonisme génétique" des reines, les mâles ont dû ruser. "Nous pensons, sans en être certains, que les mâles fécondent les ovules haploïdes et qu'une fois la fécondation effectuée, sous certaines conditions, l'ADN du mâle peut éliminer celui de la femelle", précise M. Fournier. L'œuf en question engendre, en définitive, un clone du mâle l'ayant fécondé. "C'est une manière de 'parasitisme génétique' , selon M. Fournier. Le mâle utilise en quelque sorte la reine comme une mère porteuse."
Chez Wasmannia auropunctata, tout ou presque se passe donc comme si les mâles et les femelles appartenaient à deux espèces différentes. Cependant, même si ce divorce, consommé de longue date, les place sur deux branches distinctes de l'arbre de l'évolution, mâles et reines ont malgré tout besoin l'un de l'autre. Leurs gènes se mêlent ainsi pour engendrer les ouvrières. Bien que stériles, ces dernières n'en assurent pas moins l'organisation sociale de l'espèce et le bon fonctionnement des colonies
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Stéphane Foucart (2005) voir l'article à la une du Monde en pdf