Vrais et faux "experts" se bousculent sur le marché florissant du diagnostic et du traitement
Le Monde du 03.11.01Deux professions , au moins, peuvent se réjouir de la lutte contre les termites : les experts et les entreprises qui "traitent" les habitations. La loi du 8 juin 1999 leur ouvre en effet de nouveaux débouchés. Dans les zones "contaminées ou susceptibles de l'être", un vendeur doit désormais présenter un état parasitaire de son bien immobilier s'il souhaite ne pas être poursuivi par l'acquéreur qui y découvrirait des termites ; cette attestation, délivrée par un expert, n'est pas obligatoire mais, dans les faits, les notaires l'exigent systématiquement, explique Me Patrick Wallut : "Nous la réclamons au moment de la signature de l'acte de vente et nous souhaitons même qu'elle soit présentée dès la promesse de vente", affirme-t-il.
Pour l'heure, cette disposition ne joue que dans les départements où un arrêté préfectoral délimitant les secteurs infestés a été pris ; à la mi-septembre, "entre douze et quinze" textes de ce type étaient parus, selon Hélène Roque, de l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL). Mais l'entrée en vigueur de la loi de 1999 dans les cinquante-six départements touchés par la termitose n'est plus qu'une question de temps. La demande de diagnostics devrait donc aller crescendo dans les mois à venir. Quelques difficultés pratiques risquent alors de surgir. "En matière d'états parasitaires, souligne Hélène Roque, il existe très peu d'entreprises certifiées" par le Centre technique du bois et de l'ameublement (CTBA) : à la fin du mois de mars, elles étaient une vingtaine à bénéficier du "label" que cet organisme délivre aux sociétés qui, après des "examens d'évaluation", font état d'une "expérience significative", connaissent "la biologie des pathologies du bois dans la construction"et maîtrisent les méthodes "de détection de ces pathologies".
Cependant, des experts, qui n'ont pas été certifiés par le CTBA, peuvent se montrer tout aussi compétents. Mais séparer le bon grain de l'ivraie n'a rien d'évident dans un secteur qui est peu encadré par la législation : "Il suffit d'avoir une assurance responsabilité civile professionnelle et d'être inscrit au registre du commerce pour exercer cette activité", affirme Sylvain Genty, du Service municipal d'actions de salubrité et d'hygiène (Smash) de Paris.
Du coup, certains sont tentés de faire carrière dans un créneau jugé porteur. "Des gens nous ont appelés pour savoir comment on devenait expert", raconte Claude Marès, du Smash, en citant les cas d'un boulanger et d'un comptable qui désiraient se reconvertir. "Ils voyaient un marché en train de se développer et étaient attirés par le côté lucratif de l'affaire", poursuit-il. Ces novices ne sont pas nécessairement mal intentionnés, juge Marc Jequel, chef des laboratoires de biologie au CTBA, mais ils croient dominer leur sujet, après une vague formation de quelques jours, alors qu'"ils ne maîtrisent rien du tout", souligne-t-il.
Du nouveau venu inexpérimenté on passe parfois très vite à l'escroc patenté. Sur le marché du termite sévissent en effet des "brebis galeuses" - selon le mot de Marc Jequel - qui arnaquent les crédules et bafouent la loi de 1999. Dans les Bouches-du-Rhône, des individus se sont présentés au domicile de particuliers et leur ont proposé des contrôles ou des diagnostics gratuits en se prévalant d'un mandat - imaginaire - de la direction départementale de l'équipement (DDE). Ces démarcheurs ont ensuite dit à leurs "victimes" qu'elles devraient leur confier des travaux, "sans que des devis normalement rédigés ne soient établis ou sans leur laisser le temps de consulter la concurrence", indique la DDE. Des traitements "bidons" ont même été réalisés.
AGISSEMENTS DOUTEUX
Dans l'Hérault, la direction départementale à la concurrence, à la consommation et à la répression des fraudes (DDCCRF) a transmis au parquet de Montpellier, en septembre 2000, un procès-verbal qui décrit les agissements douteux de deux entreprises. L'une réalise des diagnostics et recommande vivement à sa clientèle de s'adresser à l'autre société pour les traitements. Il semblerait qu'elles soient dirigées par un "même animateur", confie Jacques Nicot, responsable de la DDCCRF de l'Hérault. Ce faisant, elles méconnaissent sinon la lettre, du moins l'esprit de la loi du 8 juin 1999 : une même entreprise n'a, en effet, pas le droit d'établir des états parasitaires et d'appliquer des produits contre les termites ; le législateur a cloisonné ces deux activités pour éviter que des sociétés sans scrupule rendent des expertises partiales.
Enfin, quelques professionnels se sont distingués par des méthodes commerciales agressives. Paru en 1996, le Livre blanc sur les arnaques de la consommation mentionne le cas d'une entreprise dont "la présentation publicitaire" et "les arguments utilisés au cours du démarchage laissaient penser au consommateur qu'il était obligatoire de procéder à un traitement contre les termites des charpentes". "En outre, le diagnostic et le traitement proposés étaient parfois fantaisistes ou inadaptés", poursuit le rapport, et "les monteurs de l'arnaque" sont allés jusqu'à imposer "des prestations injustifiées et onéreuses". Un responsable de cette entreprise fut finalement condamné à quatre mois de prison avec sursis et 50 000 francs d'amende.
Certaines sociétés n'hésitent pas à s'attaquer à des personnes vulnérables. "Les démarcheurs vérifient gratuitement les charpentes et opèrent chez des personnes âgées ou handicapées ne pouvant accéder aux combles", rapporte le Livre blanc. "La visite est impromptue", poursuit-il et tout est mis en uvre pour que le consommateur n'utilise pas le délai de sept jours auquel il a droit pour se rétracter.
Toutefois, ces pratiques ne sont pas légion. Les services de la répression des fraudes, qui ont lancé "un programme de travail national sur ce secteur", n'ont, pour l'heure, pas relevé de "grosses infractions". Dans la plupart des cas, indique-t-on, des "rappels à la réglementation"suffisent pour sanctionner les manquements observés.
Bertrand Bissuel