Interview Julien Serres

Mis à jour 29-Mar-2021

- Ton parcours
J’ai toujours suivi des parcours et science et en ingénierie cherchant à éviter les « sciences de la vie », dès le lycée, j’ai choisi des options à caractère industrielle, j’ai ensuite décroché un bac scientifique, option sciences de l’ingénieur en 1996, puis j’ai intégré les classes préparatoires aux grandes écoles, en trois ans, je suis parvenu à intégrer l’École Normale Supérieure de Cachan en 1996, aujourd’hui, École Normale Supérieure Paris-Saclay, au sein du département d’Électronique, d’Électrotechnique, et d’Automatique. A cette époque, je ne cherchais qu’à préparer l’agrégation de Physique Appliquée pour devenir un enseignant, puis travailler au sein de l’Éducation Nationale. Mais après avoir décroché mon agrégation, j’ai souhaité m’orienter en DEA, aujourd’hui dénommé master 2, dont la spécialité était l’imagerie médicale, curieux de mieux connaître le fonctionnement d’un imageur par résonance magnétique. Suite à cette expérience nouvelle pendant un an, j’ai découvert les neurosciences visuelles et le traitement d’image IRM, mais ces analyses manquait pour moi de concret et de terrain. J’ai alors eu l’opportunité de rencontrer Dr Nicolas Franceschini au CNRS de Marseille, pionner de la biorobotique française, Nicolas cherchait un étudiant pour faire une thèse en robotique bio-inspirée dont le thème était libre. Souhaitant faire une thèse pour découvrir en quoi cela consistait, j’ai relevé le défi, j’ai donc découvert les principes de guidage visuel chez les insectes volants, la mouche puis l’abeille, j’ai alors conduit en parallèle des expériences sur les abeilles et les robots mimant les abeilles pendant mon doctorat.

- comment a débuté ton intérêt pour les fourmis
J’ai tout d’abord cherché à modéliser le système de navigation des abeilles, capable d’effectuer des trajets quotidiens d’une dizaine de kilomètre. Malheureusement, après une thèse de robotique aérienne mimant l’abeille, je me suis rendu compte que c’était compliqué d’avoir un petit robot volant autonome, d’une part pour leur endurance, mais aussi pour leur fragilité en cas de crash. Je me suis alors penché sur la robotique hexapode, et j’ai découvert toute la littérature sur les mécanismes d’orientation spatiale des fourmis, similaires aux abeilles, mais évoluant au sol et non en vol. Même si l’autonomie des robots hexapodes mimant les fourmis ne leur permettent pas encore de faire aujourd’hui des kilomètres, ce type de robots ne se crashent pas et pourront à terme avoir une endurance proche du kilomètre pour mimer la fourmi.

- ta thèse
Lors de mon travail doctoral, j’ai commencé par simuler le système visuel des abeilles, puis leur capacité de navigation. Par curiosité, et par volonté aussi d’être accepté par la communauté des chercheurs en entomologie, j’ai pris l’initiative de contacter un apiculteur local m’ayant autorisé à installer un tunnel de vol à abeilles près de son rucher. J’ai alors pu apprendre à ses côtés, car l’étude de l’abeille était une thématique nouvelle pour moi et pour le laboratoire. Historiquement, les travaux se focalisaient sur la compréhension du système visuel de la mouche. Depuis, je m’intéresse à tous les insectes navigateurs, car ils ont tous des similarités au niveau perceptif à des fins de navigation pour un jour rendre plus autonome les robots de demain.

- ton parcours et situation actuelle, lien encore avec les fourmis ?
Après avoir exercé 8 ans dans l’Éducation Nationale en tant que professeur de sciences physiques en filières industrielles (de 2006 à 2014). J’ai eu l’opportunité de postuler sur un poste de maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, un métier d’un nouveau genre pour moi, un métier qui nécessite en permanence d’imaginer de nouveaux projets de recherche et collaborations scientifiques. Depuis, j’ai noué des collaborations avec des chercheurs du Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CRCA) qui travaillent directement sur les fourmis, je m’intéresse maintenant à l’incarnation robotique des stratégies de guidage visuel des fourmis en environnement complexe, ainsi qu’au transport de charge pour améliorer la robotique hexapode et valider en retour les modèles biologiques.

- citer 3 fourmis (ou autres animaux?) : la plus belle, la plus intéressante et la plus bizarre.
La fourmi la plus belle selon moi est la fourmi du désert Cataglyphis fortis car sa carrosserie est argentée pour refléter le soleil et évolue dans le désert tunisien.
La fourmi la plus intéressante selon moi est la fourmi du désert Cataglyphis velox, car évoluant dans un paysage varié en Andalousie.
L’abeille de Panama Megalopta genalis est l’abeille la plus bizarre car c’est une noctambule, elle travaille uniquement de nuit, ce qui reste un tour de force de la Nature.

- citer 3 publis, dont celle que tu considères comme la meilleure et celle qui t'a demandé le plus de travail, et celle qui t'a le plus posé de pb.
Ma meilleure publication est celle-ci, car ce n’est pas tous les jours qu’on accède à une revue du groupe Science dont l’audience médiatique fut nationale et internationale :
Dupeyroux, J., Serres, J. R., & Viollet, S. AntBot: A six-legged walking robot able to home like desert ants in outdoor environments. Science Robotics. 2019; 4 (27): eaau0307.
La publication qui m’a donné le plus de travail est celle-ci, il y aura fallu deux ans pour mettre au point l’expérience, puis deux années supplémentaires pour réussir à la faire publier :
Serres, J. R., Masson, G. P., Ruffier, F., & Franceschini, N. (2008). A bee in the corridor: centering and wall-following. Naturwissenschaften, 95(12), 1181.
La publication qui m’a posé le plus de problème est cette étude sur le goéland, car il m’aura fallu apprendre énormément de choses supplémentaires, notamment sur les oiseaux, pour réussir à la publier.
Serres, J. R., Evans, T. J., Åkesson, S., Duriez, O., Shamoun-Baranes, J., Ruffier, F., & Hedenström, A. (2019). Optic flow cues help explain altitude control over sea in freely flying gulls. Journal of the Royal Society Interface, 16(159), 20190486.

Enfin un conseil à donner à un jeune qui commence
Avoir la curiosité de sortir de sa zone de confort pour en apprendre toujours plus.
Ne jamais renoncer à ses propres projets pour impulser de nouvelles idées, car bien souvent il te faudra faire face aux découragements ou aux contradictions qui s’imposeront à toi, car la recherche est un travail d’équipe, et il faudra toujours rechercher l’adhésion ou le compromis face à l’ignorance ou la concurrence.

Photos

Cataglyphis fortis (Wikipédia) :

Robot AntBot (Science Robotics, 2019) :

Entrainement des abeilles (Commune de Peypin, Bouches-du-Rhône, chez Serge Dini, apiculteur). Les bonbons au miel sont placés de plus en plus profondément dans le tunnel de manière à inviter aux abeilles de s'aventurer jusqu'à son extrémité. En arrière-plan, Guillaume Masson (Stagiaire INSA de Lyon), et au premier plan Julien Serres. Crédits photographiques : Philippe Psaila (2006).