Interview deTatiana Giraud
Interview du 2 janvier 2021
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ton parcours ?
Prépa Bio à Henri IV, INAPG (P92), DEA évolution (Jussieu)
en 3eme année de l’agro (1995), stage au CNRS de Gif sur les éléments
transposables de drosophiles avec P Capy, Thèse à l’INRA
de Versailles sur un champignon pathogène de raisins avec Yves Brygoo
(1995-1998), ATER à l’université Paris Nord sur les fourmis
avec P Jaisson (1998-1999), Post doc sur les fourmis à l’université
de Lausanne avec L Keller (1999-2000), puis labo ESE Orsay en post doc 1 an
puis en CR CNRS, sur l’évolution de champignons pathogènes
de plantes et sur la domestication des champignons du fromage
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comment a débuté ton intérêt pour les fourmis ?
Dès mon DEA, j’ai été fasciné par le pouvoir
explicatif de la théorie de la sélection naturelle, et notamment
pour expliquer les comportements humains et animaux, et la coopération
en particulier. Déjà à l’agro j’avais fait
un stage sur les coléoptères en Arizona et mon homme faisait son
stage dans la même université avec Diana Wheeler sur les fourmis
et je trouvais passionnant la diversité de leurs structures sociales
et leur altruisme extrême. Après ma thèse j’ai donc
résolument cherché à travailler sur les fourmis. Pour postuler
au CNRS, je voulais viser le laboratoire d’Orsay qui me paraissait le
plus stimulant et enthousiasmant en région parisienne, et je voulais
notamment travailler avec Jacqui Shykoff, et donc je suis retournée dans
le monde des champignons, qui me paraissait sous-étudié au niveau
évolutif, alors qu’ils constituaient d’excellents modèles,
mais je suis restée très intéressée par les fourmis.
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ta thèse ?
Étude de la structure des populations et l’existence d’espèces
cryptiques chez le champignon Botrytis cinerea responsable de la pourriture
grise de la vigne mais aussi de la pourriture noble. J’ai mis en évidence
de la reproduction sexuée, des espèces cryptiques, un certain
degré de spécialisation à l’hôte, mais avec
peu de structure géographique, et pas de structure génétique
suivant la pourriture grise ou noble.
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ton parcours et situation actuelle, lien encore avec les fourmis ?
Depuis mon recrutement au CNRS en 2001, je suis restée au laboratoire
ESE à Orsay.
HDR en 2004, DR en 2009, Directrice adjointe ESE et chargée de cours
à l’école polytechnique depuis 2009.
Médaille de bronze CNRS 2006 et d’argent 2015, Prix de la fondation
Louis D de l’académie des sciences 2017, élue à l‘académie
des sciences en 2019.
Porteur de 3 projets ANR
et 3 ERC
Ci-dessous un petit résumé de mes travaux, je n’ai plus
étudié les fourmis, à part une collaboration avec Franck
Courchamp à l’ESE sur l’effet Allee il y a déjà
un moment (Luque et al 2013). Mais j’en parle beaucoup dans mes cours
à l’école polytechnique. Je me suis servi de mes travaux
sur les fourmis pour des études sur l’évolution de la virulence
des champignons pathogènes en fonction du degré d’apparentement
avec leurs compétiteurs au sein des plantes hôtes (López-Villavicencio
et al 2011).
J’étudie la diversité des champignons et les mécanismes
évolutifs permettant aux organismes d’évoluer, de se diversifier,
et de s’adapter à un environnement changeant rapidement. Ce sont
des questions fondamentales pour comprendre le monde vivant et cette recherche
a des applications pour essayer de prévenir les conséquences des
changements globaux actuels. Mes travaux ont en particulier permis de mieux
comprendre comment émergent les nouvelles maladies de plantes dans les
écosystèmes naturels et agricoles 1) en élucidant les routes
et mécanismes d’introduction de champignons pathogènes dans
de nouvelles régions, 2) en mettant en évidence des facteurs contrôlant
l’évolution de la virulence des maladies, 3) en mettant en évidence
des mécanismes jusque-là inconnus responsables de l’émergence
de nouvelles espèces de pathogènes sur de nouveaux hôtes,
et 4) en révélant l’ampleur et la fréquence des épisodes
d’adaptation au niveau génomique chez des champignons pathogènes.
J’utilise différentes espèces de champignons et de plantes
domestiqués comme des modèles biologiques pour comprendre la réponse
des organismes à de fortes pressions de sélection pour une adaptation
rapide. J’ai montré que l’adaptation des champignons Penicillium
utilisés pour l’affinage du fromage à ce nouveau milieu
s’était réalisée notamment par de multiples transferts
de gènes entre espèces, impliqués dans la compétition
contre les autres micro-organismes et dans le métabolisme du lait. Mes
travaux sur les espèces domestiquées ont aussi révélé
la séquence d’événements génétiques
à l’origine du pommier cultivé.
Mes projets visent à comprendre les processus génomiques impliqués
dans l’adaptation rapide à de nouveaux milieux chez les champignons.
J’utilise comme modèles des cas d’adaptation parallèle
d’espèces phylogénétiquement éloignées
à la même niche écologique, en utilisant plusieurs autres
champignons inoculés pour l’affinage du fromage, encore non étudiés,
et des champignons inoculés pour l’affinage des saucissons. L’étude
de plusieurs lignées indépendantes permet de tester s’il
existe des adaptations convergentes, avec des mécanismes génomiques
communs et/ou ciblant les mêmes caractères, gènes et/ou
régions génomiques, c’est-à-dire si l’évolution
est prédictible. J’étudie plusieurs génomes par espèce
pour rechercher des traces d’adaptation récentes détectables
par des baisses de diversité autour des régions génomiques
sélectionnées. J’étudie d’autre part les mécanismes
génomiques d’adaptation des champignons pathogènes de plantes
grâce à des assemblages de très grande qualité de
génomes de dizaines d’espèces de Microbotryum pathogènes
de plantes différentes, ce qui constitue un matériel unique, permettant
d’élucider des processus encore très peu étudiés
dans l’adaptation, comme le rôle des pertes et gains de gènes,
des réarrangements chromosomiques, et des localisation particulières
dans les génomes, comme les télomères ou les régions
non recombinantes. Il s’agit de nouvelles frontières de recherches
sur les mécanismes génomiques de l’adaptation et générant
la biodiversité.
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citer 3 fourmis (ou autres animaux?) : la plus belle
Les fourmis vertes du genre Oecophylla
la plus intéressante
La fourmi d’argentine pour ses structures unicoloniales
et la plus bizarre
Les fourmis à miel
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citer 3 publis, dont celle que tu considères comme la meilleure
Sur les fourmis :
Giraud T, Pedersen JS and Keller L (2002) Evolution of supercolonies: the Argentine
ants of Southern Europe. Proc. Natl. Acad. Sci. USA. 99:6075-6079
Sur les champignons :
Branco S, Badouin H, Rodriguez de la Vega R, Gouzy J, Carpentier F, Aguileta
G, Siguenza S, Brandenburg JT, Coelho M, Hood ME, Giraud T (2017) Evolutionary
strata on young mating-type chromosomes despite lack of sexual antagonism Proc.
Natl. Acad. Sci. USA. 114: 7067–7072.
Celle qui t'a demandé
le plus de travail
López-Villavicencio M, Courjol F, Gibson AK, Hood ME, Jonot O, Shykoff
JA and Giraud T (2011) Competition, cooperation among kin and virulence in multiple
infections. Evolution 65:1357-1366
J’ai du mettre en place et maintenir pendant 4 ans un jardin de 1000 plantes
et les inoculer avec des champignons
Celle qui t'a le
plus posé de pb..
Giraud T, Villaréal L, Austerlitz F, Le Gac M and Lavigne C (2006) Importance
of the life cycle in sympatric host race formation and speciation of pathogens.
Phytopathology. 96: 280-287
Un modèle de spéciation très important à mon avis
mais j’ai eu beaucoup de mal à le publier, les scientifiques travaillant
sur la spéciation ont eu beaucoup de problème à comprendre
l’intérêt et les spécificités des champignons.
Enfin
un conseil à donner à un jeune qui commence
Travailler avec des personnes qui vous rendent heureux, sur des sujets qui vous
passionnent, et oser dire non au reste.
Voir
- Luque G, Giraud T, Courchamp F (2013) Allee effects through caste interaction
feedback in ants. J Anim Ecology 82, 956–965
- López-Villavicencio M, Courjol F, Gibson AK, Hood ME, Jonot O, Shykoff
JA and Giraud T (2011) Competition, cooperation among kin and virulence in multiple
infections. Evolution 65:1357-1366