ommage
que les humains ne flairent pas les traces chimiques qu'ils
laissent, ils éviteraient ainsi de se jeter tête baissée dans
les embouteillages. Les fourmis, contrairement aux apparences,
évitent les bouchons et parviennent à réguler leur trafic. On
savait qu'entre deux chemins possibles, elles choisissaient le
plus court. Une équipe de chercheurs (1) vient de montrer
qu'elles choisissent aussi le chemin le moins embouteillé
au-delà d'un certain seuil de trafic.
Audrey Dussutour, en thèse au centre de recherches sur la
cognition animale à Toulouse (université-CNRS), a réalisé ses
expériences en 2001 à l'Université libre de Bruxelles, qui
travaille avec le centre de Toulouse. Les fourmis ont été
filmées et analysées durant six mois.
La chercheuse a d'abord creusé de grands trous un
mètre de profondeur et un mètre de diamètre afin de
récupérer des colonies de Lasius niger, ces
petites fourmis noires communes que l'on trouve partout dans
les jardins. Un bon sujet d'études, les insectes vivent en
colonies de 500, tracent des pistes chimiques et ont une reine
par fourmilière. Les ouvrières, qui vivent en moyenne trois
mois, commencent à sortir pour travailler au bout d'un mois et
demi. La reine, qui, elle, peut vivre jusqu'à cinq ans, fait
cinq fois la taille de ses ouvrières, ne sort jamais et se
contente de pondre.
Les chercheurs ont reconstitué des nids en plâtre
constamment humides. Ils ont fabriqué un pont en losange qui
offre un choix aux insectes : deux branches d'égale longueur
permettent d'atteindre la nourriture. A faible densité, un
seul chemin est majoritairement emprunté par les fourmis. Pour
une bonne raison : elles déposent sur leur passage une trace
chimique appelée phéromone, et, spontanément, l'ouvrière
choisit le chemin sur lequel il y a la plus grande
concentration de traces. Les fourmis vont chercher à manger et
reviennent au nid.
Si un chemin est plus court que l'autre, les premières
fourmis qui l'ont emprunté reviennent plus vite ; les fourmis
suivantes suivent alors leurs phéromones. Et les voilà qui
agissent comme si elles avaient compris qu'un des chemins
était plus court !
Pour tester un autre comportement collectif, les chercheurs
ont fabriqué deux voies d'égale longueur permettant
d'atteindre la nourriture. L'une des deux est très vite
empruntée majoritairement par les fourmis... jusqu'à un
certain point... Lorsque la densité devient trop forte, les
chercheurs ont observé un changement brutal : les fourmis se
répartissent de nouveau de manière symétrique sur les deux
branches du pont.
En alliant une étude éthologique à une modélisation
mathématique, les chercheurs ont compris que le trafic bascule
quand la densité atteint un tel point qu'elle réduit la
vitesse de déplacement des fourmis : il y a trop de
collisions, elles s'obligent à bifurquer les unes les autres
et se poussent vers l'autre branche. Ces poussées constituent
des forces de dispersion qui régulent le trafic : «Les
fourmis s'adaptent aux contraintes du milieu. Elles ont un
comportement collectif très plastique et trouvent des réponses
collectives complexes», explique Audrey Dussutour.
Dans les situations de panique, chez les hommes, ce sont
les comportements collectifs qui l'emportent sur la réflexion
individuelle. Des travaux, menés notamment par Dik Helbing de
l'université de Dresde qui cosigne l'article de Nature,
montrent que, lors d'un incendie par exemple, s'il y a deux
portes de sortie et qu'une est choisie au départ, aucun homme
ou femme ne choisira la deuxième, préférant s'entasser autour
de la première.
Les fourmis, elles, ne connaissent pas cet état de panique
; elles paraissent pleines de bon sens devant les obstacles.
(1) Nature du 4 mars