Alain Dejean a étudié les fourmis pendant plus de vingt ans, en Afrique et en Amérique centrale. Et il s'est rendu compte que l'homme pouvait « apprendre » des choses à ces insectes...
L'Homme, maître de la planète? Voilà qui ferait hurler de rire les hannetons, les moustiques et autres blattes! Le maître du monde, c'est l'insecte. Plus de la moitié de toutes les formes de vie terrestre. Du séquoia au ver de terre, de la bactérie au lichen en passant par les caniches et les homo sapiens, tous n'ont qu'à bien se tenir face aux six pattes.
Et parmi les insectes, il y a la fourmi. Familière des lecteurs de Bernard Werber ou des spectateurs de Mille et une pattes. Mais si bien connue que cela? Pas sûr...
Les fourmis? 12.000 espèces différentes. Un univers
que le professeur Alain Dejean de l'Université Paul-Sabatier étudie,
lui, depuis des années: « Six ans au Burundi, trois ans au Zaïre,
deux ans au Mexique, et six ans au Cameroun... », énumère-t-il.
Le gîte et le couvert
Alain Dejean s'intéresse à la relation plante-insecte.
« Il existe des plantes à fourmis. Comme l'acacia mexicain. Cet arbre fournit le gîte et le couvert à l'insecte!» Le gîte, ce sont les épines creuses, les tiges, et certaines poches de l'arbre. Le couvert, c'est un nectar extra floral dont les bestioles raffolent...
Mais au fait, pourquoi l'arbre est-il si hospitalier? «
Ces fourmis sont très agressives, répond Alain Dejean. Elles protègent
l'arbre contre les défoliateurs... » Une antilope qui voudrait
brouter de l'acacia trouverait vite la bouchée cuisante! Donnant-donnant!
Elevages de pucerons
« Dès le début de mes recherches, j'ai voulu travailler sur le comportement prédateur des fourmis. Ensuite, je suis passé aux applications de ce travail sur des espèces qui habitent sur les plantes cultivées. » Sur le terrain, mais aussi en laboratoire, Alain et ses étudiants ont observé des milliers de fourmis, de différentes espèces.
Lorsque des fourmis sont sur des arbres, elles l'exploitent avec méthode. Soit en s'y nourrissant directement. Soit en y installant des élevages de pucerons, dont elles se régaleront ensuite.
Cette exploitation de l'arbre peut être bénéfique ou néfaste.
Soit les fourmis peuvent protéger l'arbre contre des mangeurs de feuilles. Soit les pucerons font mourir la plante, en lui transmettant des maladies.
« Aussi, pour protéger une plantation, il faut la bonne fourmi! On va donc manipuler les fourmis pour avoir l'espèce adéquate dans l'arbre!» Mais comment faire? « Nous nous sommes rendu compte que les fourmis choisissent les arbres où elles s'installent de deux façons. Soit par attribution spontanée, soit par une forme d'apprentissage. » En résumé, si on plonge une fourmi qui sort de la nymphe dans l'environnement d'un certain arbre, elle s'en imprégnera, et cherchera à le retrouver. On peut donc influer son choix. On imagine les précieuses applications possibles: protéger des cultures, sans avoir un recours massif aux insecticides! « La balle est dans le camp des agronomes », estime Alain Dejean.
Des fourmis qui ne détruisent pas les plantes cultivées et, qui plus est, les protègent des autres animaux, voilà qui aurait passionné La Fontaine.
Dominique DELPIROUX