Hugo Darras
Alain Lenoir Mis à jour 12-Avr-2023
A fait une thèse à Bruxelles soutenue en 2017 avec Serge Aron sur les fourmis "Social hybridogenesis in ants of the genus Cataglyphis (Hybridogenèse sociale chez les fourmis du genre Cataglyphis)" (Pdf)
A été en postdoc en Suisse chez Laurent Keller où il a découvert une chimère d'ADN chez la fourmi folle jaune (voir plus loin).
Actuellement à Johannes Gutenberg University of Mainz.
Résumé
de la thèse
Les Hyménoptères sociaux (abeilles, fourmis et guêpes) doivent
leur succès écologique à une division du travail marquée
par l’existence de castes. Les reines sont spécialisées
dans la reproduction, tandis que les ouvrières sont stériles et
prennent en charge la construction du nid et sa défense, la récolte
de nourriture et l’élevage des jeunes. Le développement
d’un œuf femelle en une reine ou une ouvrière est généralement
régi par des facteurs environnementaux, tels que la qualité ou
la quantité de la nourriture. En réalisant une étude de
génétique des populations chez la fourmi Cataglyphis hispanica,
nous avons mis en évidence un mode de reproduction inhabituel appelé
hybridogenèse sociale.
Cette espèce est caractérisée par la co-existence de deux
lignées génétiques au sein des populations. Les reines
de chaque lignée s’accouplent systématiquement avec un mâle
de l’autre lignée génétique. Ainsi, les reines de
la lignée 1 s’accouplent toujours avec un mâle de la lignée
2, et les reines de la lignée 2 s’accouplent avec un mâle
de la lignée 1. Les ouvrières sont issues du croisement entre
les deux lignées : il s’agit donc d’individus hybrides. A
l’inverse, les individus reproducteurs (nouvelles reines et mâles)
sont produits exclusivement par reproduction asexuée. La caste femelle
(reine ou ouvrière) est donc déterminée génétiquement;
les ouvrières portent un génome hybride, alors que les reproducteurs
possèdent un génome non-hybride hérité exclusivement
de la mère. Les travaux réalisés dans le cadre de cette
thèse de doctorat visent à comprendre l’origine et l’évolution
de l’hybridogenèse sociale chez les fourmis Cataglyphis
par le biais d’approches variées (génétique des populations,
phylogéographie et manipulation de colonies en laboratoire). Ils sont
articulés selon plusieurs axes complémentaires : la description
du phénomène, l’étude de sa distribution géographique
et phylogénétique au sein du genre Cataglyphis, et l'étude
de ces mécanismes génétiques sous-jacents.
A reçu le Prix jeune Chercheur 2021 de la Section Française UIEIS le 1er décembre 2021. Voir la conférence en visio. Tout sur les systèmes de reproduction des fourmis avec en particulier l'hybridogenèse des Cataglyphis. On n'a sans doute pas finir de découvrir des choses bizarres comme la double clonalité des fourmis folles Paratrechina longicornis.
Voir http://myrmecophilie.overblog.com du 1er juillet 2017
Voir un site avec de nombreuses photos de fourmis et par exemple une Vidéo de Rhytidoponera en stridulation
Des
fourmis chimères. Un super scoop par Hugo Darras chez
Laurent Keller à Lausanne. Chez la fourmi folle jaune (Anoplolepis
gracilipes) les mâles haploïdes ont deux lignées de cellules
R dans les tissus somatiques et W dans les spermatozoïdes (Darras et al
2023).
- Les fourmis
folles jaunes mâles porteraient en elles deux ADN différents (Courrier
International 7 avril 2023).
"Une équipe
internationale de chercheurs vient de mettre au jour un phénomène
que l’on pensait réservé aux films d’anticipation
ou à l’accident biologique. Les fourmis folles jaunes mâles
seraient des chimères. Connues pour se mouvoir a priori de façon
désordonnée, les fourmis folles jaunes (Anoplolepis gracilipes)
font parler d’elles, cette fois sur le plan génétique. Une
étude parue dans la revue Science révèle que les mâles
seraient en réalité des chimères – des individus
qui portent en eux deux types d’ADN différents. Dans le monde du
vivant, d’autres exemples de chimérisme existent, le plus souvent
d’origine accidentelle, mais la fourmi folle jaune est le premier animal
connu pour lequel cette caractéristique représente un aspect essentiel
de la vie. “C’est un mécanisme biologique dont nous ne connaissons
aucun équivalent”, s’enthousiasme auprès de Nature
Daniel Kronauer, biologiste à l’université Rockefeller de
New York. En analysant des cellules de fourmis folles jaunes, les scientifiques
ont compris que le mâle ne portait bien qu’une seule version de
son génome par cellule, mais que toutes les cellules ne portaient pas
le même génome. “Certaines portaient des cellules provenant
d’un lignage présent chez les reines, défini par la présence
d’un chromosome R, alors que les autres cellules portaient une seule copie
d’un autre génome exhibant un chromosome W”, explique Nature.
“Les chercheurs ont aussi trouvé qu’à peu près
la moitié des cellules des fourmis mâles provenaient d’un
lignage et l’autre moitié, d’un autre”, ajoute New
Scientist. Par conséquent, ces derniers sont forcément issus d’œufs
fertilisés. Mais le mystère reste entier. Comment un individu,
avec deux parents, donc deux lignées cellulaires différentes,
peut-il ne porter qu’une seule copie de génome par cellule ? IFLScience
détaille : “Les reines portent deux copies du génome R.
Ainsi, si un œuf est fécondé par un spermatozoïde R,
alors cela donnera une reine. Si un œuf est fécondé par un
spermatozoïde porteur du génome dit “W”, deux événements
peuvent se produire. Soit l’œuf et le spermatozoïde fusionnent,
ce qui donnera un individu avec une copie de chacun des lignages dans toutes
les cellules [comme chez les fourmis ouvrières]. Soit la fusion n’a
pas lieu, créant ainsi des individus avec deux lignées cellulaires
ne se trouvant jamais dans les mêmes cellules.” Selon Daniel Kronauer,
cette stratégie unique dans le règne animal “pourrait aider
les fourmis folles jaunes à coloniser de nouveaux écosystèmes”,
dit-il à Nature. Les reines étant capables de stocker en elles
du sperme R et du W, elles pourraient démarrer une nouvelle colonie à
tout moment.
Courrier international"
La fourmi folle jaune présente
une forme unique de chimérisme (France
Culture 7 avril 2023)
"Elle s’attaque à toutes sortes d’animaux, des plus
petits invertébrés à de plus grands mammifères.
Par exemple, elle est responsable de l’extinction des crabes rouges sur
l’île de Christmas. On la retrouve sur ces îles du Pacifique
et dans une grande partie du Sud-est de l'Asie.
Et les premiers myrmécologues qui se sont intéressés à
cette espèce se sont rendus compte qu’il y avait quelque chose
de bizarre dans la génétique de cette fourmi.
Parce que
normalement, les hyménoptères, dont font partie les fourmis mais
aussi les abeilles et les guêpes, ont un mode de détermination
du sexe qu'on dit haplodiploide - différent de ceux des humains.
Les femelles portent deux copies de chaque chromosome, on dit qu’elles
sont diploïdes, une copie qui vient de la mère et une du père
par reproduction sexuée.
Tandis que les mâles, sont haploïdes, ils n’ont qu’une
seule copie de chromosomes parce qu’ils proviennent d'un œuf non
fécondé. Jusqu’ici, tout est normal et connu. Seulement,
les premières études ont montré que les mâles de
la fourmi folle jaune ont deux copies de chromosomes.
Pour tenter d’expliquer cette particularité, ces scientifiques
ont regardé le contenu génétique non pas de l’individu
dans sa globalité mais de cellules individuelles, chez les femelles et
chez les mâles.
Résultat, les mâles ont bien deux copies de chromosomes, mais dans
des cellules différentes… Toutes les cellules n’ont pas le
même matériel génétique. C’est ce qu’on
appelle du chimérisme.
Entretien
avec Hugo Darras,
professeur assistant à l’Université Mainz en Allemagne et
co-auteur de l’étude parue dans Science."
Quelques publications :
- Aron, S., H. Darras, P. A. Eyer, L. Leniaud and M. Pearcy (2013). Structure
génétique des sociétés et systèmes d’accouplement
chez la fourmi Cataglyphis viatica (Fabricius 1787). Bulletin de l’Institut
Scientifique, Rabat, Section Sciences de la Vie 35: 103-109.
- Darras, H., A. Kuhn and S. Aron (2019). Evolution of hybridogenetic lineages
in Cataglyphis ants. Molecular Ecology 28(12): 3073-3088. doi: https://doi.org/10.1111/mec.15116.
-
Darras, H., C. Berney, S. Hasin, J. Drescher, H. Feldhaar and L. Keller (2023).
Obligate chimerism in male yellow crazy ants. Science 380(6640): 55-58. doi:10.1126/science.adf0419
-
Leniaud, L., H. Darras, R. Boulay and S. Aron (2012). Social hybridogenesis
in the clonal ant Cataglyphis hispanica. Current Biology 22: 1188-1193.