Le genre Tetramorium en France
Synthèse par Marion Cordonnier
Mis à jour 23-Jui-2020
Les espèces paléarctiques
appartenant au genre Tetramorium sont pour la plupart réparties au sein
de quatre complexes distincts : Le complexe T. semilaeve [1], le complexe T.
ferox [1], le complexe T. chefketi [2,3], et le complexe T. caespitum [4]. En
France continentale, on trouve des espèces appartenant à trois
de ces groupes : le complexe T. semilaeve (T. semilaeve), le complexe T. chefketi
(T. forte et T. moravicum) et le complexe T. caespitum (T. caespitum, T. impurum,
T. indocile, T. alpestre, T. immigrans) ainsi qu’une espèce supplémentaire,
T. meridionale. Il y a aussi deux espèces parasites : T. atratulum et
T. inquilinum.
Le groupe caespitum est composé d’espèces cryptiques ayant
récemment fait l'objet d'une révision taxonomique [4], incluant
sur la base d’outils génétiques dix espèces européennes
distinctes [5]. Parmi elles, les plus communes en France sont Tetramorium impurum,
T. caespitum et T. immigrans. Cette dernière est invasive en Amérique
du Nord, où elle a été introduite dans les zones urbaines
au 19ème siècle (ou avant) [6]. Elle est considérée
indigène en Europe mais son statut est de plus en plus remis en question
en Europe de l’Ouest, notamment en Autriche (présence exclusive
à l’intérieur des bâtiments [7], mais voir [5]), en
Pologne (restreinte aux zones urbaines, notamment dans les zones anthropisées
faiblement végétalisées [8]) et en France [9]. Cependant,
aucune étude ne s’est consacrée à cette espèce
dans l’Europe entière et son origine précise reste donc
inconnue à ce jour.
L’écologie de Tetramorium immigrans a fait l’objet d’études
plus poussées dans les vallées de la Saône et du Rhône,
où elle est présente dans les habitats relativement chauds et
humides comparativement aux autres espèces de Tetramorium [10]. Elle
est inféodée aux habitats urbanisés, et présente
dans des micro-habitats fortement anthropisés [11]. Au nord de sa distribution,
elle est quasi exclusivement présente en milieux urbains, où elle
se maintient probablement grâce à l’effet d’Ilot de
Chaleur Urbain [9]. La structuration forte de l’espèce en populations
distinctes suggère en outre une colonisation des zones urbaines favorisée
par l’homme [9]. Cette espèce s’hybride avec T. caespitum
dans la zone de recouvrement entre ces deux espèces, où les rétrocroisements
fréquents indiquent que cette hybridation conduit à une progéniture
fertile [12], mais les mâles hybrides semblent non viables ou stériles
[13]. Chez ces deux espèces, le système d'accouplement est monogyne/polyandre,
avec un taux d’accouplement plus élevé chez T. caespitum
dont les reines s’accouplent parfois avec quatre mâles différents,
augmentant donc les probabilités de s’accoupler avec un mâle
appartenant à l’autre espèce [13]. Une spécificité
surprenante propre à ce système combinant polyandrie et hybridation
est ainsi de permettre l’existence de colonies issue d’une reine
d’une espèce accouplée avec plusieurs mâles appartenant
à la fois à son espèce et à l’autre espèce.
Dans ces situations (quoique rares), les différents mâles accouplés
à la reine contribuent de manière asymétrique à
la production de la progéniture, avec un biais de descendants en faveur
des mâles T. immigrans [13].
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[4] Schlick-Steiner, B. C., Steiner, F. M., Moder, K., Seifert, B., Sanetra,
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[5] Wagner, H. C., Arthofer, W., Seifert, B., Muster, C., Steiner, F. M., &
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[13] Cordonnier, M., Escarguel, G., Dumet, A., & Kaufmann, B. (2020). Multiple
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