Léo Clément
Mis à jour le 05-Fév-2024
Thèse : Navigation visuelle chez les fourmis : approche comportementale et de modélisation, par Léo Clément, sous la direction de Jacques Gautrais et Antoine Wystrach - Toulouse 3, le 17 juillet 2023. Pdf (en anglais).
Résumé de la thèse en français :
La navigation est une capacité
essentielle pour les animaux, mais est une tâche complexe en raison de
la nature de l'environnement qui est en constante évolution. Les hyménoptères,
tels que les fourmis, ont développé des capacités remarquables
pour naviguer dans ces environnements complexes malgré un système
nerveux beaucoup plus simple que celui des vertébrés. Ainsi, les
fourmis sont un modèle puissant pour étudier les mécanismes
sous-jacents à la navigation.
Grâce au développement d'outils neurobiologiques chez les insectes,
nous avons maintenant une description de plus en plus détaillée
des circuits de ces "mini-cerveaux". Ces réseaux, composés
d'un grand nombre d'unités en interactions (neurones), sont le site d'une
activité interne très dynamique qui permet un couplage efficace
de l'organisme avec son environnement. Le domaine de la navigation des insectes
a intégré cette connaissance neurobiologique avec une tradition
de longue date d'expériences comportementales, couplé, plus récemment,
à de la modélisation. Cette approche intégrative a fourni
des informations précieuses sur la manière dont les comportements
complexes émergent.
Cette thèse présente une approche intégrative combinant
des expériences comportementales et de modélisation dans le but
de mieux comprendre les mécanismes de la navigation chez les fourmis.
Premièrement, je m'intéresse à la dynamique de l'apprentissage
visuel lorsque les fourmis naviguent dans des conditions naturelles. Il y a
déjà de bonnes connaissances sur la manière dont le cerveau
des insectes peut mémoriser et reconnaître des vues, et comment
ces vues peuvent être utilisées pour la navigation. Cependant,
on ne sait pratiquement rien sur la façon dont l'apprentissage est orchestré
en premier lieu. Apprendre une route ne peut pas être régie uniquement
par des récompenses et des punitions, mais peut se produire de manière
continue ; un concept vague appelé "apprentissage latent" dans
la littérature des vertébrés. En combinant modélisation
et expériences de terrain, je montre que les fourmis apprennent les routes
de manière continue, soutenue par des mémoires égocentriques
plutôt qu'une reconstruction de l'espace sous forme de ‘carte cognitive’.
Deuxièmement, je mets en lumière comment la reconnaissance visuelle
de niveau « supérieur » et le contrôle moteur basal
interagissent. La plupart, voire toutes, les études sur la navigation
animale se concentrent sur l’utilisation des stratégies de haut
niveau telles que l'intégration du trajet, la reconnaissance de repères
visuels appris et l’utilisation de cartes cognitives. Cependant, comment
ces stratégies de haut niveau sont soutenues par les comportements moteurs
de bas niveau (souvent plus ancestraux) reste largement inexploré. J’ai
enregistré avec une grande précision le comportement moteur des
fourmis directement dans leur environnement naturel et montré que les
stratégies de navigation de haut niveau sont soutenues par un contrôle
moteur de bas niveau. Nous révélons ici l'existence - et l'importance
- d'un oscillateur intrinsèque au cœur des comportements de navigation.
Finalement, j'ai étudié les indices spécifiques encodés
par les fourmis dans les scènes visuelles. J'ai utilisé la réalité
virtuelle (RV) pour explorer quels indices visuels sont encodés par les
fourmis pour déclencher leurs comportements de navigation. Grâce
à cette approche, j'ai pu déterminer sur quelles caractéristiques
les fourmis se basent pour déterminer si l’environnement perçu
déclenche ou non un comportement d’exploration.
Dans l'ensemble, cette thèse m'a permis de comprendre que le comportement,
plutôt que d'être un ensemble d'actions discrètes, est un
processus continu où l'intelligence peut être considérée
comme une propriété émergente. J'ai utilisé diverses
approches, certaines réussies, d'autres infructueuses, mais toutes ont
amélioré ma vision de la façon dont je dois poser et répondre
à une question scientifique.