Célébration des fourmis

Mis à jour le 17-Oct-2022

Célébration des fourmis, de Marc Beigbeder (philosophe essayiste 1916-1997) , Robert Morel éditeur, 1967.

Livre très bizarre souvent incompréhensible. Des textes très longs sur les pattes des fourmis (partie 1 : Membres teintes parties des fourmis), la rencontre mâle-femelle (partie 2 : Jonction des fourmis, le mâle avec une baguette qui se tend au moment de l'accouplement !) et partie 3 "La raison d'être des fourmis" (avec la "machine fourmi").

Page 7 (Pdf p.7) : "Les fourmis ont ordinairement six pattes. Deux qu'elles portent au-devant d'elles, et quatre, à l'arrière, sur lesquelles elles reposent et se meuvent. De toutes elles sont fières, à titres divers. Les pattes de derrière sont les plus vigoureuses, les pattes de l'avant les plus minces et gracieuses. Les fourmis posent celles-ci délicatement à terre, tandis qu'elles ne pensent point à ménager celles-là. Certaines, qui ont un trou entre les pattes arrière, et sont appelées femelles, passent sur celles de l'avant de l'onguent. Il cache alors, à cet endroit, le vernis que chacune, mâle ou femelle, prend bien garde d'étendre sur toutes ses parties, du dépucelage à la mort, et dont la perte ou la privation sont tenues, dans les tribus les plus simples comme les plus différenciées, pour la suprême humiliation. Car c'est une erreur, obstinément répandue par trop d'observateurs ignares ou amateurs, de croire les fourmis naturellement noires. Outre qu'il y en a qui arborent d'autres couleurs, comme chacun connaît les rouges, dites encore pétroleuses, terreur de nos midinettes sur l'herbe et de nos bien-pensants pour leurs défenses agressives (attaquent-elles pour la méchanceté d'attaquer, ou pour attaquer le méchant ? Je déposerai plus loin mes conclusions), les fourmis à l'état naturel — si tant est que l'on puisse parler d'un tel état, car pour la même la nature offrira des aspects différents, selon que vous regarderez par telle ou telle température, ou qu'elle est montée sur telle ou telle patte ; des ingénieux ont passé convention qu'elle est dans sa nature quand le soleil est droit et qu'elle se tient sur la patte gauche, levant les autres —, à l'état naturel les fourmis seraient sans teinte définie, blanchâtres si l'on veut, ce qui est commode pour passer la peinture. Les sages de quelques tribus y voient un encouragement à l'addition. D'autres, au contraire, tiennent l'enduit second pour une fraude, d'autant plus désastreuse que ses diversités, venant masquer l'identité première des fourmis, seraient la source de leurs luttes. Les précédentes leur opposent que, d'abord, vu les diversités que la nature se donne à elle-même dans les mêmes conditions, cette identité première n'est point si fermement établie (outre qu'elle se plaît à ce qu'il y ait mille et mille fourmis, non point une unique, ce qui couperait le plus simplement aux combats fratricides, il ne se présenta jamais, en effet, à mon oeil, entre celles que je dévisageai sous la même droiture du soleil, dressées sur la même patte, de confusion possible, encore que souvent elles ne se distinguassent que par des nuances très infimes, dont l'abîme subtil aurait échappé à un moins fin). « Secundo », opposent ces sages aux autres, « quand nous admet-trions cette similitude initiale, n'est-elle pas, de par sa définition même, dans l'indé-fini, le fade, quelle horreur ! Notre honneur, au contraire, c'est le piment que donnent à un néant et blanchâtre naturel nos pigments, de rien notre application et"

Page 25 (Pdf p.25) :
"C'est une observation vulgaire et commune que les fourmis sont peuples collectifs. Effectivement, outre les sortes de rassemblements dont nous avons déjà touché un mot, et que nous décrirons tout à l'heure en plénitude, on peut dire qu'il n'est guère d'occasions qui les trouvent séparées. L'une d'elles est-elle enfermée seule dans sa logette, qu'elle ne mérite vraiment guère d'être tenue pour telle. Vers elle, voyez tous ces poils avant-coureurs des autres qui se tendent, ils l'espionnent, ne laissent rien fuir de ses gestes et de sa conduite. Et elle-même, que fait-elle, dans son retrait, sinon aiguiser l'éclat par lequel, en revenant, elle éblouira ses compagnes ? Il y en a bien, quelquefois, qui s'arrachent de leur tribu ; elles projettent de ne se soucier d'aucune personne, et qu'aucune ne s'occupe de la leur. Mais â est rare qu'elles s'en aillent loin de tous les regards. Elles plantent leurs loges presque toujours en haut de quelque piton bien en mire ; elles ne méprisent pas la souffrance qu'ont les leurs de leur départ, ni non plus d'être prises pour des déesses — ou au moins leurs servantes —, et admettent, en soupirant, qu'on dépose au pied de leurs buttes de fort bonnes choses, dont elles détournent mais non pas les lèvres. Et si elles restent tout le jour endormies et absentes, insensibles au bruit et au travail de leurs soeurs, la nuit leur voix s'élève, il faut que toutes sautent de leur couche et les entendent ; leurs cris, au milieu des ténèbres et du silence, font un tel tonnerre et suscitent tant d'effroi, qu'on les vient supplier de retomber muettes. Il est rare qu'elles accèdent a ces prières ; elles poursuivent cruellement leurs plaintes, jusqu'à ce que les autres se forcent à monter les abattre, et elles meurent dans la joie d'avoir vu leurs meurtrières se maudissant de les déchirer.
Il est une façon de se joindre que les fourmis pratiquent rarement à plus de deux, généralement mâle avec femelle, dans beaucoup de mystère. Jetant au vent étuis et même vernis, elles s'accolent ; tandis qu'elles sont ainsi étroitement embrassées, le mâle lance dans le flanc de la femelle, où se trouve une logette généralement hospitalière, une petite baguette qu'il porte, à l'état naturel, détendue et molle à sa ceinture, et que, pour la circonstance, il suspend, soudain fort raide, dans le milieu de ses pattes arrière. Je crus d'abord, à en voir ainsi se tenailler à quelque cruelle et sanglante bataille. La confusion n'est pas longtemps possible. Il ne sort que dans quelques cas très particuliers du sang. Surtout chacune, dans ces combats, cherche à attendrir son équipière plutôt qu'à la blesser ; c'est en faisant assaut de douceurs, par toutes les parties susceptibles (pattes, poils, "

Page 35 (Pdf p.35).
"Je vous ai décrit les fourmis aussi exactement, j'ose l'espérer, que pouvait le faire un bon naturaliste, attaché à leur observation depuis l'extrême enfance. Il y aurait encore maints traits à citer, tant cette espèce offre — pour qui a la patience de scruter, je dirais d'aimer — de richesse, de complexité, de mystère même. Je vous en ferai grâce, vu que de pointilleux confrères, auprès lesquels vous auriez intérêt à compléter votre instruction, les ont déjà fort bien notés. Il faut l'avouer, de toutes les espèces dites sauvages — c'est-à-dire que nous n'avons pas encore trouvé le moyen de mettre dans nos brancards — celle des fourmis est la mieux étudiée. Ce ne doit pas être un hasard, si j'en juge par le fait qu'à force de la considérer, je la prenais pour la nôtre. et quand je me retournais vers les hommes, nous voyais avec des pattes et des démarches de fourmis. Où je me sépare de mes confrères, c'est qu'ils pensent, à peu près unanimement, qu'un portrait suffit, alors que pour moi le comble de la science est de trouver le peintre. Pour eux, autrement dit, ce que font les fourmis ne demande pas d'explication. Ce serait, en somme, machines. Je n'ai rien à redire à cette assimilation, sinon que je la comprends différemment. Car une machine renvoie, il me semble, à une composition. Ce qu'elle opère n'a pas de sens en dehors du programme qui lui a été infligé. J'ai passé bien des années, non sans essuyer de dépitantes moqueries, à essayer de déceler la raison de la machine fourmi. Je crois l'avoir trouvée. Elle est toute simple. Littéralement elle crève les yeux : on ne saurait l'apercevoir qu'en les fermant. C'est la limite de mes confrères. Ils ne savent ou ne veulent pas rêver.
Je vous propose cette petite expérience. Regardez attentivement des fourmis en train, comme elles disent, de manger. Nul doute, effectivement, qu'elles ne mangent. Maintenant, retirez vos orbites. Mangent-elles encore ? Oui et non. Puis-je n'appeler que manger cet acte de haine et d'amour ?
Elles s'alimentent en forces, se tiennent à dire mes confrères. Je connais aussi précisément qu'eux le nombre de calories d'un grain de blé, les incroyables vitamines du lait de puceron. Mais, dès que je m'abstrais,"