LA FOURMI ROUSSE
- Est-il possible, demandé-je
à la minuscule fourmi, que tu descendes de ces chercheuses d'or, grosses comme
des chiens, qui vivaient en Éthiopie ?
- Je ne sais pas de quelles fourmis tu parles, et je m'en moque, me répond-elle,
mais je peux t'assurer que je n'ai pas de temps à perdre avec les généalogies.
Toutes mes occupations tournent autour de cette espèce de monticule rond que
tu as failli écraser avec ton godillot. Regarde, nous nous servons, pour sa
construction, de tout ce qui nous tombe, sous la main : feuilles mortes, graviers,
brindilles, fétus de paille, etc. Notre technique est toujours la même. Nous
ne faisons pas comme certaines de nos surs, qui attendent qu'il pleuve
pour pétrir la terre humide et fabriquer leur trou avec.
La construction de notre palais n'a pas été une mince affaire. Si tu pouvais
le voir de l'intérieur, tu te trouverais devant un inextricable réseau de galeries
souterraines s'enfonçant jusqu'à deux mètres de profondeur et toute une série
daccès que nous fermons chaque soir au coucher du soleil et que nous rouvrons
à la première lueur de l'aube.
Si c'est un jour pluvieux qui s'annonce, cependant, nous gardons les portes
fermées toute la journée car la pluie - cette même pluie que d'autres accueillent
dans l'allégresse - nous remplit, nous autres, de tristesse. Notre seul or,
mon cher ami, est le soleil.
"Histoires naturelles" de Javier Tomeo (Bestiario 1988; Traduction Denise Laroutis, Collection Ibériques, José Corti, 1993