Articles de presse pour la sortie d'un article dans Science : Morgan Pearcy , Serge Aron, Claudie Doums et Laurent Keller. Conditional use of sex and parthenogenesis for worker and queen production in ants. Science, 306, 1780-1783. Analyse de Raghavendra Gadagkar, Sex... Only if really necessary in a feminine monarchy. Science, 306, 1694-1695.
Entomologie. Chez la «Cataglyphis cursor», le mode de conception, sexué ou non, engendre les différences de caste.
Chez les fourmis, seules les reines sont conçues sans sexePar Florence Heimburger
Libération, vendredi 10 décembre 2004Chez certaines fourmis, les castes d'individus se distinguent aussi par le mode de conception qui leur donne le jour. Une étude publiée dans Science (1) montre que les reines de l'espèce Cataglyphis cursor ont choisi la reproduction asexuée pour engendrer leurs héritières et celle sexuée pour les ouvrières. «C'est la première espèce de fourmi pour laquelle on met en évidence un tel système reproductif», explique Laurent Keller, directeur du département de l'écologie et de l'évolution de l'université de Lausanne et coauteur de l'étude. Pour aboutir à ces conclusions, les chercheurs belges, français et suisses ont étudié 38 colonies de l'espèce prélevées dans le sud de la France.
Les scientifiques se sont aperçus que, pour concevoir ses dignes filles, la reine ne copule pas : elle utilise la parthénogenèse, c'est-à-dire qu'elle «remplace» le matériel génétique du mâle par une copie de ses propres gènes. Un avantage reproductif qui assure à la génitrice la pérennisation de ces gènes. Toutefois, la parthénogenèse a des inconvénients : «Un peu comme chez l'homme, il y a des risques de consanguinité, souligne Laurent Keller, et avec ce mode de reproduction, la diversité génétique est moindre. L'adaptation au milieu sera alors moins bonne.» Dans ces conditions, il est facile pour un parasite de décimer la population royale. Qu'importe ! Les reines, qui sont toujours protégées et nourries par les ouvrières dans le nid, sont moins exposées aux risques environnementaux que leurs petites mains. Heureusement pour ces dernières, leur mode de conception la fécondation de la reine par un mâle leur apporte une grande variabilité génétique. Ainsi, les ouvrières supportent mieux les modifications du milieu que leur mère ou leurs sœurs reines et sont chacune bien spécialisées pour une tâche.
Pour les auteurs de l'étude, ce double système est avantageux pour la survie de la colonie. Cette espèce de fourmi, commune des forêts sèches d'Europe, n'est pas la seule à l'utiliser. Laurent Keller, en collaboration avec d'autres chercheurs de Montpellier, a déjà trouvé une autre fourmi qui a un mode de reproduction similaire.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=260588
Le pragmatisme sexuel de la reine mère
Le Nouvel Observateur / Jeudi 2 Décembre 2004
Entre deux modes de reproduction, réputés pour avoir chacun leurs avantages et leurs inconvénients, la fourmi Cataglyphis cursor n’a pas voulu choisir. Résultat : la reine opte pour la reproduction asexuée quand il s’agit d’engendrer ses héritières et pour la reproduction sexuée quand il est seulement question d’ouvrières. Un système original décrit aujourd’hui dans la revue Science par des chercheurs belges, français et suisse.
La reine donne naissance à des filles héritières de la couronne grâce à une forme de parthénogenèse qui permet de fusionner deux œufs. Ce qui signifie que la mère transmet deux copies de son patrimoine génétique et assure ainsi la perpétuation de ses gènes. L’inconvénient de cette reproduction sans fécondation par un mâle est une moindre variété génétique des individus qui peut à terme les fragiliser. Cependant, la reine vivant dans un cocon bien protégé, le problème se pose peu, suggèrent Morgan Pearcy, de l’Université libre de Bruxelles, et ses collègues.
Les ouvrières, elles, sont en première ligne, exposées à des environnements changeants et à divers agresseurs. D’où l’intérêt de la reproduction sexuée que la reine des Cataglyphis cursor utilise alors. La diversité génétique des fourmis ouvrières facilite aussi la répartition du travail.
Les reines de ces fourmis, observées dans le sud de la France, sont-elles les seules à recourir aux deux modes de reproduction ? Ce comportement a-t-il pu être provoqué par l’observation en laboratoire ? Nul doute que cette étude va conduire nombre d’éthologues à regarder de plus près la reproduction des reines dans les fourmilières.
Cécile Dumas (03/12/04)
Un
monde sans mâle ? La
Recherche décembre 2004
En s'intéressant au nombre
de mâles avec lesquels une reine fourmi s'accouple, une équipe internationale
vient de mettre en évidence un nouveau mode de reproduction chez des fourmis
du sud de la France (Cataglyphis cursor). Claudie Doums : « Un schéma
reproductif inattendu chez les fourmis » Chez les fourmis, les abeilles et autres
hyménoptères, les mâles n'ont qu'un seul exemplaire de chaque chromosome.
Ils se développent par parthénogenèse, c'est-à-dire à partir d'un ovocyte
non fécondé. Les femelles, elles, possèdent deux exemplaires de chaque
chromosome, et sont produites par reproduction sexuée. Mais voilà qu'une espèce
de fourmis vient bousculer ce schéma. Chez Cataglyphis cursor, les
reines engendrent d'autres reines par parthénogenèse !
Chez les fourmis ou les abeilles, le mode de reproduction détermine le
sexe de l'individu. Lors du vol nuptial, les reines rencontrent les mâles
et stockent les spermatozoïdes. Pour donner naissance à une femelle, la
reine libère un spermatozoïde pour féconder l'œuf. Les femelles possèdent
donc deux copies de chromosomes et sont diploïdes.
Pour des mâles, la reine bloque la libération du spermatozoïde. L'œuf
non fécondé se développe en un mâle, par conséquent haploïde. Cette reproduction
asexuée est appelée parthénogenèse arrhénotoque.
Le nouveau mode de reproduction est aujourd'hui également asexué. C'est
une parthénogenèse d'un autre type : la thélytoquie. "En recherchant
chez les nouvelles reines issues de la reine mère, les chromosomes issus
du père, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait aucune lignée paternelle
chez ces nouvelles reines, " explique Claudie Doums, l'un des
auteurs de l'étude, maître de conférence à Paris VI. La reine mère n'a
donc pas utilisé de spermatozoïde pour donner naissance à ces femelles.
Pour autant, les femelles issues de ce mode de reproduction sont diploïdes.
"C'est une fusion des cellules de la reine qui serait à l'origine
de ce doublement des chromosomes, précise Claudie Doums. Pour l'instant,
nous ne savons pas à quel moment cette fusion s'opère, mais des études
cytologiques viendront sans doute le préciser".
Un tel mode de reproduction a déjà été observé chez des ouvrières d'une
colonie orpheline pour pallier l'absence de la reine. Mais ici, ce sont
des reines qui utilisent cette reproduction asexuée pour donner des femelles.
"Ce qui est assez étonnant, poursuit C. Doums, c'est que
les reines utilisent apparemment la parthénogenèse arrhénotoque pour produire
les mâles, la reproduction sexuée pour les ouvrières et la parthénogenèse
thélytoque pour les reines."
Nadia Daki
La Recherche février 2005
N°383 - 02/2005