Surprise ! Chez les bourdons, la reproduction est aussi l’affaire des ouvrières
Mis à jour le 19-Nov-2023
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Mercredi 15 novembre 2023
Contrairement à ce qui se passe chez d’autres insectes sociaux (abeilles, termites, fourmis), chez qui la division du travail est stricte, les ouvrières bourdons peuvent se transformer en reines et fonder de nouvelles colonies. Une solution de sauvegarde.
Imaginez une ville divisée entre travailleurs et reproducteurs. Une caste dédiée intégralement à l’amélioration de la cité, sa défense, son alimentation, et une caste reproductrice dont le seul rôle est de convoler pour ensuite créer une autre cité plus loin. Certains d’entre vous auront peut-être reconnu le fonctionnement de ce que les scientifiques appellent les « insectes sociaux ». Chez les abeilles, les fourmis, ou encore chez les termites, une division du travail stricte s’opère, avec des rôles bien distincts prédéterminés à la naissance : les ouvrières d’un côté, et les reines et mâles de l’autre. Mais l’étude récente d’un groupe chinois vient remettre en cause cette mécanique d’apparence bien rodée : chez les bourdons, les ouvrières seraient également capables de se reproduire et pourraient à leur tour fonder une colonie. Une bonne nouvelle à l’heure où les insectes pollinisateurs sont en déclin en raison du changement climatique et de l’agriculture intensive, qui paradoxalement dépend de leur activité.
Les chercheurs de l’Institut de recherche apicole de Pékin sont partis du constat suivant : chez les bourdons, les ouvrières ne sont pas à proprement parler stériles, elles ont même conservé un organe reproducteur intact. Une surprise si l’on considère que ces ouvrières n’auraient pas eu à s’en servir depuis des millions d’années, laissant ce travail aux reines. Or, la sélection naturelle tend à se débarrasser de l’inutile. C’est le cas par exemple chez les ouvrières abeilles qui ont perdu leur appareil reproducteur au cours de l’évolution. Mais alors, pourquoi les ouvrières bourdons auraient-elles toujours le leur ? C’est précisément ce que s’est demandé Jilian Li, la responsable de l’étude. Pour commencer, ses étudiants et elle ont fertilisé des ouvrières en utilisant l’insémination artificielle, afin de vérifier que cet appareil reproducteur était bien fonctionnel. Jilian Li se rappelle : «On s’est dit “L’ouvrière a la même spermathèque que la reine, peut-être que l’ouvrière peut pondre aussi grâce à l'insémination artificielle”». Huit à neuf jours après fertilisation, les ouvrières bourdons parvenaient à pondre des œufs mâles et femelles. De quoi fonder une colonie, tout comme des reines. Une véritable révolution dans le monde bourdon !
Mais alors, dans quelles circonstances mystérieuses les ouvrières bourdons utilisent-elles leur capacité reproductrice, pour qu’elle soit passée inaperçue pendant si longtemps? Il s’agirait plutôt d’une solution de fortune, au cas où la reine de la colonie meurt. Les scientifiques ont observé que si une ouvrière est isolée de sa colonie, et plus spécifiquement de la reine, pendant plusieurs jours d’affilée, elle finira par s’accoupler avec un mâle, et pourra éventuellement se mettre à produire sa propre colonie. «Une colonie plus petite que celles produites par une reine, nuance Jilian Li, mais une colonie qui, à son tour, produira des reines.» Une solution de sauvegarde, en somme, qui a déjà été observée chez quelques espèces de fourmis.
Un super-organisme… vulnérable ?
Car oui, faire reposer toute sa capacité de reproduction
sur un seul individu, la reine, c’est un sacré point faible ! En
effet, pour la plupart des pollinisateurs qui n’ont pas ces “ouvrières
jokers” comme les bourdons, une reine disparue signifie une cité
stérile qui ne peut pas espérer donner naissance à de nouvelles
colonies les saisons suivantes. Cette division du travail, qui a valu le nom
de «super-organismes» aux colonies d’insectes sociaux, peut
malheureusement aussi les rendre très vulnérables. Un enjeu important,
alors que le nombre d’insectes