Sombre avenir pour les bourdons d’Europe
Mis à jour le 18-Sep-2023
Sombre avenir pour les bourdons d’Europe (Lien), 17 sept 2023. Gros et beau travail sur le déclin des bourdons en Europe (Ghisbain et al 2023).
Paris (AFP) – Les
populations de bourdons d’Europe, insectes au rôle écologique
crucial, pourraient décliner considérablement dans les 40 à
60 prochaines années du fait du dérèglement climatique
et de la perte de leur habitat naturel, selon une étude publiée
mercredi dans Nature.
Les 68 espèces
de bourdons européens, un groupe particulier d’abeilles, sont majoritairement
adaptées aux climats tempérés ou froids de l’hémisphère
nord. Ces insectes au corps velu et trapu figurent parmi les principaux pollinisateurs,
essentiels à la reproduction des plantes sauvages comme des plantes cultivées
(tomates, poivrons, colza, melons…).
Une équipe de chercheurs
d’universités en Belgique a collecté des données
sur la distribution des 46 espèces de bourdons à travers le continent,
couvrant des périodes passées (1901 à 1970) et récentes
(2000 à 2014): plus de 400.000 observations, archivées par les
musées.
Ils les ont combinées
aux dernières modélisations de changements climatiques du GIEC,
le groupe d’experts de l’ONU sur le climat, ainsi qu’à
des modèles prédisant les changements d’occupation des sols.
Conclusions: «
Jusqu’à 75% des espèces de bourdons qui aujourd’hui
ne sont pas menacées vont voir leur aire de distribution diminuer de
30% d’ici 2061-2080 », déclare à l’AFP Guillaume
Ghisbain de l’Université libre de Bruxelles, premier auteur de
l’étude.
En 2080, l’espèce
la plus commune, le bourdon terrestre, qu’on reconnaît dans nos
jardins à ses deux bandes jaunes et son derrière blanc, «
verrait la limite (sud: ndlr) de son aire de répartition géographique,
actuellement au seuil du Sahara, remonter jusqu’à la Loire »,
précise Pierre Rasmont du laboratoire de zoologie de l’Université
de Mons.
De « préoccupation
mineure » dans la liste rouge de l’Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN), la plupart des espèces de bourdons
risquent de basculer dans la catégorie des espèces en danger.
Les bourdons des régions
arctiques et alpines risquent même d’être au bord de l’extinction,
avec une perte d’au moins 90% de leur habitat, relève l’étude.
« Un habitat
favorable suppose des variables environnementales liées aux paysages
et à l’utilisation des sols », explique Denis Michez, professeur
d’entomologie à l’Université de Mons, co-auteur des
travaux.
« L’agriculture
intensive fragmente les habitats et repose sur des engrais synthétiques
qui enrichissent artificiellement le sol en azote. Or les bourdons consomment
surtout des plantes qui poussent dans les sols pauvres en azote », comme
le trèfle, développe Guillaume Ghisbain.
Sans parler des effets
néfastes des pesticides, comme les néonicotinoïdes, même
s’ils n’ont pas été intégrés à
ces prédictions.
Les bourdons sont aussi
victimes du dérèglement climatique, avec les vagues de sécheresse
qui tuent les plantes qu’ils butinent, et surtout l’augmentation
de la fréquence et de l’intensité des canicules.
Car à part
quelques espèces résistantes, les bourdons meurent à des
températures trop élevées. « On l’a constaté
dans notre laboratoire un jour où la climatisation est tombée
en panne: il faisait 40 degrés, nos colonies sont mortes en moins d’une
heure. Certains survivent mais leurs spermatozoïdes deviennent déficients
», raconte Pierre Rasmont.
L’entomologiste
qui a parcouru l’Europe durant des dizaines d’années pour
collecter les insectes, avait perçu une raréfaction des populations,
que ce soit en Finlande ou dans les Pyrénées. « Là
où l’année d’avant il y avait eu une canicule, on
collectait jusqu’à 100 fois moins d’individus », se
souvient-il.
L’étude anticipe
que les bourdons iront trouver refuge dans les régions plus fraîches
de Scandinavie. Mais encore faudrait-il que la biodiversité n’y
soit plus fragilisée par les activités humaines (agriculture intensive,
urbanisation…), ce qui est impossible à prévoir.
Ces migrations sont
d’ailleurs déjà visibles. « Un jour, je collectais
des bourdons dans le nord de la Norvège et tout à coup, au milieu
des espèces arctiques, je tombe sur un bourdon terrestre… il avait
fait un bond de 800 kilomètres vers le Nord », se souvient le Pr
Rasmont.
« Notre étude
réussit à quantifier ce qu’on ressentait avec des informations
empiriques », et ses conclusions sont plus alarmantes qu’une précédente
évaluation du déclin des abeilles faite par l’UICN en 2014,
sur dix ans, selon le Pr Michez.
- Ghisbain, G., W. Thiery, F. Massonnet, D. Erazo, P. Rasmont, D. Michez and S. Dellicour (2023). Projected decline in European bumblebee populations in the twenty-first century. Nature. 10.1038/s41586-023-06471-0