Stéphane Foucart
LA CHRONIQUE DE STÉPHANE FOUCART. « Sauver la nature » ou le climat n’est pas une préoccupation d’« écolos », mais une question de santé publique.
Publié le 23 novembre 2014 à 19h21 - Mis à jour le 19 août 2019
« Protéger l’environnement », « sauvegarder la nature », « sauver le climat »… Il faut l’avouer : les slogans et les mots d’ordre du mouvement environnementaliste sont globalement assez contre-productifs. En faisant de sujets désincarnés (« le climat », « l’environnement », etc.) l’objet de leur préoccupation, ils tendent à conforter, en creux, l’idée très occidentale (et très fausse) d’une séparation profonde entre l’homme et le monde naturel – qu’il faudrait protéger, mais surtout à nos dépens.
Tout l’intérêt du troisième Plan national santé-environnement (PNSE), présenté en conseil des ministres mi-novembre et qui sera au menu de la conférence environnementale qui s’ouvrira le 27 novembre, est précisément de placer ce que nous avons de plus intime et de plus précieux – notre santé – au cœur des préoccupations environnementales. Vouloir préserver l’environnement n’est pas qu’une lubie de « bobos-écolos » : c’est aussi et avant tout une question de santé publique.
Par rapport aux deux précédents PNSE, cette troisième
édition, qui doit servir de feuille de route à l’action
du gouvernement jusqu’en 2019, présente plusieurs inflexions importantes.
« En particulier, le lien est fait entre les dégradations de l’environnement
et l’épidémie de maladies chroniques que nous connaissons
actuellement et sur laquelle l’Organisation mondiale de la santé
a attiré l’attention à l’automne 2011 », dit
Gérard Bapt, député (PS) de Haute-Garonne et président
du Groupe santé-environnement (GSE) qui a copiloté la rédaction
du texte.
Déforestation forcenée
Les facteurs comportementaux – en particulier le tabagisme, la consommation d’alcool, etc. – interviennent bien sûr pour une large part. Mais le PNSE prend aussi clairement acte de ce qu’une part de l’augmentation d’incidence de certaines pathologies non transmissibles (cancers, diabète, maladies neuro-dégénératives, etc.) est due à la dégradation au sens large de notre environnement : résidus des matériaux au contact des aliments, traces de pesticides dans l’eau et l’alimentation, métaux lourds, pollution atmosphérique, etc.
D’ailleurs, comme le note Gérard Bapt, « il n’est plus seulement question d’évaluer les effets ponctuels de l’exposition d’une substance sur une population donnée : il faut désormais parler en termes d’exposome, c’est-à-dire des expositions chroniques cumulées à des agents chimiques, y compris à faibles doses, sur la population générale ». Le texte du PNSE va même assez loin en estimant que « les données sanitaires sont suffisamment inquiétantes pour qu’il y ait une réelle prise de conscience politique et citoyenne sur les risques en santé environnementale ». Nous voici très loin de la doxa rassurante selon laquelle tout va pour le mieux puisque l’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée – doxa qui omet systématiquement de préciser que l’espérance de vie n’estime que les bénéfices acquis, non les dégâts à venir.
Le PNSE ne se limite pas aux pollutions diffuses. Il prévoit par exemple la conduite de deux expertises collectives chargées d’explorer les liens entre espaces naturels, biodiversité et santé humaine. La question est au centre de l’actualité récente : selon plusieurs spécialistes, la déforestation forcenée pratiquée en Guinée forestière a conduit au déplacement de chiroptères, réservoirs du virus Ebola, qui se sont rapprochés des villages, augmentant ainsi les risques de transmission de la maladie aux hommes.
Les exemples sont nombreux montrant que la destruction des milieux naturels peut avoir un impact sur la santé humaine. En Asie du Sud-Est, la destruction de la forêt primaire pour cause d’implantation du palmier à huile a rapproché les populations de macaques des lieux fréquentés par les hommes, conduisant à l’émergence d’une nouvelle souche de paludisme particulièrement virulente, Plasmodium knowlesi.
On pourrait croire que ces périls ne concernent que les régions tropicales, pleines d’étrangetés dangereuses. La réalité est tout autre. Aux Etats-Unis, la perte des habitats forestiers naturels et le changement climatique favorisent la propagation de la maladie de Lyme (véhiculée par les tiques), devenue en quelques années la deuxième maladie infectieuse aux Etats-Unis, derrière le sida…
Les économistes aiment citer l’adage selon lequel « il n’y a pas de repas gratuit » – c’est-à-dire que l’addition finit toujours par être réglée. Les défenseurs de l’environnement peuvent le reprendre à leur compte. Et ce avec un recul de plusieurs décennies. En 1963, lorsque Rachel Carson publia son ouvrage Printemps silencieux – l’acte fondateur du mouvement environnementaliste moderne –, elle fut raillée pour sa propension à s’émouvoir des effets délétères du DDT sur les oiseaux. Il était, pour les détracteurs de la biologiste américaine, parfaitement ridicule de s’apitoyer sur le sort du faucon pèlerin et du pygargue à tête blanche… Hélas ! c’était sans compter la déplorable faculté du célèbre insecticide à se stocker dans les graisses et à s’accumuler le long de la chaîne alimentaire – dont, il n’est jamais inutile de le rappeler, Homo sapiens fait partie.
Le résultat est que, quelque quatre décennies après son interdiction en agriculture, le DDT est encore présent à des niveaux mesurables chez la plupart des humains. Les progrès de la recherche en biologie ont de plus permis de montrer que le fameux insecticide est un perturbateur endocrinien suspecté d’augmenter les risques de certaines pathologies, dont la maladie d’Alzheimer… Voilà cinquante ans, Rachel Carson était accusée d’avoir pris le parti de la nature contre celui des braves agriculteurs qui ne faisaient que rechercher de meilleurs rendements. Nous voyons aujourd’hui qui avait raison.
Stéphane Foucart