Pourquoi les fourmilières forment-elles une "Costa del Sol" miniature pour la biodiversité ?
Mis à jour le 23-Mai-2023
Pourquoi les fourmilières
forment-elles une "Costa del Sol" miniature pour la biodiversité
? Hansen et al 2023) (Geo
2 avril 2023) Merci Max Huber.
"Selon une étude menée par des chercheurs de l'université
d'Aarhus dans la lande danoise, les fourmilières permettent à
plusieurs plantes de fleurir plus longtemps dans l'année, voire de connaître
une période de floraison supplémentaire. A l'image du littoral
andalou qui attire les touristes en quête de soleil, ces monticules chauds
forment une sorte de "Costa del Sol" miniature pour la biodiversité.
Le saviez-vous ? Les fourmis n'ont pas besoin de faire des études pour
devenir "ingénieures" ! En réalité, elles sont
qualifiées "d'ingénieurs de l'écosystème"
– un terme scientifique qui signifie que ces insectes modifient leur milieu
au point de créer des conditions favorables à la présence
d'autres espèces animales et végétales. Leurs nids, les
fourmilières, constituent ainsi de formidables oasis de biodiversité.
La biodiversité se mesure toutefois de diverses manières. A l'échelle
spatiale, on peut compter le nombre d'espèces dans un milieu donné
("richesse spécifique"), par exemple. Sur ce type de critère,
le rôle des fourmis fait l'objet d'une littérature scientifique
abondante. En revanche, l'aspect temporel de leur influence sur l'écosystème
est moins souvent abordé. Il est pourtant crucial : au fil des saisons,
les plantes et les autres insectes apparaissent puis disparaissent dans un cycle
perpétuellement renouvelé.
Rikke Reisner Hansen,
chercheuse en écologie à l'université d'Aarhus (Danemark),
s'est penchée sur ce sujet passionnant. Elle s'est rendue dans la lande
danoise afin d'y recenser les plantes présentes autour des fourmilières
de deux espèces – la fourmi jaune (Lasius flavus) et la
fourmi rousse à tête étroite (Formica exsecta)
– à différents moments de l'année, tout en mesurant
les paramètres physico-chimiques (température, nutriments) au
sein des nids et dans le sol à proximité.
Des plantes qui fleurissent plus longtemps.
Les résultats de ces travaux ont donné lieu à une publication
dans la revue Arthropod-Plant Interactions. Avec ses collègues, la chercheuse
a montré que cinq espèces de plantes à fleurs se développaient
de manière plus précoce au sommet des fourmilières –
surtout celles de la fourmi rousse à tête étroite. Pour
quatre d'entre elles, la floraison se trouvait prolongée à cet
endroit. Et la cinquième plante connaissait même une période
de floraison supplémentaire grâce aux conditions particulières
créées par les fourmis.
Ces conditions favorables, détaillent les auteurs, relèvent d'une température plus élevée – les fourmilières produisent en effet de la chaleur – et de la présence de nutriments. "Les fourmis ramènent des animaux morts à la fourmilière, ce qui ajoute du carbone et d'autres nutriments importants dans le sol. De plus, la fourmilière réchauffe le sol et, au printemps, les vipères, les lézards et les coléoptères aiment se reposer près des fourmilières pour se réchauffer. La chaleur et les nutriments créent des conditions uniques qui permettent à certaines espèces de plantes qui ne prospèrent pas dans les landes de se développer sur la fourmilière", explique Rikke Reisner Hansen dans un communiqué.
"Il semble que la partie supérieure de la fourmilière soit en quelque sorte une 'Costa del Sol' miniature pour les insectes et les reptiles. Les animaux exploitent l'excès de chaleur des fourmis pour se réchauffer au début du printemps et lors des matinées fraîches", explique-t-elle, avant de poursuivre : "Il en va de même pour les plantes. Si une plante pousse sur une fourmilière, elle fleurira ou produira des feuilles plus rapidement que la même espèce poussant dans le sol de la lande environnante. C'est un avantage considérable pour les insectes qui se nourrissent de pollen et de nectar, car les fourmilières introduisent une saison de floraison supplémentaire."
Les fourmilières,
indispensables à la survie d'un papillon menacé.
Et les pollinisateurs ne seraient pas les seuls bénéficiaires
de la présence de fourmilières dans la lande. Dans le communiqué,
la scientifique détaille le cas de l'Azuré des mouillères
ou Protée, un papillon au mode de vie pour le moins étonnant.
La chenille de Phengaris alcon, de son nom scientifique, imite en effet
l'odeur et les sons d'une larve de reine des fourmis. Les ouvrières,
leurrées par ce simulacre, transportent la chenille jusqu'à leur
nid et la nourrissent... au point parfois de cesser d'alimenter leurs propres
larves, quitte à condamner l'avenir de la colonie. La tricheuse, elle,
passe l'hiver au chaud jusqu'au moment de pouvoir se métamorphoser en
un superbe papillon aux ailes bleues.
Le secret de la longévité
exceptionnelle des reines de cette espèce de fourmi, enfin expliqué
?
Sur la douzaine
d'espèces de papillons de la famille des Lycaenidae que compte le Danemark,
onze se développent mieux dans des endroits où vivent également
des fourmis, précise le communiqué. Et une poignée d'entre
elles dépendent de ces insectes pour accomplir leur cycle de vie, à
l'instar de l'Azuré des mouillères – une espèce menacée
d'extinction. Selon Rikke Reisner Hansen, il s'agit d'un argument important
en faveur de la protection des fourmilières en Europe.
"Nous appliquons souvent la même méthode de gestion à l'ensemble d'une lande pour la préserver en tant que paysage ouvert. Par exemple, nous permettons à un trop grand nombre d'animaux de pâturer la zone. Ou bien nous utilisons des machines énormes pour couper la végétation. Malheureusement, cela détruit les fourmilières. Pour garantir la présence d'un grand nombre de plantes et d'animaux différents dans la lande, nous devons réensauvager le paysage, ou du moins le ramener à ce qu'il était avant que les machines ne prennent le pas sur les systèmes de gestion traditionnels", prône-t-elle.
- Hansen, R. R., K. E. Nielsen, D. B. Byriel, C. Damgaard, M. T. Strandberg, I. K. Schmidt and J. Offenberg (2023). Ant mounds extend the duration of plant phenology events and enhance flowering success. Arthropod-Plant Interactions 17(2): 205-216. 10.1007/s11829-023-09946-z