Cancres (bis)
J'ai eu la main heureuse,
l'autre jour, quand je me suis avi-sée de vous parler de nos can-cres
à propos d'une classe d'Aubervilliers où des grandes bringues
de troisième traduisaient USA par Union soviétique des Amériques.
Ça m'a valu plein de lettres vachement marrantes. C'est une prof d'italien.
Elle enseigne depuis des années à Villalongue. Et elle me décrit
avec beaucoup de drôlerie le fameux laxisme post-soixante-huitard encore
de mise aujourd'hui. Au nom de la « divine imprégnation »
qui interdit toujours le par-coeur et privilégie l'audio-oral ! •
La fameuse réforme Chevènement, l'éducation nationale s'est
assise dessus, j'ai l'impression. Les gamins font dans leur culotte et se battent
à la récré en tâtant leur sucette de caoutchouc jusqu'à
des six, sept ans, âge avant lequel on a pas le droit de leur apprendre
à lire. Paraît que c'est mauvais pour la santé. Là,
c'est un médecin parisien. Lui, il a eu l'idée saugrenue d'aller
mettre son nez dans les manuels scolaires. Il a étudié une «
Biologie » de cinquième. Il me dit que c'est à tomber par
terre. Ils se sont mis à quatre pour écrire un livre de sciences
nat où, sous le titre « Construis une fourmilière ! »,
on demande aux élèves d'aller chercher des plan-ches, du sable,
et d'installer des fourmis dans l'appart de leurs parents. Ou encore d'élever
des moules ou des puces d'eau et d'étudier comment elles se reproduisent.
Autre excellent exercice, destiné sans doute à développer
le sens de l'observation : trouver une usine polluante qui rejette ses déchets
dans une rivière et comparer, après l'avoir sortie de l'eau, la
faune vivant en aval et en amont de la fabrique en question.
Mais non, c'est pas dur ! Ils sont aidés. Quand ils sèchent, ils
ont le droit de chercher la bonne réponse « dans des documents
». On leur dit pas lesquels, bien sûr. Là, ça serait
vraiment trop facile.
CLAUDE SARRAUTE (Le Monde
2 mars 1988)