La chronique de Camille : comment les fourmis utilisent des antibiotiques

Alain Lenoir Mis à jour 28-Jui-2021     

Par Camille Gaubert, Sciences et Avenir 16 juin 2021, Lien) Voir Antibiotiques

"Les fourmis utilisent des antibiotiques depuis des millions d'années : un succès dont nous pourrions peut-être nous inspirer, alors que les résistances bactériennes à nos antibiotiques menacent la santé mondiale.
Les antibiotiques, ce n'est certes pas automatique, mais d'ici 2050, les nôtres risquent de ne plus avoir aucune efficacité... Si bien que les infections bactériennes pourraient devenir une des causes de mortalité les plus importantes. Face à l'imminence de la menace, certaines scientifiques se tournent vers un insecte social qui a prouvé qu'il savait gérer l'usage efficace des antibiotiques sur des millions d'années : les fourmis.
L'antibiorésistance pourrait tuer plus de gens que le cancer ou les maladies cardiaques en 2050

Dans la lutte contre les bactéries, les fourmis sont même bien plus expertes que nous. Elles utilisent des antibiotiques depuis plus de 100 millions d'années, tandis qu'en à peine 80 ans à les utiliser, les humains ne sont pas loin d'avoir réussi à les rendre inefficaces. Car à force d'utiliser nos antibiotiques à tort et à travers depuis les années 1940, les bactéries deviennent résistantes. Au point que d'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les infections bactériennes pourraient devenir la première cause de mortalité dès 2050, devant le cancer et les maladies cardiaques. Face à cette catastrophe imminente, les scientifiques se sont demandés quel était le secret du succès des antibiotiques utilisés par les fourmis qui comme tous les insectes sociaux, vivent dans des groupes denses au sein desquels les infections circulent facilement.

Les trois stratégies antibiotiques des fourmis
Première stratégie des fourmis : presque toutes les espèces produisent des substances antibactériennes dans des glandes appelées "glandes métapleurales", situées à l'arrière de leur thorax, ou dans leurs glandes mandibulaires. Ces substances sont de plus tellement acides qu’elles détruisent aussi les virus et les champignons ! Sur les 20 espèces de fourmis examinées dans une étude publiée en 2018 dans la revue Royal Society Open Science, "la fourmi voleuse (
Solenopsis molesta) a eu l'effet antibiotique le plus puissant parmi celles que nous avons testées" expliquait Adrian Smith, co-auteur de l'étude [voir 1].

Deuxième stratégie des fourmis : elles s'associent à des champignons tueurs de bactéries. Par exemple, une espèce de fourmis coupeuses de feuilles cultive un champignon qui produit un antibiotique efficace notamment contre les staphylocoques dorés résistants aux autres antibiotiques. Par exemple, les sécrétions de la fourmi champignonniste Atta sexdens atteignent un pH de 2,5, très acide, illustre le myrmécologue Luc Passera, à la retraite de l’Université Paul Sabatier à Toulouse, dans son ouvrage "Comment les fourmis se défendent contre les infections microbiennes ou fongiques" en 2019 [voir 2].
Troisième stratégie des fourmis : elles varient les antibiotiques. En effet, les bactéries ne développent de résistance que si elles sont souvent exposées aux mêmes substances. Certains des champignons partenaires des fourmis peuvent ainsi varier légèrement la molécule principale de leur antibiotique, pour que les bactéries n'aient pas l'occasion de trouver une parade.

Enfin, l’important pour les fourmis, c’est avant tout le collectif. Au lieu de tuer complètement les bactéries pour protéger tout le monde et ainsi augmenter la pression de sélection qui ferait émerger une résistance, elles se contentent donc de les réguler à un niveau acceptable pour vivre avec… Quitte à ce que certains individus meurent de l’infection au passage. Une dernière stratégie qui ne sera probablement pas d'une grande aide pour les humains."

Remarques
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1. Publication
2018 : Penick, C. A., O. Halawani, B. Pearson, S. Mathews, M. M. López-Uribe, R. R. Dunn and A. A. Smith (2018). External immunity in ant societies: sociality and colony size do not predict investment in antimicrobials. Royal Society Open Science 5(2): 171332. doi: doi:10.1098/rsos.171332.

20 espèces de fourmis ont été testées pour leurs antibiotiques contre le staphylocoque. Seules 12 espèces avaient des effets antimicrobiens contre cette bactérie et ce n'était pas lié ni à la taille de la fourmi ni à la taille de la colonie. Trois des espèces qui ont démontré la plus forte activité antimicrobienne font partie des plus petites fourmis testées (Monomorium minimum, Solenopsis molesta et S. invicta). La fourmi d'Argentine et Tapinoma sessile n'ont pas d'antibactériens (Penick et al 2018, voir AFP 2018, Rigal 2018 et de nombreux autres sites).

- 2. La publication de Luc Passera n'est pas un livre mais un texte dans une revue : Passera, L. (2019). Comment les fourmis se défendent contre les infections microbiennes ou fongiques. Bull. Soc. Hist. nat. Toulouse 155: 65-88. Pdf   (Tout sur cettte question, sauf l'article de Penick )