Contre l’antibiorésistance, les fourmis donnent l’exemple


Nathaniel Herzberg
20 septembre 2019
Paru : Herzberg, N. (2019). Les fourmis traitent avec les bactéries. Contre l’antibiorésistance, les fourmis donnent l’exemple. Le Monde Sciences et Médecine 2 octobre 2019. p. 8.

Les attines sud-américaines utilisent avec succès depuis des millions d’années des bactéries pour combattre les attaques des champignons.
Partout dans le monde, l’antibiorésistance progresse. Les unes après les autres, les armes fournies par la médecine pour lutter contre les bactéries s’émoussent, vaincues par les microbes. Et faute de rentabilité, les laboratoires privés ont en partie abandonné la recherche de nouveaux antibiotiques.
Face au spectre d’une épidémie mondiale, deux chercheurs britanniques et un italien proposent de s’en remettre aux agriculteurs. Pas à l’agriculture moderne mais à la plus ancienne des pratiques agricoles, celle inventée il y a plusieurs millions d’années par un être de quelques millimètres : la fourmi attine.
Dans une précédente chronique, nous avons raconté comment cette famille d’insectes sud-américains, qui regroupe 200 espèces, rapporte au nid des déchets végétaux ou animaliers, y inocule une moisissure et laisse prospérer les champignons, dont elle se nourrit, en contrôlant température et humidité. Mieux : pour lutter contre un autre champignon, toxique celui-là, les attines se sont arrogé les services de la bactérie Pseudonocardia. Membre de la famille des actinobactéries – celle dont nous-mêmes tirons la plupart de nos antibiotiques – Pseudonocardia lutte sans relâche depuis des temps reculés contre les sales moisissures, sans que ces dernières soient parvenues à développer de parade.
« Pourquoi aucune résistance n’est-elle apparue dans les fourmilières, alors qu’elle émerge en quelques années dans nos hôpitaux ? », s’interroge Massimiliano Marvasi, chercheur en infectiologie à l’université de Florence. Avec ses collègues londoniens Ayush Pathak (Imperial College) et Steve Kett (université du Middlesex), il apporte une réponse dans un article publié dans Trends in Ecology and Evolution.

Une affaire de stratégie
Tout est ici affaire de stratégie. Lorsque nous parvenons à mettre au point un nouvel antibiotique, nous en usons, souvent en abusons, favorisant l’émergence de mutants résistants parmi les microbes ciblés.
Au contraire, la Pseudonocardia des fourmis cache en réalité plusieurs souches différentes. « Et ces souches varient subtilement au cours du temps », ajoute le chercheur italien. Une bataille de mouvement plutôt qu’une guerre statique. Compilant des recherches antérieures, les scientifiques ont même constaté que d’autres bactéries, les Streptomyces, entraient en jeu. « Elles ne sont pas mortelles pour les champignons, mais jouent très certainement un rôle », dit Massimiliano Marvasi.
Les chercheurs soulignent enfin que, plutôt que d’éliminer rapidement la totalité des souches infectieuses, les fourmis s’y prennent lentement et se contentent d’en inhiber l’effet, en les maintenant sous un seuil de concentration. « Tout cela permet de mieux comprendre comment les fourmis utilisent les antibiotiques depuis des millions d’années sans dommage, alors que l’antibiorésistance fait déjà de sérieux ravages, cinquante ans après leur première utilisation par l’homme », souligne Hongjie Li, de l’université de Madison (États-Unis).
Le trio entend poursuivre les recherches pour mieux comprendre les interactions entre les différentes souches bactériennes, mais aussi traquer les mutations qui permettent aux bactéries de se jouer des attaques des champignons. Adaptation ? Action préventive ?
Dès à présent, il invite toutefois les chercheurs « humains » à imiter nos toutes petites cousines. En étudiant plus systématiquement les effets de cocktails d’antibiotiques déjà existants, ou en y adjoignant d’autres molécules, comme ce fut réalisé avec succès pour l’Augmentin (amoxicilline et acide clavulanique). Mais aussi en travaillant dans le temps, avec « de subtiles variations des produits administrés ».
Il rappelle cependant que les fourmis n’ont pas de « contraintes éthiques » : dans la course aux armements entre pathogène et remèdes, elles n’hésitent pas à sacrifier de nombreux individus, porteurs de souches bactériennes moins efficaces. Copier la fourmi, pas la singer.


Nathaniel Herzberg

Article : Pathak, A., S. Kett and M. Marvasi (2019). Resisting Antimicrobial Resistance: Lessons from Fungus Farming Ants. Trends in Ecology & Evolution. https://doi.org/10.1016/j.tree.2019.08.007