Pollution par les métaux lourds

Alain Lenoir mis à jour 28-Jan-2022

Le problème de la pollution par les métaux lourds se pose de plus en plus. C'est ainsi que de nombreux médecins s'interrogent sur les "plombages" constitués à 50% de mercure (Santi 2011) et que les plombs des chasseurs sont un vrai problème pour la nature et la santé humaine (Foucart 2018). De nombreux travaux montrent les effets des métaux lourds sur divers animaux. On citera juste ceux de Virginie Cuvillier-Hot (et al 2017) sur un ver marin des plages de la Manche qui a une hyper-réactivité inflammatoire suite à cette pollution.

Les fourmis ont été utilisées comme de bons indicateurs de pollution. En effet, elles peuvent accumuler les métaux lourds mieux que beaucoup d'autres invertébrés. C'est ainsi qu'Anne Yvonne Jeantet a travaillé au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. Elle a soutenu sa thèse d'état en 1981 sur la résistance de Formica polyctena à l'ingestion de composés très toxiques pour les vertébrés. Les fourmis ont un double mécanisme de détoxification des métaux et métalloïdes qui sont retenus dans les adipocytes (corps gras) du milieu intérieur. Les sels minéraux sous forme de sphérocristaux et par des protéines qui piègent ces toxiques dans les lysosomes. Les fourmis agissent donc comme concentrateurs biologiques de pollution (voir Jeantet et al 1974). Pourtant, la réponse aux métaux n'est pas simple. Cela semble varier selon les espèces et les métaux, l'intérieur ou l'extérieur du nid.

Les polonais ont beaucoup travaillé sur cette question : les fourmis réagissent par une diminution de leurs défenses immunitaires, une diminution de la taille des ouvrières et de la taille des colonie et leur abondance. Pourtant elles arrivent à surmonter ces problèmes et s'adaptent en régulant les concentrations dans leur corps (Grzes 2010, Belskaya et al 2018). Une étude sur Formica aquilonia dans la zone des mines de plomb dans l'Oural russe a montré que ces fourmis sont sensibles au taux de pollution. A 3 000 mg/kg de pb dans la litière elles disparaissent alors que d'autres espèces comme Myrmica ruginodis résistent (Belskaya et al 2018). En Finlande ces fourmis rousses F. aquilonia deviennent mois agressives envers des fourmis d'autres colonies sous l'effet de pollution par le cuivre (Sorvari et Eeva 2010) et la pollution par les métaux lourds en général (Cu, Ni, As, Pb et Zn) diminue leurs réponses immunitaires, mesurées par encapsulation d'un filament de nylon (Sorvari et al 2007). Toujours en Finlande, les F. lugubris près d'une mine de cobalt accumulent tous les métaux Al, Cd, Co, Cu, Fe, Ni, Pb et Zn à la fois dans leur corps mais aussi dans le matériel du nid. Il n'y a pas de différences de taille entre fourmis de zones polluées ou non, mais elles ont une tête moins mélanisée, sans doute liée à la fixation du métal sur les mélanines (Skaldina et al 2018). Sur Temnothorax nylanderi, en utilisant des colonies provenant de villes et de forêts, de manière surprenante, on n’a pas montré de réponses différentielles au cadmium entre ces deux populations concernant les ouvrières (Honorio 2020 et Honorio et al 2021).

Des chercheurs du CSIRO en Australie ont montré que les fourmis et les termites accumulent différents métaux dont de l'or, ce qui permettrait des utiliser comme indicateurs de la présence de ce minéral dans le sous-sol (Bossy 2012).

En Inde, dans d'anciennes mines on a trouvé que la fourmi Cataglyphis longipedem tolère bien la pollution par le manganèse et le zinc alors que les colonies de Camponotus compressus au contraire déclinent. C. longipedem est une fourmi adaptée à des milieux arides et très durs et profite peut-être des minéraux pour durcir sa cuticule. Les concentrations de Fe, Zn, Mn, Pb, et Cu sont plus faibles dans les débris de nids de fourmis par rapport au sol voisin, ce qui signifie que les fourmis sont dans ce cas de bons indicateurs de pollution et de bioremédiation des sols contaminés (Kan et al 2017).

Les fourmis d'Argentine sont sensibles au sélénium qui est toxique selon des expériences faites en Californie (De La Riva et al 2014).

Le lézard cornu (Phrynosoma cornutum) au Texas est menacé. Il se nourrit presque eclusivement de la fourmi moissoneuse Pogonomyrmex barbatus qui est contaminée par du plomb du sol, ce qui est un danger (Burgess et al 2018).

Lauren Jacquier a soutenu sa thèse en 2021 sur la pollution de Temnothorax nylanderi par le cadmium : «Réponse à l’urbanisation d’un insecte eusocial : interconnexion des réponses génétiques, plastiques et rôle de l’environnement social»

Voir
- Belskaya, E., A. Gilev and E. Belskii (2017). Ant (Hymenoptera, Formicidae) diversity along a pollution gradient near the Middle Ural Copper Smelter, Russia. Environmental Science and Pollution Research 24(11): 10768-10777. 10.1007/s11356-017-8736-8
- Bossy, D. (2012) Trouver de l'or, c'est possible grâce aux fourmis et aux termites ! futura-sciences, 17 décembre 2012, p. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/geologie-trouver-or-suivez-ce-champignon-43373/ Pdf
-
Burgess, R., R. Davis and D. Edwards (2018). Lead bioaccumulation in Texas Harvester Ants (Pogonomyrmex barbatus) and toxicological implications for Texas Horned Lizard (Phrynosoma cornutum) populations of Bexar County, Texas. Environmental Science and Pollution Research 25(8): 8012-8026. 10.1007/s11356-017-1134-4
- Cuvillier-Hot, V., S. M. Gaudron, F. Massol, C. Boidin-Wichlacz, T. Pennel, L. Lesven, S. Net, C. Papot, J. Ravaux, X. Vekemans, et al. (2017). Immune failure reveals vulnerability of populations exposed to pollution in the bioindicator species Hediste diversicolor. Science of The Total Environment. http://dx.doi.org/10.1016/j.scitotenv.2017.08.259
- De La Riva, D. G., B. G. Vindiola, T. N. Castañeda, D. R. Parker and J. T. Trumble (2014). Impact of selenium on mortality, bioaccumulation and feeding deterrence in the invasive Argentine ant,
Linepithema humile (Hymenoptera: Formicidae). Science of The Total Environment 481: 446-452. http://dx.doi.org/10.1016/j.scitotenv.2014.02.060
- Foucart, S. (2018). Les munitions au plomb menacent la nature et la santé. Le Monde 14 septembre 2018. p. 6.
- Grzes, I. M. (2010). Ants and heavy metal pollution - A review. European Journal of Soil Biology 46: 350-355.
- Grzes, I. M., M. Okrutniak and P. Szpila (2015). Fluctuating asymmetry of the yellow meadow ant along a metal-pollution gradient. Pedobiologia 58(5–6): 195-200. http://dx.doi.org/10.1016/j.pedobi.2015.11.001
- Honorio, R., L. Jacquier, C. Doums and M. Molet (2021). Disentangling the roles of social and individual effects on cadmium tolerance in the ant Temnothorax nylanderi. Biological Journal of the Linnean Society. doi: 10.1093/biolinnean/blab116.
- Jeantet, A. Y., R. Martoja and M. Truchet (1974). Rôle des sphérocristaux de l'épithélium intestinal dans la résistance d'un insecte aux pollutions minérales: données expérimentales obtenues par utilisation de la microsonde électronique et du micro-analyseur par émission ionique secondaire. C. R. Acad. Sci. Ser. D Sci. Nat. 278: 1441-1444.
- Khan, S. R., S. K. Singh and N. Rastogi (2017). Heavy metal accumulation and ecosystem engineering by two common mine site-nesting ant species: implications for pollution-level assessment and bioremediation of coal mine soil. Environmental Monitoring and Assessment 189(4): 195. 10.1007/s10661-017-5865-y

- Santi, P. (2011). Questionssur l’innocuitédes amalgames dentaires. Le Monde 18 janvier 2011. p. 29. Pdf
- Skaldina, O., S. Peräniemi and J. Sorvari (2018). Ants and their nests as indicators for industrial heavy metal contamination. Environmental Pollution 240: 574-581. https://doi.org/10.1016/j.envpol.2018.04.134
- Sorvari, J. and T. Eeva (2010). Pollution diminishes intra-specific aggressiveness between wood ant colonies. Science of The Total Environment 408(16): 3189-3192. http://dx.doi.org/10.1016/j.scitotenv.2010.04.008
- Sorvari, J., L. M. Rantala, M. J. Rantala, H. Hakkarainen and T. Eeva (2007). Heavy metal pollution disturbs immune response in wild ant populations. Environmental Pollution 145(1): 324-328.